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samedi 15 mai 2021

L'AFFAIRE DU "MARIAGE DE RENTERIA" EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1856 (troisième partie)

 


"LE MARIAGE DE RENTERIA" EN 1856.


En 1856, est jugée à Paris une affaire de mariage de Français à l'étranger.


pais vasco antes
PLACE DES FUEROS RENTERIA GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN





Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Droit, le 26 juillet 1856 :



"Tribunal Civil de la Seine (1re Ch.) Présidence de M. Debelleyme. Audience du 23 juillet. 


Succession de M. J.-P. Pescatore. — Demande en compte, liquidation et partage de la Communauté et en délivrance de legs formée contre les héritiers, par Madame Veuve Pescatore. — Demande reconventionnelle en nullité du mariage contracté en Espagne par M. Pescatore et Madame Weber. — Conclusions du Ministère Public.



...Après le dépôt de ces conclusions, Me Péronne ajoute :



Le temps nous a manqué pour faire vérifier en Espagne les consultations qui ont été produites à la dernière audience ; mais par un hasard providentiel, un jurisconsulte espagnol, dont le nom dispense de tout commentaire, M. Bravo Murillo, se trouvait à Paris. Nous lui avons demandé une consultation, et je viens de recevoir de lui un travail manuscrit qui sera traduit, imprimé et distribué au Tribunal...



M. le président Debelleyme. — La parole est à l'avocat impérial. Un profond silence s’établit.



M. le substitut Pinard, s’exprime en ces termes : 

Messieurs, tout donne à cette affaire de singulières proportions : le chiffre des intérêts engagés, la position sociale des parties en cause ; le talent des deux éminents adversaires qui, pendant trois audiences successives ont captivé votre attention ; mais ce qui créée pour nous la véritable solennité de ces débats, c’est l’importance des questions de Droit qu’ils soulèvent. Sous ce mot : validité de mariage se discutent des principes qui touchent à la législation espagnole, à l'ensemble de notre Droit privé et au Droit public lui-même.



Les faits qui donnent naissance à ce procès sont extrêmement simples. Le 8 novembre 1851, à deux lieues de la frontière française, à Renteria, village d’Espagne, arrivent en chaise de poste M. Pescatore et Mme Catherine Weber. Le curé est prévenu ; il les reçoit au presbytère et procède, en présence de deux témoins, à la célébration religieuse du mariage. Trois heures après, les deux voyageurs quittent Renteria et repassent la frontière. Quelle est valeur de cet acte du 8 novembre 1851 ? Si vous lui donnez en France des effets civils, il faut que, outre les termes particuliers du testament, la demanderesse ait la moitié de cette opulente communauté de quinze millions laissée à de nombreux héritiers. Si vous lui refusez tout caractère légal, le testament sera exécuté purement et simplement, et Mme Weber aura, avec l’usufruit de la Celle-Saint-Cloud, 60 000 livres de rente.



Avant d’entrer dans le fond même de la discussion juridique, il est une question d’intention que nous devons résoudre. C’est le seul point de fait dans l’affaire ; mais il a son importance. Quand M. Pescatore et Mme Weber ont fait ce voyage étrange de Renteria, quelle était leur pensée secrète ? Voilà l’interrogation que tout le monde se pose, et il faut y répondre. Remarquez que rechercher ici leur but et leur mobile, ce n’est point soutenir un système de restrictions mentales apportées au consentement. Non. Lorsque deux futurs paraissent devant le prêtre et prononcent le oui solennel, l’Eglise répute leur consentement entier, et ne leur demande pas compter sur leur mobile pour déclarer indissoluble le lien religieux qu’ils ont formé. Devant l’officier de l’état civil, il en est de même, et, lorsque les époux ont répondu affirmativement, les effets civils du mariage sont irrévocablement acquis, que les parties les aient ou non prévus. Mais la question d'intention est tout autre ici. Deux personnes habitant depuis longtemps la France, vivant dans un milieu social élevé, habituées toutes deux à la distinction fondamentale que notre législation et nos mœurs font entre le sacrement et le contrat civil, ayant toutes les facilités possibles pour recevoir sans éclat le sacrement et signer sans bruit le contrat, mais obligées en France de faire précéder la célébration religieuse d’une célébration civile, ces deux personnes, dis-je, passent quelques heures la frontière pour demander à un prêtre espagnol la bénédiction religieuse. Ne faut-il pas de toute nécessité se demander si elles ont voulu que cet acte de Renteria produisit des effets civils en France ?



Or, je dis que si tout révèle chez les parties contractantes la volonté sérieuse et honorable de faire cesser devant l’Eglise une situation irrégulière, de satisfaire à un devoir de conscience, d’ouvrir par cette réparation leurs salons aux personnes honorables qui se tenaient à l’écart, tout révèle aussi l’intention de se placer en dehors de la loi française, et de ne lui demander aucune des prérogatives qu’elle assure dans la sphère des intérêts civils. Ces prérogatives ne peuvent concerner que les personnes et les biens : des prérogatives relatives aux personnes, les parties contractantes s’en préoccupent peu ; leur union, ils le savent, ne doit point leur donner d’enfants ; des effets relatifs aux biens, M. Pescatore semble s'en préoccuper au contraire, mais c’est pour les éviter. Possédant à cette époque une fortune exclusivement mobilière, toute engagée dans l’industrie, qui lui promettait déjà les immenses bénéfices réalisés plus tard, M. Pescatore paraît avoir voulu repousser le mariage civil pour éviter les conséquences qu'il aurait eues sur son patrimoine. Tout le démontre dans l'attitude que prenaient les parties contractantes à ces trois dates distinctes : avant, pendant et après l’acte de Renteria.



Avant, frais de contrat et frais de publications. Le contrat, c’est cependant la première préoccupation des plus humbles, et comment comprendre que le millionnaire enrichi par son propre travail et s’unissant à une femme sans patrimoine, ait involontairement passé sous silence ce préliminaire obligé ? Les publications ; mais c’est là une précaution légale qui ne saurait effrayer personne, dont l’exécution aurait passé inaperçue au milieu des nombreuses annonces d’une mairie de Paris. Les parties ne pouvaient d’ailleurs oublier qu’elles étaient impérieusement prescrites pour le mariage civil ; M. Pescatore était veuf et avait eu à les accomplir lors de sa première union ; Mme Weber avait une sœur mariée en 1850, et avait eu une publication faite pour elle-même à l’occasion d'un mariage qui ne s’était pas réalisé.



D‘ailleurs le choix du lieu et l’ensemble des circonstances se comprennent-ils, si les parties ont eu en vue les effets civils du mariage ? Si elles redoutent le bruit et les regards, n’ont-elles pas à leur disposition la petite mairie de Giscours, quand le village est désert au moment des rentrées des récoltes, et la chapelle de Mgr l'archevêque de Bordeaux ?


33 labarde medoc giscours
UNE PENSEE DE LABARDE-MEDOC



Pourquoi ce choix de Renteria, d'un curé inconnu, auprès duquel on est obligé de justifier de son identité ? Pourquoi, au milieu des douleurs d'une maladie, ce voyage fatigant, à une longue distance de Giscours ? Pourquoi assumer l’ennui de ces correspondances et de ces démarches multiples auprès de l’évêque de Pampelune et de prêtres étrangers ? Ah ! tout est logique et tout se comprend, si vous avez voulu le sacrement seul sans les effets civils du mariage en France ; vous ne pouviez alors agir autrement, puisque le prêtre français ne peut procéder à la célébration religieuse qu’après la célébration civile. Tout, au contraire, est incompréhensible, si vous ayez voulu que l’acte de Renteria eût en France les effets d’un mariage civil. Vous avez, de gaîté de cœur, multiplié les ennuis, les démarches ; vous avez créé une situation fausse et préparé le procès : vous avez été volontairement à l’encontre du but que vous vous proposiez.



Après l’acte de Renteria, la pensée de ne donner à la célébration que les conséquences d’une célébration purement religieuse se trahit également. On sait que la transcription du contrat est la seule mesure de publicité qui permette à l’Etat comme à l'Eglise de connaître le mariage contracté à l'étranger. Comme on tient à cette reconnaissance de la part de l’Eglise, l’acte de Renteria est immédiatement transcrit sur les registres des yeux paroisses de Notre-Dame-de-Lorette et de la Celle Saint-Cloud. Comme on ne tient nullement aux bénéfices de la loi civile, on se garde de faire la même transcription aux deux mairies. Si l'on n’avait transcrit nulle part, on pourrait croire à l’oubli : on transcrit à droite et point a gauche, quand la mesure est également ordonnée par les deux pouvoirs ; donc on a volontairement fait la distinction.



Voilà l’intention des parties contractantes manifestée à ces trois dates : avant, pendant et après l’acte de Renteria. Elle serait plus nette encore et plus éclatante, si nous interrogions celui qui a été leur conseil le jour où elles ont voulu faire cesser l’irrégularité du passé. Quelle a été la pensée de Mgr l’archevêque de Bordeaux ? Sauver avant tout les âmes, les ramener à Dieu, éclairer et calmer leur conscience.



Le contrat purement civil, il a pu le leur conseiller ; mais, devant les répulsions de M. Pescatore, il a dû Ne pas tenir à le leur imposer. Effacer devant l'Eglise la tache du passé, ce but suffisait à son zèle et à sa pieuse mission. Il y a plus : une lettre a été écrite par Mgr l’archevêque de Bordeaux à l’évêque de Pampelune ; cette lettre a été lue par le subrogé-tuteur des enfants de Pierre Pescatore ; il a copié sur cette lettre ces mots qui disent hautement toute la pensée des parties : "Permettez-moi de vous adresser M. Pescatore, qui ne voudrait s’unir que religieusement avec une personne..." Voilà une phrase utopique, décisive, qui dispense de discuter le point de fait. Que Mgr l’archevêque de Bordeaux garde le silence sur ce point ; je le comprends à merveille : il n’est point partie au procès, et il a reçu le secret des contractants. Mais si la phrase n'est pas exacte, si l’allégation si décisive du subrogé-tuteur est fausse, ah ! je ne comprends pas alors le silence de Mme Weber : je ne comprends pas qu’elle ne donne pas, par la bouche de son défenseur, le plus éclatant et le plus énergique des démentis : je ne comprends pas qu’elle ne demande point, qu’elle n'obtienne point la copie de cette lettre qui a été retirée, mais qui n'est point perdue. Sa réserve sur ce point est la meilleure preuve de l’existence de cette phrase qui a tranché souverainement la question d’intention.



Reconnaissons-le donc : l’intention des parties était pas de contracter une union qui eut en France des effets civils. Si elles eussent en cette pensée, rien ne s’explique dans leur conduite ; tout devient une énigme. Vous voulez alors que les deux contractants aient passé la frontière, non plus pour fuir la loi française, mais pour la frauder ; vous leur supposez la pensée de vouloir un état civil dressé contrairement à la loi et par d'autres que ceux auxquels celle-ci a donné cette mission. Eh bien ? j’ai démontré que cette supposition était impossible, et j'aurais presque le droit d'ajouter qu’elle est injurieuse pour eux, et pour l'archevêque de Bordeaux qui, dans cette hypothèse étrange, deviendrait leur complice. Non, M. Pescatore et Mme Weber n'ont pas fait un voyage de quelques lieues et une absence de quelques heures dans la pensée unique de se soustraire aux obligations de la loi civile, le 8 novembre, pour en réclamer le lendemain les prérogatives. Non, le cardinal n’a pu leur donner un semblable conseil ; qu’il leur ait dit : Si vous voulez le sacrement sans le contrat civil en France, vous trouverez le prêtre en Espagne ou en Angleterre, c'est probable, c’est même certain. Mais il n’a pu leur dire : Allez, le sacrement reçu à quelques lieues de mon diocèse sera autre chose qu'un mariage de conscience : il vaudra le contrat civil envers et malgré la loi ; et, à l’aide d'une subtilité juridique, vous aurez tout éludé.



Non, le prince prélat n’a pas tenu ce langage. J'en ai pour garant son caractère ; que dis-je ? j'en ai pour garant sa propre parole. Blessé, non pas du langage tenu à votre audience,—tout ce qui s’est dit à son égard ici a été juste et mesuré,—mais des intentions qu’on avait pu lui prêter dans le public, voulant repousser avant tout le reproche immérité d’avoir donné le conseil d’éluder la loi du pays, Mgr de Bordeaux a adressé directement à M. le procureur impérial la lettre suivante (mouvement d'attention) :


"Bordeaux, 17 juillet 1856. 


Monsieur le procureur impérial, 


Je vois dans les feuilles publiques que la première Chambre est occupée dans ce moment d'une question de validité de mariage dans l’affaire Pescatore. Je ne voudrais à aucun prix intervenir dans un débat qui, soumis à l’appréciation du Tribunal, ne peut que recevoir une solution conforme à la justice et à la vérité.


Je ne puis, toutefois, m empêcher de protester devant vous, non pas contre le rôle qu’on voudrait me faire jouer dans ce procès, car on s’est montré juste et convenable à tous égards envers moi, mais contre des insinuations qui iraient à prêter au clergé en général certaines tendances qu'aucun de ses actes ne permet de lui attribuer.


Nous avons trop le sentiment du respect que nous devons aux institutions de notre pays, et nous avons trop l'habitude de nous y conformer, pour avoir jamais conseillé ou fait quelque chose qui aurait eu pour résultat d'y porter une atteinte directe ou indirecte.


Je vous prie, monsieur le procureur impérial, de vouloir bien être l’interprète de ces sentiments auprès du Tribunal, et en même temps d'agréer l'assurance de ma haute considération.


Ferdinand, cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, sénateur."

(Sensation)"



religion catholique cardinal bordeaux 1837
CARDINAL FERDINAND-FRANCOIS-AUGUSTE DONNET



A suivre...



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