LES MEUBLES BASQUES EN 1926.
Le mobilier au Pays Basque a traditionnellement du caractère, en particulier en Basse-Navarre.
Voici ce que rapporta à ce sujet la revue La Côte basque : revue illustrée de l'Euzkalerria, le 3
octobre 1926, sous la plume d'Abel Brunet :
"Voyageant il y a quelques années dans la Somme, je parlais dans un café d’Abbeville avec des amis de la merveilleuse basilique de St-Wulfran, lorsqu’un voisin m’interrompit :
EGLISE COLLEGIALE SAINT-WULFRAN 80 ABBEVILLE |
"Que diriez-vous alors, si vous aviez vu notre église à Albert : elle est toute neuve avec une vierge dorée !
Le sentiment artistique un peu spécial de ce brave bourgeois Picard se retrouve malheureusement trop souvent dans le choix de la décoration et de l’ameublement de beaucoup de nos contemporains. On préfère le clinquant au beau véritable, et plus un meuble offre de dorures (qui laissent deviner le plomb d’en-dessous), de sculptures faites à l'emporte-pièce et en série, et de complications, plus les prétendus amateurs s’écrient : quel beau meuble !
Or, en matière de mobilier comme en architecture, la surcharge des ornements ne fait pas toujours la beauté. Quoi de plus simple, et pourtant d’une beauté idéalement pure que le style grec ! Quelle différence entre l’harmonie des lignes du Roman et du Gothique primitif avec le tarabiscotage du style flamboyant ? La multiplication de l’ornementation ne vaut que si elle n'abime pas la ligne, comme à la cathédrale de Reims.
Parmi les victimes du mauvais goût de nombreux particuliers, je citerai nos meubles basques, qui valent souvent les plus beaux spécimens des arts, Normand, Breton ou Provençal, nos beaux vieux meubles basques que le mercantilisme supplante par des meubles dits "basques", et qui ne sont bien souvent que des caricatures enjolivées.
MUSEE BASQUE DE BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les meubles basques véritables, issus de l’art du terroir, comme tout ce qui est né des besoins pratiques d’une race en même temps que de ses conceptions personnelles sont simples, synthétiques si j’ose employer cette expression. Le mobilier authentique des vieilles demeures bourgeoises et des vieilles fermes euskariennes étant composé de pièces sobres de lignes et d'ornements ; ce qui les caractérise, et les caractérise fortement, ce sont certains détails souvent naïfs, toujours typiques souvent même un simple profil de moulure ou de sculpture leur sert mieux de griffe d’origine que la multiplicité de tous les attributs euskariens alignés les uns à côté des autres dans les imitations.
De plus, tous les meubles basques d’origine ont un caractère rustique, tout en offrant un ensemble d’une heureuse harmonie, d'où naît l’intérêt qu’ils méritent. Les clichés que nous publions ci-contre, aimablement communiqués par la "Maison d’Art" de St-Jean-de-Luz, spécialisée en la matière, en dorment une idée très nette en mettant sous les yeux, de nos lecteurs trois meubles fort différents.
MAISON D'ART SAINT-JEAN-DE-LUZ |
Bien au contraire, dans les meubles appelés bien à tort "meubles basques" et qui sont fabriqués de toutes pièces parfois depuis la semaine dernière seulement lorsque vous les voyez, les fabricants ont cru bien faire en les couvrant de sculptures et d’ornements empruntés à toutes les époques des diverses provinces basques et dont le voisinage constitue le plus souvent pour les experts et les vrais artistes les plus criants anachronismes. Le trèfle basque y joue un rôle prépondérant, parmi les croisillons et les rosaces qui se superposent et s’entremêlent, réminiscences espagnoles mêlées aux caractéristiques spéciales au Labourd, à la Soule et à la Basse-Navarre. Généralement, nous n’y retrouvons pas cette solidité confortable chère au bon vieux temps sous la patine apparente qui les recouvre. Le bois blanc maquillé remplace le chêne, la fonte le fer forgé, et tout à l'avenant.
UN COIN DE LA CHAMBRE A COUCHER MUSEE BASQUE DE BAYONNE |
Si vous comparez un meuble basque authentique et une copie en la plaçant côte à côte, toute la variété de cette ornementation multipliée tombera à côté des lignes sobres et belles de l’original. Les sculptures de la pièce d’origine ressortiront à côté de celles de meubles modernes comme un tableau ressort à côte d'une chromo, de toute la puissance de son imprécision charmante opposée à la riche rectitude de son voisin. L’un est un objet d’art, l’autre un article industriel.
Plaçons-nous maintenant au point de vue pratique. En raison du coût actuel de la main d’œuvre, des matières premières, même les plus ordinaires, et des transports, un meuble moderne revient plus cher qu’un meuble ancien. De plus le meuble authentique, construit en bois solide durera certainement plus que son cadet, s'il est en bon état, et possède sur lui l’avantage de posséder une valeur intrinsèque, tandis que sa copie n'a de valeur que celle que l’amateur veut bien lui donner. Dans ces conditions, il faut vraiment manquer de toute connaissance en la matière pour délaisser ce qui est à la fois beau, solide et précieux, pour du médiocre tape-à-l’œil d’une valeur et d’une résistance des plus aléatoires.
MEUBLE CUISINE MUSEE BASQUE DE BAYONNE |
Mais, nous diront certains d’entre vous, certains meubles anciens ne répondent pas à nos conceptions et à nos besoins modernes ! — En ceci, je suis d'accord avec eux, mais cette objection apparente n’en est pas une au point de vue pratique. Ce qui constitue le charme et la valeur d’un meuble ancien, c'est son cadre, son armature, ses panneaux, en un mot tout son extérieur et rien n’est plus facile que de modifier les planches intérieures, sans intérêt, et de faire d'une vieille armoire basque une armoire américaine, sans que rien à l’extérieur ne décèle sa transformation.
Selon la formule de nos pères, très vraie en l’occurrence, vous pourrez faire du neuf avec du vieux, et même de l’ultramoderne, sans rien abîmer. Et que de choses intéressantes, que d’effets imprévus peut-on combiner en utilisant les vieux meubles basques dans les installations de villas et d’appartements ! Mais la matière en est trop importante pour figurer dans cet article ; nous réserverons ultérieurement à cette question la place nécessaire à son développement.
Certes, la formule des transformations à faire subir aux meubles anciens pour les adapter aux besoins nouveaux n’est pas des plus faciles à trouver. C’est pourquoi nos bons ouvriers doivent être de véritables artistes et ils doivent souvent avoir recours à la science et à l’érudition des archéologues et des antiquaires, à l'esprit inventif de nos architectes. Ils doivent être, comme les anciens ouvriers de nos corporations, profondément convaincus de la dignité de leur profession. Après quelques fâcheuses éclipses on commence à s'en apercevoir maintenant.
COFFRE MUSEE BASQUE DE BAYONNE |
Un travail de ce genre ne saurait être un travail de rendement en série, mais une œuvre véritable à la recherche de la perfection, et tel était bien autrefois l’esprit de ce "chef d’œuvre" dont on demandait l'exécution avant de consacrer l’artisan dans sa maîtrise.
Nous assistons aujourd’hui à une orientation heureuse dans cette direction. Nous disons donc hardiment que les maisons qui tiennent à honneur de livrer à leur clientèle des meubles de bon goût et de style parfaits, doivent chercher à s’imprégner profondément des traditions que révèle l’étude des modèles anciens. Il ne s’agit pas encore une fois dans la fabrication des meubles neufs de copier servilement et avec des truquages compliqués les modèles qui nous ont été conservés, le fit-on avec cette naïveté qui est un des principaux attraits de l’ancien ; il faut en pénétrer le sens profond et on pourrait dire mystique, car il y avait dans les traditions conservées par les anciens toute une mystique occulte comme celle que Huysmans a révélée au grand public pour l’art religieux ; il faut réajuster celle-ci à nos besoins modernes : travail de composition délicat s’il en fût.
ZÜZÜLÜ MUSEE BASQUE DE BAYONNE |
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