"LE MARIAGE DE RENTERIA" EN 1856.
En 1856, est jugée à Paris une affaire de mariage de Français à l'étranger.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Droit, le 29 août 1856 :
"Tribunal Civil de la Seine (1re Ch.) Présidence de M. Debelleyme. Audience du 27 août.
Le jugement dans la succession Pascatore :
I. Aux termes des lois canoniques, le droit de célébrer un mariage n’appartient pas en principe au prêtre, par la seule vertu de son caractère ; il ne peut être exercé par celui ci que dans l'étendue de sa juridiction.
Pour ce cas spécial, le prêtre ne peut exercer juridiction que directement comme étant le propre curé d'une partie ou de l'une d'elles, ou indirectement en vertu d’une délégation du propre curé ou de l’ordinaire.
En admettant que pour constituer l'ordinaire un quasi-domicile puisse suffire, ce quasi-domicile doit réunir deux conditions.
1°résidence d’un mois au moins. 2° animus perpetuo manendi.
L’abjuration ne peut établir qu’un lien purement spirituel et ne constitue ni le domicile, ni le curé dans sa juridiction territoriale et disciplinaire. De simples dispenses de publication ne sont pas des permissions ou délégations attributaires de juridiction pour procéder à la célébration d'un mariage, mais seulement des formalités relatives à la publicité.
II. Les publications prescrites par l'art. 170 du Code Napoléon sont une condition essentielle pour la validité d’un mariage contracté en pays étranger.
Doit être considéré comme entaché de clandestinité, et par suite déclaré nul, le mariage célébré devant un prêtre pendant un séjour de quelques heures sur une terre étrangère, avec l'accomplissement des seules formalités religieuses, sans publications préalables, sans transcription sur les registres de L’état civil, et alors que toutes les circonstances dénotent de la part des parties l'intention de frauder la loi française.
III. Le prêtre français ne pouvant, aux termes de l’art.54 du concordat, former lui même le lien civil et célébrer religieusement le mariage avant l'acte dressé par l’officier de l’état civil, ne peut déléguer ce droit à un prêtre étranger, et le mariage contracté en vertu d’une pareille délégation est nul et ne peut produire d'effets civils en France.
Le vice originel, inhérent à la célébration d’un mariage, ne saurait être couvert par des actes postérieurs pouvant constituer la possession d’état en faveur de l’un des époux.
En admettant que l’erreur de droit puisse être invoquée pour couvrir la nullité d’un mariage célébré sans l'observation des formalités légales, cette excuse ne saurait être invoquée lorsque les prétendus époux ont sciemment employé tous les moyens de faire fraude à la loi.
Voici le texte du jugement rendu hier par le Tribunal :
"Le Tribunal, ouï, etc.,
Vidant le partage, prononcé par jugement du premier de ce mois, et, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant en premier ressort ;
Sur l’intervention de la ville de Luxembourg ;
Attendu que les legs faits à cette ville, aux termes du testament du 5 octobre 1853, peuvent être modifiés dans leur importance à raison, soit à l’égard de la qualité de femme commune, réclamée par Catherine Weber, soit à raison des éventualités créées par le testateur dans la part revenant à ses locataires universels ; qu’ainsi la ville de Luxembourg a intérêt et qualité pour intervenir dans l'instance et assister aux opérations de partage ; la reçoit intervenante, et statuant à l’égard de toutes les parties ;
En ce qui touche les fins de non-recevoir :
Attendu que, par son exploit introductif d’instance, Catherine Weber demande contre les héritiers et légataires de Pescatore : 1° la liquidation et le partage de la communauté légale qui aurait existé entre elle et Pescatore par suite d’un mariage qui aurait été célébré à Renteria entre les deux parties sans contrat ; 2° la délivrance des legs particuliers faits à son profit par les testament de Pescatore ;
Attendu que les héritiers et légataires repoussent la demande en partage, en prétendant que le titre sur lequel elle se fonde est nul, et que Catherine Weber ne justifie d’aucun mariage légal ayant pour effet une communauté légale ; que cette exception est péremptoire et constitue une défense directe à la demande ; que les héritiers Pescatore sont donc recevables à discuter le titre sur lequel l’action est fondée ;
Attendu qu’on n’oppose aux héritiers aucune reconnaissance valable du mariage ; que des correspondances de famille, soit avant, soit depuis le mariage, ne contenant que l’expression de leurs sentiments et de simples politesses de convenance en cette occasion, ne peuvent constituer une fin de non-recevoir judiciaire, lorsque le caractère et les circonstances du mariage n'étaient pas connus des héritiers.
Attendu que la demande n’étant pas formée, leur droit n’était pas ouvert ; qu’ils ont formellement protesté dès le commencement de l’inventaire, et qu’enfin, il existe des mineurs dans la cause.
Au fond,
Attendu que Catherine Weber produit l’acte d’un mariage célébré à Renteria (Espagne) le 8 novembre 1851, que le Tribunal doit donc apprécier la validité de cet acte ;
Attendu que le droit de célébrer un mariage n’appartient pas en principe au prêtre par la seule vertu de son caractère ; que les lois canoniques voulant réprimer les abus des mariages clandestins par les règles de la discipline et de la juridiction n’ont permis au prêtre l’exercice du droit de procéder à la célébration et à la constatation d’un mariage que dans l’étendue de sa juridiction ;
Que celui qui y procède doit donc, pour être compétent, avoir juridiction sur les deux parties ou au moins sur l’une d’elles ; que ce droit n’appartient qu’au propre curé de l’une des parties, c’est-à-dire exclusivement au seul prêtre qui, par la circonscription territoriale de ses pouvoirs disciplinaires, possède le droit de juridiction, sinon l’acte civil le plus important de la famille serait le plus facile et le plus clandestin ;
Attendu que le curé de Renteria n’avait personnellement et directement juridiction sur aucune des parties, puisqu’il n’était pas leur propre curé ;
Attendu que le rapporteur du Code Napoléon a dit que la présence d’un officier civil était essentielle aujourd'hui à peine de nullité, comme l’était autrefois celle du propre curé ;
Attendu que le curé de Renteria ne pouvait obtenir indirectement ce droit de juridiction qu'en vertu d'une permission ou délégation du propre curé ou de l'ordinaire de l'une des parties ;
Attendu que la juridiction étant essentiellement territoriale, le curé de Renteria ne pouvait obtenir cette délégation que de son supérieur, l’évêque de Pampelune ; que ce motif a fait recourir à son intervention ;
Mais attendu que l’évêque de Pampelune n’étant ni le propre curé, ni l’ordinaire des parties, puisqu' elles n'ont pas même séjourné dans son diocèse, n'a pu donner au curé de Renteria un droit de juridiction qu'il n'avait pas lui-même ;
Qu’ainsi, la seule question à examiner est celle de savoir si l’évêque de Pampelune ou le curé de Renteria ont pu recevoir de l'archevêque de Bordeaux une délégation valable ; en d'autres termes, si l'archevêque de Bordeaux était le propre curé ou l'ordinaire des parties, parce que sans cette condition sa délégation n'aurait aucune valeur ;
Attendu que le domicile réel, légal, des parties était à Paris ; qu'elles n'avaient qu'une résidence pendant l'été à la Celle Saint-Cloud, et surtout qu'elles n'allaient à Giscours, diocèse de Bordeaux, que pendant le mois des vendanges ; qu’ainsi le curé de Giscours n’était pas leur propre curé ; que l’archevêque de Bordeaux n’était pas leur véritable ordinaire ;
LABARDE MEDOC GIRONDE D'ANTAN |
Attendu qu’en admettant même qu'un quasi-domicile, une simple résidence puisse suffire à raison de motifs graves, de circonstances urgentes, le séjour d un mois est toujours exigé par les interprètes les plus faciles avec l’intention d’y rester et d’y établir son domicile ; que les parties n’ont habité Giscours que très passagèrement et jamais avec l’intention d’y fixer leur domicile ; qu’ainsi l’archevêque de Bordeaux n’était pas leur ordinaire ; que le mariage religieux n’a pas été transcrit à la paroisse de Giscours ni à Bordeaux ;
Attendu que l’abjuration de Catherine Weber entre les mains de l'archevêque de Bordeaux est le fait d'une volonté privée qui ne peut établir qu’un lien purement spirituel et ne constitue ni le domicile ni le curé dans sa juridiction territoriale et disciplinaire ;
Attendu en droit que de simples dispenses de publications ne sont pas des permissions ou délégations attributives de juridiction pour procéder à la célébration d’un mariage, mais des formalités relatives à la publicité ; qu’il est certain en fait que les dispenses accordées par l’archevêque de Paris et l’évêque de Versailles étaient dans leur pensée commune, dans leur rédaction, destinées à un curé de France, et par conséquent après l’acte de l’officier civil ; que rien n’y fait supposer la pensée d’un mariage en pays étranger ; que celles données par l’archevêque de Paris, le véritable ordinaire des parties, sont adressées nominativement au curé de l’église de Sainte-Marie à Bordeaux, pour Catherine Weber, sa paroissienne, et Pescatore, paroissien de Notre Dame-de-Lorette, et porte : S’il n’y a point d’empêchement civil et canonique ; qu’il est donc impossible de les attribuer au curé de Renteria et que cependant une délégation doit être directe et individuelle ;
Qu’ainsi Pescatore et Catherine Weber n’ont été mariés ni directement par leurs propres curés, ni indirectement par une délégation régulière, et que si les parties ont reçu le sacrement du mariage pour tranquilliser leur conscience, il n’existe aucun mariage dérivant d’une juridiction légale et de nature à produire tous les effets civils ;
En ce qui touche l’acte sous le rapport civil,
Attendu que si l’article 170 déclare valable le mariage contracté en pays étranger, s’il a été célébré dans les formes usitées dans le pays, et exige, par une disposition claire, précise, absolue, et comme condition essentielle, qu’il ait été précédé de publications en France ; que ce principe n’a pas été admis pour favoriser ceux qui quittent la France pour se marier sciemment en fraude de la loi, mais pour venir en aide à une situation naturelle, grave, urgente et digne de la protection de la loi ; que dans la cause il ne s’agit pas d’un mariage entre étrangers résidant, voyageant même en Espagne ; mais entre Français, après une heure de présence dans la chambre d’un prêtre inconnu, devant un témoin inconnu des parties, sans motifs sérieux et légitimes, mais en fraude patente et avouée de la loi ;
Attendu que les dispositions de l’art. 170 n’ont pas pour but seulement de prévenir les mariages contractés en prohibition des conditions de parenté et d’âge, et d’appeler sur eux seuls la répression de la justice, puisque ces mariages sont déclarés nuis par des dispositions spéciales ; que l’expression "selon les formes" atteste que la pensée du législateur a été plus étendue, comme le dit le rapporteur du Code Napoléon, en prohibant les mariages contractés sciemment en fraude de la loi, de ses prescriptions de publicité, et par suite clandestinement ; qu’en effet les obstacles résultant de l’âge et de la parenté, et les cas d’opposition légale ou paternelle ne sont pas les seuls cas dans lesquels la publicité soit utile ;
Attendu que Pescatore veuf et Catherine Weber fiancée avec publication à Strasbourg, assistant eu 1850 au mariage de sa sœur, connaissaient, indépendamment de leur position dans le monde, les obligations de la loi civile ;
Qu’ils n’ont point agi par entraînement, puisque depuis dix ans ils vivaient irrégulièrement au su d’un assez grand nombre ; que l’âge et la santé leur permettaient de satisfaire à la loi, car le fait d’un empoisonnement résultat de la résistance de Pescatore à un mariage civil n'a pas fait obstacle au voyage de Bordeaux et d’Espagne ;
Qu’aucune considération d’enfants, d’intérêts et de famille ne les obligeait à procéder sans les formalités légales ;
Attendu qu’ils n’ont pas même voulu la facile clandestinité de Giscours et d’une simple transcription sur les registres civils ; que lorsque l'on rapproche de ces omissions volontaires les formalités religieuses de délégation, dispenses, transcription qui ont seules occupé leur pensée, on ne peut expliquer cette désobéissance flagrante que par la volonté d’un mariage religieux et de conscience, selon l’expression de l’archevêque de Bordeaux ;
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