APERÇU SUR LE PEUPLE BASQUE EN 1814.
Ange-Etienne-Xavier Poisson de La Chabeaussière, auteur dramatique et littérateur français, indique, en 1814, sa vision du peuple Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Mercure de France, le 1er juillet 1814 :
"...Il est encore à présumer que les Basques qui se déterminèrent à une migration, périrent pour la plupart, et qu’il ne s’en conserva qu’un très petit nombre, qui a été la souche de ceux qui existent actuellement ; leur trop petite consistance politique n’a excité ni jalousie ni curiosité, et de là vient peut-être le peu de recherches faites jusqu'à ce jour sur un peuple bien intéressant à connaître ; cette recherche serait cependant digne des savants.
Un peuple qui ne fait que défendre sa propriété, acquise par le travail et la peine ; un peuple qui a les mœurs douces et faciles ; un peuple qui habite des pays sauvages ; un peuple dont la langue est aussi inintelligible pour ses voisins, que celle de ses voisins est inintelligible pour lui ; un peuple, enfin, qui fut obligé de se suffire à lui-même, qui n'avait aucun moyen d’échange et de communication, et qui devait tirer toutes ses ressources de son travail et de son activité, a dû nécessairement conserver sa langue originelle ; il a dû se maintenir dans ses habitudes physiques et morales ; c’est ce qui est arrivé ; et néanmoins, quoiqu’il n’eût peut-être rien à redouter de ses voisins, il était de sa prudence de se tenir sur ses gardes contre les entreprises possibles ; or, la défiance d’une part, de l’autre le besoin de se disperser pour cultiver le peu de terres qu’un pays aride offrait à leur industrie, et cependant la nécessité de se réunir à volonté pour la défense commune, furent trois motifs qui ont engagé les Basques (puisque ce nom leur est maintenant dévolu) à construire leurs habitations sur la cime des montagnes, d’où ils pouvaient prévenir les dangers qui auraient pu être la suite de l’inquiétude de leurs voisins, justement alarmés peut-être de ce voisinage : c’est de ces cimes de montagnes que, par des cris et des signaux, ils s’avertissent réciproquement. On sait, par tradition, que, s’ils ne furent jamais portés à envahir, ils savaient se bien défendre contre ceux qui entreprenaient de les attaquer ; et Jules César lui-même, ne pouvant les conquérir, se fit gloire de leur alliance.
BASQUE AVEC MAKILA 1828 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les Cantabres, pris parmi les Basques, ont, en plusieurs occasions, retracé à nos yeux l'ancienne valeur de leurs ancêtres ; et tout récemment encore, les Basques, quoique pour une mauvaise cause, ont fait des prodiges ; mais ils veulent être commandés pas des hommes de leur langue, et c’est alors qu’ils se montrent prêts à tout entreprendre.
On remarque que, dans la langue basque, tous les mots de guerre et de commandement sont vifs et brefs , io (frappe) , il (tue), hemoc (donne), etc.
La langue basque n’a rien reçu des autres langues ; elle ne leur a rien communiqué : elle est vierge ; mais elle est très bornée, parce que ce peuple, étranger à tout ce qui n'était pas besoin de première nécessité, n’avait des mots que pour exprimer ce dont il ne pouvait pas se passer ; elle est très brève, parce qu’elle ne contient point d’articles, ils sont sous-entendus dans les phrases, mais leurs substantifs et leurs verbes sont très longs ; on remarque pourtant dans cette langue une certaine richesse d’expressions dans les mots qui servent à désigner ce que dans la nôtre nous appelons d’un même nom ; c’est ainsi, qu’entre-autres exemples, ils appellent une chemise de femme mantarra, lorsque celle d’un homme est nommée attorra.
La sœur d’une autre sœur se nomme ahispa, celle d’un frère s’appelle areiba.
L’inversion des mots est usitée dans la langue basque, comme elle l’est dans la langue latine, et ne contribue pas peu, ainsi que l’absence des articles, à rendre son étude difficile et presqu’impossible aux étrangers.
Le langage métaphorique est fréquent dans l’idiome basque ; un amoureux s’y désigne par le mot chenargaia, qui veut dire, étoffe de mari, chenara (mari), gaia (étoffe) ; un papillon se nomme atcha lilia, atcha (haleine), lilia (fleur), haleine des fleurs.
Le mot élégant escarikasqui (merci), veut dire littéralement (assez de remerciements), assez, est pris ici pour beaucoup, ou comme si on voulait dire : Je ne saurais vous faire assez de remerciements ; ce mot frappe les étrangers en raison de sa consonance.
JEUNE FEMME BASQUE AVEC FOURCHE 1828 |
Le mot chismista, qui veut dire éclair, peint la vivacité de ce météore, et ses saccades tranchantes.
Our-siria désigne le tonnerre, ainsi que le mot orsantsa qui est plus limitatif ; mais le mot our-siria peut s’expliquer par (cheville d’eau), et dans le principe il s’appliquait, sans doute, à quelque phénomène météorologique, on avait observé qu’à la suite d'un orage un débordement de pluie devait résulter comme d’une écluse dont on aurait ôté la cheville qui contenait ses portes.
Les noms des jours de la semaine des Français, ont été pris des Romains ; les cinq premiers sont désignés par les noms des planètes, nommées elles-mêmes, pour la plupart, par les noms des divinités païennes : lundi dies Lunae, mardi dies Martis, mercredi dies Mercurii, jeudi dies Jovis, vendredi dies Veneris, samedi dies Saturni, et enfin le dimanche fut consacré au rédempteur du monde dies Domini ; les mois sont en partie dans la même catégorie, ou dédiés à des empereurs jusqu’au neuvième, qui jadis était le septième.
En basque, l’année se nomme ourtia, les mois ilateac ; mais la semaine n’était très positivement pour eux que de trois jours : asté léena (lundi), asté (semaine), léena (premier), asté artia (mardi), littéralement (entre la semaine, au milieu de la semaine), asté askena (mercredi), le dernier de la semaine ; ils ont depuis créé des noms pour exprimer les autres jours, orce ouna (jeudi), orcidalia (vendredi), ebic couetça (samedi), iandia (dimanche). J’ignore comment on pourrait expliquer ces mots : ouna veut dire (bon), et dalia veut peut-être dire (mauvais), ian veut dire (mange), de iatera (manger) ; un jeûne précédait sans doute le dimanche, ce qui paraîtrait venir de la religion des Juifs, et ce mot iandia semble être moitié latin ; ian (mange), dia (dies), jour où l’on mange.
Une autre preuve de la courte durée de la semaine, se tire de l’expression par laquelle les Basquaises désignent leurs maladies périodiques, asté gaitsa (mauvaise semaine).
Sans se refuser les jouissances dont ils ont eu connaissance par la suite, les Basques n’ont point créé de mots pour le désigner ; ils se sont contentés d’admettre les noms qu’ils ont entendus, en les terminant par la voyelle A, qui est familière pour la terminaison de la plus grande partie de leurs substantifs ou par ac et ec, qui désignent chez eux les pluriels ; ainsi, fourchetta, servietta, cuillera, ou fourchettac, serviettac, cuillerac, se font entendre sans interprétation ; mais les couteaux, ou du moins ce qui, avant la découverte du fer, en tenait lieu, leur étaient connus : canitac est le mot par lequel ils les désignent.
BASQUE AVEC TAMBOURIN 1828 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ce qui pourrait étonner, c’est que les Basques aient créé un mot pour désigner la poudre, bourboura, mot ronflant et assez expressif ; ils ont aussi nommé un fusil, alcosa ; il n’y a point de nom pour les canons. Je serais porté à croire que, vu l'importance dont pouvait être pour eux ce nouveau moyen de défense, si précieux dans leur position, ils n’ont pas hésité de l’adopter comme leur appartenant ; car il ne peut m’entrer dans l'esprit qu’un peuple aussi simple dans son origine, ait pu avoir eu jadis connaissance d’un produit des arts, dont la découverte ne date, pour nous, que du 14e siècle.
On pourrait, je crois, se faire une idée de la première religion des Basques, par leur langage même, et par les mots qu’ils avaient pour désigner la divinité : Guincoa ( Dieu), prouve qu’ils avaient une idée d’un être suprême, mais d’un rang trop élevé, pour le désigner métaphoriquement. Le mot Jesous-Christ indique qu’ils ne connaissaient pas le Christ, ni le Saint-Esprit, Spiritou-Chaindia ; ce mot chaindia est trop rapproché de celui par lequel on exprime les saints, pour être d'origine basque.
La vierge Marie leur était toute aussi inconnue ; ils la nomment andredena Maria ; andria, edera, Maria (mademoiselle belle Marie), le mot edena pris sans doute pour edera (belle).
Paradisa (paradis), ifernoua (enfer), purgatoria (purgatoire ), sont des mots français ; cerouia (ciel), originairement peut-être coelouia, de coelum ; otoitsac (prières), nom adoptif venu du mot otoitcen-citout (je vous prie), prouvent que les Basques n’avaient originairement aucune idée d’une autre vie ; ils connaissaient cependant le diable, et même ils le nomment dans leur jurement habituel, c’est à peu près le seul qu’ils aient, debrin bisaia (visage du diable), debri pola (le diable m’emporte).
Le soleil se nomme iousquia ; la lumière, arguia ; et la lune, métaphoriquement, il arguia (lumière éteinte, ou lumière tuée.)
Elisa (église), est sensiblement basquisé ; ion artora (monsieur le curé), vient de rector, recteur ; ion est un diminutif de ionab, qui veut dire monsieur.
Les Basques ont conservé un costume uniforme, qui est approprié à leur manière d’être : les hommes mariés se distinguent par le dessus du surtout qui est de couleur noire, doublé de rouge ; ce surtout est plus allongé que celui des garçons, qui est très court, et de couleur rouge dessus et dessous ; tout le reste du costume des hommes mariés est semblable à celui des garçons ; le gilet de dessous est rouge comme le surtout ; ils portent une large et longue ceinture, tournée plusieurs fois autour des reins et du ventre, elle est de couleur diaprée, mais le rouge y domine ; la chemise, toujours bien blanche, n’est, point boutonnée ; un mouchoir de couleur, attaché avec un seul nœud autour du cou, ne le serre point, et le nœud flotte sur la poitrine ; la culotte est noire, ou blanche, ou bleue, elle est ouverte aux jarretières et n’est point boutonnée en cet endroit.
FEMME BASQUE AVEC CRUCHE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le Basque ne porte point de bas, il se sert de guêtres tricotées, dont la patte recouvre légèrement le couvre-pied pardessus les espartilles, elles sont fixées au-dessous du genou par des jarretières ordinairement rouges.
Les espartilles sont leur chaussure favorite ; elles sont faites en grosse toile, cousue sur des semelles de chanvre tressé, et sont retenues au pied par des rubans étroits, en laine rouge ou bleue, formant un X sur le couvre-pied.
Une barrette bleue termine l’ajustement du Basque, il y a des lieux où on a adopté la couleur brune avec une loupe pendante en soie noire, comme dans la Soule et ailleurs, mais c’est par dérogation à l’ancien costume.
Le costume des femmes ne ressemble plus à celui qu’elles portaient originairement, et là, comme ailleurs, le désir de plaire leur a fait admettre des changements ; l’ancien costume était lourd et peu favorable au développement des formes et des traits : c’était une serviette pour coiffe, une serviette pour voile, un surtout bleu, etc. ; elles n’ont point aujourd'hui de costume fixe et se coiffent élégamment de mousseline ; mais la manière d’arranger celle coiffure est très soignée : elles laissent le front à découvert ; et les Basquaises mettent beaucoup d’art à tresser leurs cheveux, et à les relever sur le derrière de la tête, à la manière des Chinois ; un voile aujourd’hui tout noir leur couvre la tête et les épaules quand elles sortent, ou qu’elles se parent."
FEMME BASQUE AVEC PARAPLUIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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