L'AFFAIRE DE LA VILLA FAZENDA À BIARRITZ EN 1950.
En 1950, une affaire étrange défraie la chronique à Biarritz.
Voici ce que rapporta à ce sujet dans plusieurs éditions, le journal Qui ?
- le 6 février 1950, sous la plume de Marcel Carrière :
"Invocation nocturne.
La reconstitution de la nuit du 2 octobre 1949, dans la chambre des époux da Silva Ramos, au premier étage de la villa Fazenda, à Biarritz, se déroulait à la façon voulue par le juge d'instruction, M. Max Pech. C'est-à-dire à huis clos.
Devant la porte d'entrée, cinquante journalistes battent la semelle sous une fine pluie de neige fondue. Ils attendent, victimes expiatoires et volontaires, que survienne quelque événement digne d'être diffusé dans le monde entier, Ils se surveillent étroitement. Dans ce rude métier, la moindre défaillance est impardonnable. Ils sont capables de passer ainsi des heures devant une porte close. Ce qu'ils font.
VILLA LA FAZENDA BIARRITZ 1950 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ce mardi 24 janvier, ils en étaient à leur huitième heure d'attente stérile, quand survint parmi eux un personnage étrange, fille d'Eve par l'habit, baryton par la voix : la pythonisse de pays basque Elyane-Christiane. Les uns l'appellent la "folle de Biarritz" ; les autres, Mlle Caricaburu. Elle seule pourrait donner son véritable nom, puisqu'elle est voyante.
Elle prit donc racine devant la Fazenda. La nuit venue, elle s'est approchée du mur de la villa, a tendu son bras vers les fenêtres du premier étage et s'est mise à hurler :
— Procureur ! ô mon procureur ! Délivrance pour Joas !...
Nul ne saura jamais si le procureur (en l'occurrence M. Lafont, un bel homme élégant et sympathique) entendit cet appel. En tout cas, il demeure certain qu'il n'en fit jamais état.
Du moins, ce jour-là. Mais l'au-delà, en la personne de Caricaburu, ne désespère pas. C'est elle-même qui le proclamait, à 9 heures du soir, sous l'éclat du magnésium photographique.
— Je suis sûre d'avoir été entendue ! La parole, désormais, est au procureur Lafont."
NON-LIEU POUR DA SILVA DETECTIVE DU 13 FEVRIER 1950 |
- le 13 février 1950 :
"Liberté conditionnelle accordée à Joas. Prélude au non-lieu pour Da Silva.
Biarritz (de nos envoyés spéciaux).
Ainsi, comme nous n’avons pas cessé de le demander depuis le début de cette affaire, les portes de la Villa Chagrin se sont enfin ouvertes devant Joas da Silva. Discrètement, il est vrai. En outre, la justice a estimé à 1 500 000 francs le droit, pour da Silva, de retrouver une liberté qu'à nos veux, comme au regard du bon sens, il n'aurait jamais dû perdre.
Mais on se demande avec une certaine angoisse combien de temps un pauvre diable (tout le monde ne possède pas un million et demi, que je sache) aurait moisi dans un cachot ; on se demande combien de preuves de son innocence il eût dû accumuler pour obtenir cette faveur d'être, enfin, considéré comme "susceptible de n'avoir pas commis de crime". Pourtant, les données eussent été les mêmes, et semblables les raisons d'offrir à un homme injustement accusé la chance de se disculper définitivement.
La caution, en matière légale, se justifie : mais jamais un chèque n’a suffi à laver l’honneur d’un homme. Maintenant que les magistrats à l'impartialité, desquels je tiens à rendre hommage ont reconnu la fragilité des dossiers sur lesquels ils se sont penchés, il ne leur reste plus qu’à ouvrir toutes grandes ces portes qu’ils n’ont fait qu’entrebâiller. Un non-lieu, loin d’administrer la preuve de leur impuissance, affirmerait au contraire, aux veux de tous, qu’ils n’ont jamais perdu le sens de la justice. Je sais bien qu’il leur faudrait alors fermer les oreilles à toutes les vociférations de ceux qui voient du crime partout, bâtisseurs d’hypothèses, distillateurs de venin, thuriféraires de cette enfant du demi-siècle qu’on appelle la littérature noire. Mais je les sais aussi assez forts pour laisser hurler ces petits loups.
Après les tempêtes des reconstitutions, des interrogatoires, des expertises et des confrontations, les magistrats se retrouvent dans le calme de leurs bureaux, face à face avec leur dossier du premier jour, un dossier sur la couverture duquel le nom de Joas da Silva Ramos ne doit plus être suivi de la mention : Homicide volontaire.
La mise en liberté provisoire de da Silva n'implique certes pas que l’affaire est terminée, car la mort de Monique da Silva Ramos doit être expliquée. On ne peut pas tirer un trait sur ce drame et retourner vers d’autres tragédies. Mais il faut, débarrassé de l’obsession du crime, démêler cet étrange imbroglio de la Fazenda avec sérénité.
Une femme est morte dans des conditions suspectes ; ces suspicions doivent être balayées. Qui, mieux que le principal témoin de cette mort, Joas da Silva Ramos, pourrait aider à cette besogne ? Car, enfin, qui, plus que lui, aurait intérêt à ce que toute la lumière éclate enfin ? On a fait, de tous côtés, de ce mari bafoué, de ce père douloureux, un criminel machiavélique, une espèce de monstre de Grand-Guignol. On a simplement oublié, dans l’ardeur de la haine, qu'il était, après tout, lui aussi une victime.
La justice tient en lui un témoin de bonne foi. Comme elle l’a déjà fait, qu’elle l’interroge et l’interroge encore. Il est là pour répondre. Il ne s’est jamais dérobé et ne se dérobera pas. La partie civile a pu s’adjoindre l’extraordinaire avocat René Floriot, Joas da Silva n’a rien à craindre de ce nouvel adversaire de grande classe parce que Joas da Silva est innocent. Et si Me Floriot réussit à expliquer la mort de Monique, Joas respirera enfin librement. Car il n’est ni juge, ni détective, ni expert ; c’est à lui qu’on doit des preuves, ce n’est pas à lui de les administrer.
Il a dit, il a répété, pendant quatre mois, tout ce qu’il savait. Au cours des trois reconstitutions de la Fazenda, personne n’a pu contredire ses dépositions, personne n’a pu trouver une faille dans ses déclarations, personne n’a pu lui dire qu’à quelque moment que ce soit il avait menti.
D’autres témoins de cette nuit du 2 octobre maintiennent des déclarations contradictoires entre elles, mais pas contradictoires avec celles de Joas da Silva. Je suis bien obligé de conclure que da Silva n’a jamais menti, qu’il ne s’est jamais dérobé...
Une demi-heure après avoir quitté la Villa Chagrin, au milieu d’une foule qui ne lui ménageait pas ses marques de sympathie, il voyait se précipiter vers lui, bras tendus, dans le hall de la Fazenda, unE petite poupée blanche et rouge qui criait : "Mon papa !... Mon papa !..."
Le père s’est penché sur Paméla, dont les veux riaient. Il l’a levée jusqu’à son visage.
JOAS DA SILVA ET SA FILLE PAMELA BIARRITZ 1950 |
Ses yeux, à lui, soudain, s’étaient voilés de brume. Cette enfant qu’on lui disputait avec une âpreté tenace, il la tenait enfin contre son cœur.
Le lendemain, un dimanche, Paméla et son père se sont promenés, seuls, dans le parc de la Fazenda. C’est à ce moment que je les ai rencontrés. Da Silva souriait : l’ex-prisonnier voulait goûter aux premières joies de la liberté avec l’être qu’il chérit le plus au monde. Paméla, en tanguant sur l’herbe humide, a couru vers la maison. Joas da Silva m’a tendu la main.
— Je sais que votre journal a été le plus objectif de tous. Je tiens à l’en remercier. On a déversé sur moi et sur les miens un tel torrent d’injures qu’il m’est enfin agréable de parler à quelqu’un qui ne me prend pas pour un criminel.
Puis il est allé rejoindre sa fille. Je les ai vus entrer tous deux dans la Fazenda. Ils se tenaient par la main.
Il n’y avait, dans le ton des paroles qu’il m’avait dites ; aucune haineuse résonance. A peine un écho de pitié.
Joas da Silva, profondément chrétien, pardonne à tous ceux qui l’ont attaqué. Il n’y a dans son cœur pas plus de sentiment de vengeance qu’il n’y en avait le jour où il fit dire une messe à la mémoire de sa femme adultère, en l’église des Visitandines, à Passy.
C’était le 4 novembre 1949, jour anniversaire des vingt et un ans de Monique. Il était revenu spécialement d’Angleterre pour cette commémoration. Ne voulant pas se dérober un instant aux obligations que lui imposait la justice, en la personne de M. Max Pech, juge d’instruction, il l'avait averti de sa venue à Paris. C’est pour cette raison que la messe fut suivie, ce jour-là, par un discret inspecteur de police.
MAX PECH JUGE D'INSTRUCTION BIARRITZ 1950 |
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