BALADE EN PAYS BASQUE SUD EN 1904.
En 1904, pour beaucoup de voyageurs, il est fréquent de se rendre en Pays Basque Sud, en Guipuscoa et en Biscaye, pour faire du tourisme.
Voici ce que rapporta le journal Le Phare de la Loire, le 13 septembre 1904, sous la plume de J. de
Goitisolo :
"Lettre d'Espagne.
Saint-Sébastien.— Corrida de toro. — La capitale de la Vizcaye. — Le problème basque.
Bilbao, le 10 septembre.
Des personnes qui passent un été à Biarritz ou à Saint-Jean-de-Luz, bien peu manquent de faire en auto ou à bicyclette, l'excursion classique de Saint-Sébastien.
Un climat enchanteur, des plages de sable fin et doré, des alentours admirables, ne font-ils pas de cette ville une des plus agréables stations balnéaires que l'on puisse rêver ?
La capitale du Guipuzcoa se compose de deux villes bien distinctes ; la vieille ville, sale, aux rues étroites, aux maisons délabrées dont les balcons de bois sont couverts de hardes bariolées ; la ville neuve, admirablement entretenue, dont les édifices sont de marbre et ornés de superbes "miradores" et où durant toute l’année, mais surtout en août et septembre, une foule cosmopolite vient jouir du bon air, et profiter des mille et une distractions qu’offre au flâneur la résidence de la cour.
Une des principales attractions est la "corrida de toros" qui a lieu chaque dimanche, en août ; dès que le roi arrive dans sa loge, les trompettes se font entendre, et les dix mille spectateurs qui attendent impatients sur les gradins de pierre se lèvent et acclament le jeune monarque.
MONTEE A LA PLAZA DE TOROS SAINT-SEBASTIEN D'ANTAN |
GARDE CIVILE A CHEVAL AVANT LA CORRIDA SAINT-SEBASTIEN D'ANTAN |
ARRIVEE DU ROI SAINT-SEBASTIEN 1910 |
En face de la loge royale, une porte s’ouvre sur l’arène pour donner passage à de superbes cavaliers vêtus de noir et portant à leur chapeau un panache aux couleurs espagnoles ; derrière ces "caballeros de plaza" viennent les quadrillas, composées d’environ une trentaine de toreros qu’encadrent, à cheval, les "picadores" "armés de piques". Ensuite, viennent les attelages de mules empanachées qui débarrasseront l’arène des cadavres, après chaque course.
APRES LE SALUT CORRIDA SAINT-SEBASTIEN PAYS BASQUE D'ANTAN |
De toute beauté sont les costumes des toreros, ceux des chefs de quadrilla ayant souvent une valeur de 15 à 20 000 pesetas ; c’est une profusion de broderies d’or ou d’argent sur soie de couleur ; parfois même des pierres précieuses se mêlent aux passementeries. La partie la plus belle du costume des toreros est la "capa", qu'ils portent négligemment sur l’épaule au moment du défilé, et qu’ils confient pendant la course à un spectateur. Ils sont coiffés de gracieuses loques noires, tandis que les picadores portent un chapeau de feutre à large bord.
PICADOR CORRIDA SAINT-SEBASTIEN D'ANTAN |
En suivant les caballeros de plaza, tous se sont avancés, au son de la musique, jusqu’au bas de la loge royale, tous saluent ; le roi jette alors la clef des souterrains où se trouvent les toros ; et pendant que les trompettes annoncent l’entrée du fauve dans l’arène, le terrible animal bondit du souterrain. Alertes et armés seulement d’une capa d’étoffe rouge, les toreros vont au-devant de lui ; le toro s’élance contre eux ; tous l’évitent gracieusement, d’un tour de rein — le toro s’arrête, aperçoit un cavalier et, bondissant à nouveau, se rue sur le cheval, qui n'en peut mais ; pour empêcher que le toro en s’acharnant contre sa première victime, ne blesse le picador qui gît à quelques pas, immobilisé par ses bottes de zinc, les toreros détournent le fauve avec leur capa, pendant que d’autres chevaux s’avancent contre lui. En quelques minutes, plusieurs chevaux sont éventrés ; leurs viscères, ruisselantes de sang, balayent le sable de l’arène ; dès qu’ils tombent, on essaye de les relever pour les faire servir à l’autre course ! s’ils sont mortellement blessés, on les achève — mais les trompettes se font entendre de nouveau ; les chevaux qui peuvent encore se traîner sont emmenés ; le second acte du drame va commencer : c’est la pose des banderilles — un torero s'avance en face du toro, tenant à la main deux petites flèches de bois enrubannées. Ces banderilles, le torero doit les planter dans le garrot du toro — la tâche est difficile ; le toro, grisé par le sang, n’a jamais été plus avide de carnage ; avec un calme et une adresse admirables, l'athlète évite les cornes rougies et plante les banderilles dans le garrot de son terrible adversaire ; quatre fois de suite, le périlleux exercice se renouvelle ; puis, de nouveau, les trompettes résonnent, c’est le signal de la mort.
CHUTE DU PICADOR CORRIDA SAINT-SEBASTIEN D'ANTAN |
CORRIDA LA PUNTILLA SAINT-SEBASTIEN D'ANTAN |
Le matador après avoir demandé la permission de "matar" au roi, s’approche du toro en cachant derrière sa capa rouge écarlate une longue épée de Tolède ; si le toro n’est pas encore épuisé par le combat rien n’est plus difficile que de le mettre à mort ; longtemps le matador se joue de lui, le lait tourner sur lui-même, l’affole, puis à l'instant où le fauve hésite avant de fondre sur l’homme, ce dernier dans un geste magnifique, lui enfonce jusqu’à la garde l’épée dans le garrot ; ce sont alors de vrais hurlements de joie sur les gradins, tandis que le toro expire en vomissant des flots de bave et de sang, le peuple exulte, lance des cigares ; des dames se penchent sur le bord de leurs loges et lancent des bijoux à l’heureux torero qui fait le tour de l’arène en saluant. Mais s’il a dû s’y prendre à plusieurs reprises pour tuer l’animal, si du premier coup d’épée le toro ne tombe pas foudroyé, ce sont des sifflets, des malédictions, et, au lieu de cigares ce sont des cannes qui pleuvent sur l'arène. Tel est en quelques mots, le jeu national espagnol qui vaut à Saint-Sébastien une foule de visiteurs, et qui maintenant du reste a lieu dans toutes les grandes villes du sud de la France.
APPLAUDISSEMENT AU MATADOR CORRIDA SAINT-SEBASTIEN D'ANTAN |
Certes les habitants de San-Sebastian peuvent être fiers de leur ville qui est la station balnéaire la plus fréquentée d’Espagne, celle où le jeune roi vient passer plusieurs mois (tant pour prendre des bains que pour chercher à s’attacher les populations basques) ; mais qu’est la capitale du Guipuzcoa, comparée à la capitale de la Vizcaye : Bilbao ? Ce qu’est Trouville à Marseille, ni plus ni moins. Que mes lecteurs me permettent de les conduire (non pas en chemin de fer, mais en voiture) jusque aux portes de Bilbao.
Sur un parcours de 25 kilomètres, ce sont surtout des coteaux couverts de maïs, de nombreux arbres fruitiers, des pommiers en particulier qui produisent un cidre renommé ; après la délicieuse ville de Zarauz la route en corniche est d’une beauté incomparable, les sites riants succèdent aux sites sauvages avec une variété inouïe.
La route ayant été taillée dans le roc, longe des falaises qui ont plusieurs centaines de pieds de profondeur, et contre lesquels les flots de l’Océan viennent se briser ; de plus, à la gauche du voyageur s’élève une muraille de granit, mesurant souvent 300 ou 400 mètres et qui est, par suite, d’un effet saisissant ; aux falaises incultes et multicolores succèdent les falaises couvertes d’arbousiers et d’ajoncs, plus loin c'est un bouquet d’eucalyptus, un bois de pins ou de chênes verts, une de ces châtaigneraies ou vivent en liberté des bandes de taureaux. Lorsque la route s’abaisse, elle traverse une station balnéaire telle que Deva ou un port de pêcheurs tels que Ondaroa et Lequeitio. Le voyageur est à peine à 25 lieues de la frontière et pourtant il se croirait à une journée de chemin de fer de la France ; dans les petites villes un rassemblement se forme autour d’une bicyclette, et a fortiori autour d’une auto.
A Lequeitio, la route s’enfonce dans la montagne ; sur un parcours de 20 kilomètres pas une seule habitation ; puis du sommet d’une descente interminable dont plus d’un touriste a dû garder un mauvais souvenir, l’on découvre le panorama splendide de la vallée du rio de Guernica.
Cette dernière ville, où se trouve l'arbre de la liberté des Basques, très curieuse bien que peu connue, fut ma dernière étape avant Bilbao. La capitale de la Vizcaye est une ville toute moderne qui compte près de 100 000 habitants ; c’est le premier centre industriel, le principal marché de capitaux d’Espagne, et un des premiers ports d’Europe.
Si partant du centre de Bilbao, on longe le Nervion jusqu'à son embouchure, on voit une suite interminable de vapeurs presque exclusivement anglais et espagnols, qui déchargent du charbon et chargent le minerai, de fer si abondant aux environs de Bilbao ; on voit un très grand nombre d’usines et surtout les hauts fourneaux de Viscaye qui donnent à leurs actionnaires des dividendes de 15 et 20 0/0.
NERVION HAUTS FOURNEAUX BILBAO PAYS BASQUE D'ANTAN |
A l’embouchure du Nervion, un pont transbordeur, comme il n’en existe encore que quelques-uns dans le monde, provoque l’admiration du voyageur, tout ainsi que le port superbe qui fut tout récemment construit par un ingénieur français. Chacun est également frappé par la splendeur des édifices publics et par la beauté d’un grand nombre de demeures particulières ; dans les nouveaux quartiers de Bilbao et dans le faubourg Portugalette, s’élèvent en effet, construits dans tous les styles, des palais de marbre où habitent les rois de la finance et du commerce. Ce sont, à Bilbao, pour la plupart des Basques, l’élément étranger ne dominant pas dans cette ville comme dans presque toutes les cités industrielles espagnoles ; non, le Basque ne s’est pas laissé exproprier par l’étranger, et c’est bien à lui qu’est due la prospérité merveilleuse des trois provinces qui forment, avec la Catalogne, la partie la plus riche de l'Espagne. Etant donné que les Basques prospèrent, tandis que la décadence des Espagnols, qui s'obstinent à jouir de la dolce farniente, s’accentue, il est bien explicable que ce peuple revendique aujourd’hui plus que jamais, non pas une indépendance complète — ils sont peu nombreux, en effet, les Basques qui aspirent à se séparer de l’Espagne — mais un self government. Tout comme les Catalans, les Basques (selon un mot très juste de M. G. Béguin), "constatant que l’Etat espagnol les sert mal, aspirent à se servir eux-mêmes" ; ils désirent, par suite, en Espagne, une république fédérale, qui sauvegarderait leur autonomie, sans faire de leur petit pays un Etat tampon.
PONT TRANSBORDEUR PORTUGALETE BISCAYE D'ANTAN |
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