LES CRÂNES BASQUES DE ZARAUTZ ET DE SAINT-JEAN-DE-LUZ EN 1958.
Depuis très longtemps, des chercheurs cherchent les origines du peuple Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet Paulette Marquer, dans un Travail du Laboratoire
d'Anthropologie du Musée de l'Homme :
"...Retzius, en 1842, dans la grande euphorie qui succéda à la découverte de l'indice céphalique, et alors qu'il s'imaginait pouvoir, à l'aide de ce seul caractère crânien, déterminer toutes les races du monde, avait imaginé une séduisante théorie qui affirmait que, les populations primitives de l'Europe étaient brachycéphales, la dolichocéphalie ayant été importée dans nos contrées par les envahisseurs asiatiques, également porteurs de la civilisation du Bronze et des langues indo-européennes. Le savant suédois en concluait que les peuples, qui parlent encore actuellement des langues non apparentées à la famille indoeuropéenne, devaient être les descendants directs de ces races anciennes du Paléolithique et par conséquent brachycéphales. Tels étaient les Finnois et les Lapons, tels devaient être les Basques. Il est inutile d'insister sur l'erreur initiale d'une théorie qui a été complètement abandonnée à la suite des travaux de Broca prouvant en toute certitude l'antériorité, en Europe, des dolichocéphales sur les brachycéphales. Toujours est-il que Retzius, ayant examiné trois crânes prétendus basques et dont l'origine est aujourd'hui fortement contestée, reconnut la brachycéphalie comme le caractère essentiel de la race basque.
ANDERS RETZIUS |
Pruner-Bey reprit à son compte les idées de Retzius et les défendit, avec une obstination que les faits les plus probants ne purent entamer, contre l'opinion de Broca. Celui-ci, dans le but de vérifier expérimentalement les déductions théoriques de Retzius, était parvenu à réunir une collection de 60 crânes basques provenant de la petite ville de Zaraus, Guipuzcoa espagnol (1862) ; sa surprise avait été grande en constatant que la plupart de ces crânes étaient dolichocéphales, les brachycéphales vrais étant au contraire en très petit nombre. Il admit donc jusqu'à plus ample informé que la race primitive basque devait être dolichocéphale. Ce que Pruner-Bey ne voulut jamais reconnaître, préférant mettre en doute l'origine réellement basque de la population de Zaraus et s'ingéniant à la rattacher à une colonie étrangère de Celtes que les hasards des migrations auraient amenée en Espagne.
FRANZ PRUNER-BEY |
Sur ces entrefaites, Broca, quelques années plus tard, enrichissait sa collection de 58 crânes basques français, provenant de Saint-Jean-de-Luz. Par l'étude comparative des deux séries, il mettait en évidence, à côté de la dolichocéphalie des Basques espagnols, la prédominance de la brachycéphalie du côté français. Mais il reconnaissait, dans les crânes dolichocéphales contenus dans la série de Saint-Jean-de-Luz, le même type que celui qu'il avait isolé dans les dolichocéphales de Zaraus. Il établissait enfin, en se référant aux données historiques, qu'une partie des Basques d'Espagne, connus sous le nom de Vascons par les historiens romains, avait franchi la frontière vers le milieu du Ve siècle de notre ère, sous la pression des Wisigoths qui s'étaient emparés de leur capitale, Pampelune. Ces émigrés basques s'installèrent dans les vallées du Labourd et de la Soule, territoire qui leur fut définitivement reconnu par Thierry II, roi de Bourgogne, vers l'an 602. Pour Broca, la situation était donc la suivante : les ancêtres des Basques espagnols étaient dolichocéphales, ceux des Basques français brachycéphales ; la dolichocéphalie observée chez les Basques français serait le résultat du mélange qui s'est effectué entre les deux branches au moment de l'émigration ; la différence de forme crânienne serait elle-même très ancienne et antérieure à l'invasion indoeuropéenne, sans qu'on puisse soutenir avec certitude la priorité d'un des types sur l'autre. Toutefois Broca, sans être très explicite à ce sujet, manifestait un certain penchant pour la thèse ibérique et voyait de préférence chez les Basques espagnols les éléments les moins mélangés et les plus proches de la souche primitive. Il soulignait, d'autre part, la ressemblance entre certains crânes de Zaraus et le type de Cro-Magnon et il pensait que les Basques, les Berbères, les Guanches et les troglodytes de la Vézère se rattachaient vraisemblablement à un même tronc racial.
PAUL BROCA |
En 1892, de Quatrefages et Hamy abordent la question dans les Crania Ethnica. Ils sont frappés, plus que Broca, par la diversité des types qui existent chez les Basques, allant jusqu'à en trouver quatre parmi des sujets examinés à Cambo dans les Basses-Pyrénées. Ils retrouvent, eux aussi, dans l'un de ces types, quelques-uns des caractères de la race fossile de Cro-Magnon. Ce fut une opinion assez généralement admise à l'époque, soit qu'on l'attribuât à l'ensemble des Basques, soit qu'on la limitât à la fraction espagnole qui, dans ce cas, était considérée comme représentant l'élément primitif resté le plus pur de la race basque.
La thèse soutenue par Aranzadi, à la suite de nombreuses études à la fois sur des crânes et sur des sujets vivants appartenant à la branche espagnole, se présente comme un compromis entre celle de Retzius et la thèse ibérique, compromis qui est en même temps un aveu d'impuissance. Il admet en effet, à la base de l'ethnogénèse basque, "l'union d'un peuple ibère ou offrant des affinités avec les Berbères et d'un peuple boréal ayant quelque chose du Finnois et du Lapon avec mélange d'un peuple kimrique ou germain" (1886), phrase qui, d'après Collignon, "pourrait s'appliquer à toutes les populations du bassin occidental de la Méditerranée, depuis les Italiens du Sud et les Français méridionaux jusqu'aux indigènes de l'Afrique du Nord, en passant par l'ensemble de la péninsule ibérique". Vers la fin de sa vie, Aranzadi manifestait l'intention de se rallier à l'interprétation cromagnoïde : il pensait à une évolution sur place du type Cro-Magnon avec transformation progressive aboutissant au type basque actuel et il croyait saisir certaines étapes de cette transformation dans les restes osseux du Néolithique et de l'Énéolithique du Pays basque espagnol.
TELESFORO ARANZADI Y UNAMUNO |
En 1893, Collignon, à la faveur d'une vaste enquête entreprise dans le cadre du conseil de révision des Basses-Pyrénées, put examiner un grand nombre de sujets vivants appartenant aux principaux cantons basques. Il reconnut définitivement la disparité des deux grands types euskariens : les Basques espagnols sont plus petits, plus dolichocéphales, plus leptorhiniens que les Basques français ; mais il souligne en même temps des ressemblances non équivoques dans la couleur des yeux et des cheveux, la forme du visage, la conformation spéciale du tronc, qui révèlent leurs affinités et ne permettent pas d'accuser une dualité raciale primitive. Une de ses principales conclusions s'oppose à l'opinion prédominante du moment, à savoir la plus grande pureté des Basques d'Espagne qui auraient mieux conservé les traits essentiels de la race que leurs frères de l'autre côté de la frontière. En s'appuyant sur un examen anthropologique approfondi et de nombreuses mensurations, il aboutit exactement à la conclusion opposée : après avoir dressé le bilan des ressemblances et des différences qui existent entre les deux, il reconnaît que "les points par lesquels les deux peuples se séparent sont communs aux Espagnols proprement dits et aux Basques d'Espagne et peuvent être dus au croisement des deux races : ceux par lesquels tous les Basques se ressemblent leur sont propres et n'appartiennent qu'à eux". Autrement dit, les Basques français, venus d'Espagne, ont gardé leur type racial primitif plus pur parce qu'ils ont été mieux protégés des contacts avec d'autres peuples que les Basques espagnols, dont la région, n'ayant jamais été véritablement soumise ni aux Wisigoths ni aux Arabes a servi de refuge à un grand nombre d'émigrés venus de toute l'Espagne. Collignon semble donc ainsi avoir résolu l'anomalie dont s'était rendu compte Broca, lorsqu'il s'étonnait que les Basques de France aient mieux conservé leur langue et leurs mœurs que les Basques d'Espagne, mais qu'ils semblaient par contre avoir perdu en partie leur type physique.
PROFESSEUR MAXIME COLLIGNON |
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