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mardi 15 juin 2021

L'AFFAIRE DU "MARIAGE DE RENTERIA" EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1856 (quatrième partie)

 

"LE MARIAGE DE RENTERIA" EN 1856.


En 1856, est jugée à Paris une affaire de mariage de Français à l'étranger.



pais vasco antes guipuscoa
RENTERIA 1931
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Droit, le 26 juillet 1856 :



"Tribunal Civil de la Seine (1re Ch.) Présidence de M. Debelleyme. Audience du 23 juillet. 


Succession de M. J.-P. Pescatore. — Demande en compte, liquidation et partage de la Communauté et en délivrance de legs formée contre les héritiers, par Madame Veuve Pescatore. — Demande reconventionnelle en nullité du mariage contracté en Espagne par M. Pescatore et Madame Weber. — Conclusions du Ministère Public.





"...Après cette déclaration si loyale, si mesurée que nous devions faire connaître au Tribunal, nous avons plus que jamais le droit de dire : Non, les parties contractantes n’ont point eu la volonté d’éluder la loi et de revenir avec un acte étranger qui prévalut contre elle ; non, l’auguste dépositaire de leurs pensées les plus secrètes n'a pu leur donner ce triste conseil. Sa conscience le lui aurait interdit, et son honneur s’indigne quand on l'en soupçonne.



Si la question d’intention est ainsi tranchée d’une manière éclatante eu 1851, que m’importent les actes qui peuvent suivre ? Et d'ailleurs, où trouve-t-on dans les années qui s’écoulent depuis 1851, jusqu’au décès de M. Pescatore, un démenti donné à cette intention si nettement formulée ? Sera-ce dans la correspondance de la famille ? Sera-ce dans le testament de M. Pescatore? La correspondance, je la tiens pour indifférente. Le testament, j’y vois la confirmation la plus éclatante de l’intention qui présidait à l’acte de Renteria. Deux mots encore sur chacun de ces points, et j’en ai fini avec cette grande question préjudicielle.



La correspondance atteste que les héritiers ont connu l’acte de Renteria, que M. Pescatore leur en a fait part lui-même et qu’ils ont adressé à leur oncle, comme à Mme Weber, de nombreuses félicitations. Celle-ci a pris ou gardé dans le monde le nom de Mme Pescatore, et la famille lui a même donné le titre de tante. Mais nulle part M. Pescatore ne dément l’intention que nous avons constatée au moment de la célébration de l’acte de Renteria. Il devait trouver, dans le devoir pieux qu’il avait accompli, des raisons suffisantes pour présenter partout Mme Weber comme sa femme, et devant deux personnes qui avaient voulu sincèrement recevoir le sacrement de l’Eglise, qui s’étaient inclinées devant le prêtre pour effacer une faute, les héritiers ne pouvaient tenir un autre langage que celui que leur prête la correspondance.



Est-ce qu’aux yeux du monde le plus frivole, aux yeux des sceptiques eux-mêmes, le lien civil est tout dans la vie ? Est-ce qu’après avoir été fondée, façonnée pendant tant de siècles par le christianisme, la société n’entoure pas de ses respects le lien religieux que deux parties contractantes ont formé ou ont cru former ? Y en a-t-il beaucoup qui croiraient avoir tout fait quand ils ont été seulement devant l’officier civil ? Il suffisait donc que l’acte de Renteria eût au moins l’apparence de l’engagement religieux, pour que les héritiers, qui pouvaient d'ailleurs en ignorer les vices, s’inclinassent avec respect devant lui. La correspondance s’explique donc d’elle-même, sans qu’on puisse affirmer que M. Pescatore ait voulu annoncer à ses neveux, et que ceux-ci aient voulu reconnaître, un mariage civil contredit par tout le passé dont j’ai parlé.



Quant au testament, ce grand acte de la volonté dernière, où M. Pescatore a consigné minutieusement, et à plusieurs reprises, chacune de ses pensées, il démontre clairement, selon moi, que son auteur ne croyait pas aux effets civils de l’acte de Renteria. Lui, l'homme instruit, rompu aux affaires, déjà marié une première fois, ne pouvait ignorer qu’en l’absence du contrat notarié, la communauté des biens est la conséquence nécessaire du mariage civil. Or, à chaque ligne il proteste contre un semblable résultat. Tout dément chez lui la pensée d’une communauté, et les legs qu’il fait à Mme Weber et ceux mêmes qu’il fait aux héritiers. A Mme Weber, il lègue un capital de 500 000 fr., un cinquième du vermeil et de l’argenterie, les meubles de sa chambre à Paris et à la Celle, l’usufruit du mobilier de la Celle : il interdit à ses héritiers de lui demander compte des dettes qu’elle aurait contractées pour le ménage. De bonne foi, est-ce qu'on fait de semblables dons à celle qu’on croit commune en biens et qui a droit, non pas à ces parts restreintes, mais à la moitié de l'opulent héritage ? Puis à ses neveux et nièces, il va léguer l’universalité des biens communs sans se préoccuper d’un droit de co-propriété auquel il n’a jamais cru : à Mme Dutreux, il donnera la nue-propriété de la Celle ; à Guillaume Pescatore, la terre de Giscours ; à Mme de Scherff, l’hôtel de la rue Saint-Georges ; à Mme Beving, deux cents actions de Décize ; à la ville de Luxembourg, des capitaux considérables. Où est chez lui la pensée d’une communauté dont la moitié serait indisponible ? S’il ne la voit nulle part, et s’il savait qu’elle était cependant la conséquence fatale d’une union accomplie sans contrat notarié, c’est qu'à la veille de sa mort, comme au 8 novembre 1851, il ne voulait point des effets civils de la loi française et n’y avait jamais cru.



Je crois, quant à moi, à cette volonté dernière, si nettement, si catégoriquement exprimée ; je crois que, lorsqu’il faisait à Mgr de Bordeaux et pour ses pauvres ce legs pieux de 20 000 fr., afin de le remercier de l’avoir fait entrer dans le giron de l’Eglise (ce sont là ses expressions), il appréciait sainement ce qu’il s’était proposé dans le passé. A ce moment suprême, on ne s’illusionne ni sur la situation qu’on s’est faite, ni sur celle qu’on a faite à d'autres. La femme qu’il avait aimée, qu’il aimait encore, était là d’ailleurs, à genoux près du chevet funèbre, une main dans sa main, devant la famille assemblée : à chaque codicille nouveau sa part s’est augmentée, à chaque page du testament, elle a été nommée ; elle résumait et rappelait au mourant toute sa vie, sa vie dont les actes lui apparaissaient plus nettes aux clartés de la dernière heure, et jamais il ne songea à cette qualité de femme commune, de femme civile, qu’elle revendique aujourd’hui.



Ainsi la question d’intention est définitivement vidée. La volonté des parties éclate, avant, pendant, après l'acte de Renteria. Leur attitude vis-à-vis de la famille ne la dément pas, et le testament la confirme. Or n’est-ce rien, messieurs, que d’avoir établi ce point lorsqu’il s’agit de juger un contrat aussi solennel que le mariage ? Qu'on ne soit point admis à faire valoir des restrictions mentales contre le consentement une fois donné , c’est évident ; mais lorsqu’il est démontré que les contractants ont voulu fuir la loi française, pourquoi leur en accorder les bénéfices ? Lorsqu’il est prouvé qu’ils n’ont passé la frontière que pour demander la bénédiction religieuse, pourquoi leur demander au-delà du but qu’ils se sont proposé ? Pourquoi leur ouvrir d’autres portes que le temple, lorsqu’ils ont voulu n’entrer que là ? Pourquoi lorsqu’ils ont fait eux-mêmes leur pari, leur en choisir une autre ? Le lien civil, ils ont protesté contre lui : or, comme leur consentement seul pouvait l’engendrer, je ne vois pas comment vous pourriez leur imposer après coup ce second, ce nouveau contrat dont ils n’ont pas voulu.



Voilà, messieurs, mon premier argument. Il est puisé exclusivement dans les faits, et il donne la vraie physionomie de cette étrange affaire. Abordons maintenant le terrain du Droit pur, et discutons l’acte de Renteria à un triple point de vue. Qu’est-il au point de vue du Droit espagnol ? qu’est-il au point de vue de notre Droit privé ? qu’est-il au point de vue de notre Droit public ? Le Droit espagnol, c’est la législation canonique ? notre Droit privé, c’est le Code Napoléon ; notre Droit public, c’est le concordat.   



Le Droit espagnol, c’est le Droit canonique dans toute sa pureté. En 1837 comme en 1823, les Cortès ont déclaré lois de l’Etat les prescriptions disciplinaires du Concile de Trente. C’est donc la où il faut remonter pour trouver la loi applicable à un mariage espagnol, sauf ensuite à demander aux canonistes comment la jurisprudence a interprété et complété les décisions du Concile ; sur ce terrain, les deux adversaires ont invoqué de part et d’autre les témoignages les plus respectables, et présenté des consultations opposées.



Rien n’est plus facile, en effet, milieu des immenses monuments que présente le Droit canonique, que de trouver sur des questions de détail un texte pour et contre. Mais le Droit canonique a, au milieu de sa variété même et comme le Droit coutumier à côté duquel il a vécu si longtemps, un ensemble de principes formant cette loi de Droit commun dont parlait Dumoulin. C’est ce Droit commun seul qu’il faut dégager, messieurs, sans se perdre dans la variété des espèces, sans opposer des noms à d’autres noms, et en pesant les raisons, quels que soient les auteurs.



Avant le Concile de Trente, les unions clandestines étaient prohibées par l’Eglise. Celle-ci avait élevé le mariage à la hauteur d’un sacrement ; mais comprenant toute la portée sociale de ce contrat solennel, elle éditait des peines contre ceux qui le contractaient dans l’ombre. Néanmoins, les unions clandestines se multipliaient, et le Concile de Trente, voulant guérir énergiquement cette plaie, déclara que la clandestinité serait une cause radicale de nullité. Appliquant les conséquences de son principe, il prescrivit de ne marier les vagabonds (vagi) qu'après de minutieuses informations (s. cl.24, ch. 8), et astreignit ceux qui avaient un domicile à ne contracter mariage que devant leur propre curé ou le prêtre ayant une licence de l’ordinaire...



Ainsi le ministre du sacrement doit être le prêtre, sacerdos. C’est au nom de ce premier titre qu'il marie : Conjungo vos...et je ne fais nulle difficulté de reconnaître, avec le défenseur de Mme Weber, que ce cachet sacerdotal, qui donne au moins le pouvoir virtuel de conférer tous les sacrements, est indélébile et universel. Le magistrat, l’officier de l'état civil, l’homme de la loi humaine en un mot, est radicalement incompétent en dehors du territoire pour lequel la mission lui fut confiée, et il n’y a pas de licence ou de délégation du juge local qui puisse l’habiliter en dehors de sa circonscription. Le prêtre, au contraire, porte son caractère sacerdotal et les pouvoirs virtuels qui y sont attachés partout avec lui. Le sceau qui l’a frappé ne tombe pas à la frontière de son pays : en tant, que prêtre, il n'est ni Anglais, ni Français, ni Italien, ni Espagnol, il est de l’Eglise catholique, c’est-à-dire de l’Eglise universelle. Pour lui, il est vrai de dire qu’il n’y a pas de Pyrénées : prêtre en deçà, prêtre au delà, un prélat français aurait donc, eu vertu du caractère sacerdotal que le temps et les lieux ne changent pas, le pouvoir virtuel de marier à Renteria.



Mais cette première condition, le titre sacerdotal, suffit-elle aux termes de la prescription du Concile ? Non ; il faut en outre que le prêtre qui marie soit le parochus ou qu’il ait la licentia parochi vel ordinarii ; en un mot, il faut que le prêtre qui marie soit le curé des parties ou qu’il ait reçu la délégation ou la permission du curé. Pourquoi ? parce qu’à côté du droit virtuel il y a le droit en exercice, et que si le titre sacerdotal est universel et reste le même en tout lieu, la juridiction disciplinaire est locale et a des limites parfaitement définies. Ainsi le parochus est le grand surveillant de sa paroisse ; nul ne peut marier chez lui ou marier les siens sans lui en référer. Est-ce pour lui demander la délégation de son titre sacerdotal ? Nullement : ce titre-là ne se délègue pas ; mais c’est pour l’avertir des actes de ses paroissiens, et parce que personne ne peut procéder vis-à-vis d’eux sans son autorisation.



C’est cette obligation d’en référer au parochus ou à l’ordinaire, qui constitue la vraie publicité. Tout ce qui se fait à l’insu du parochus, sans lui ou sans sa permission, tout cela est clandestin. Lui seul est censé connaître les empêchements au mariage : si vous le fuyez, vous fuyez la publicité. Il doit être le vrai, le sérieux témoin du mariage, qu’il y assiste matériellement ou qu’il donne simplement la licence ou la permission. Son intervention nécessaire se comprend d’ailleurs et à merveille : sa juridiction limitée, locale, de parochus, lui permet de connaître la situation réelle des parties et d’affirmer leur capacité relative au mariage.



S’il en est ainsi, tout s’explique et il n’y a plus à équivoquer sur le sens du mot licentia traduit si souvent par le mot delegatio. Le prêtre, en tant que prêtre, a le pouvoir naturel de marier : il ne peut mettre ce droit en exercice que s’il est parochus, ou que s’il a la licentia parochi vel ordinarii, l'autorisation de l’ordinaire. Cette autorisation peut être accordée ou refusée. Si on l’accorde. il n’y a pas, à vrai dire, mandat, et ce n’est pas le déléguant qui marie. Le délégué est le seul prêtre qui marie : il donne la bénédiction nuptiale au nom de Dieu dont il est le représentant, et jamais au nom du déléguant. Seulement, pour faire cet acte du ministère ecclésiastique, sur le territoire d’une paroisse qui ne serait point la sienne, ou vis-à-vis de parties qui ne seraient point ses paroissiens, il lui faut l'autorisation ou la licence de l’ordinaire.



Ainsi le principe posé par le Concile de Trente est indiscutable : pour être officier compétent ministre du sacrement de mariage, il faut être prêtre, propre curé des parties ou autorisé de l’ordinaire : Sacerdos, proprius parochus, vel licentia ordinarii. Si le ministre du sacrement n'est pas cela, l’incompétence est radicale, et la nullité est absolue.



Mais le Concile de Trente posait des principes et ne pouvait discuter des détails. Il traçait des règles générales pour l’Eglise universelle, mais laissait à chaque église ou à chaque pays le soin de décider, selon les mœurs et les usages locaux, à quels signes, en fait, on reconnaîtrait l’ordinaire. C’était la une pure question de domicile ou de résidence, car le fait du séjour peut seul constituer le lien paroissial. Sur ce point, il faut le dire, il y eut des divergences dans le Droit canonique : les uns voulurent un temps assez long pour établir l’ordinaire, les autres se contentèrent d’un délai plus court : les uns furent plus sévères, et les autres plus larges. Ce sont là les deux tendances éternelles de l’esprit humain ; elles se retrouvent dans l’interprétation de toutes les législations.



La France acceptait toutes les décisions du Concile de Trente relatives à la foi ; elle repoussait une grande partie de ses règles disciplinaires. Seulement, avec cet esprit net et pratique qui a toujours distingué ses jurisconsultes et ses canonistes, elle comprit toute la salutaire portée du titre relatif aux mariages clandestins, où le Concile, en se montrant si sévère, n'avait fait que suivre l’impulsion des prélats français : elle traduisit cette sévérité dans ses édits.



Reproduisant sur ce point toutes les dispositions du Concile, elle arrive à trancher en fait la question du domicile dans un sens net et précis, et n'admet la constitution de l’ordinaire que par un séjour de six mois ou d’un an : six mois pour ceux qui changent de paroisse sans changer de diocèse, un an pour ceux qui viennent d’un autre diocèse.



...Nous connaissons maintenant et le principe du Concile dE Trente, et comment les deux branches de la jurisprudence canonique ont tranché la question de l’ordinaire ; voyons l’application de ces règles aux faits de La cause, et s’il est un biais, un seul 0 l’aide duquel la validité canonique de l’acte de Renteria puisse se soutenir.



1° Les parties contractantes ne sont point vagi, dans la classe de ceux que le prêtre ne doit marier qu’après de très minutieuses informations. A elles ne s’applique point la section 26 du chapitre VII. Elles ont un domicile en France ; c’est donc la section 24 du chapitre 1er qui devient leur loi, et qui fixe la règle de compétence.

2° Les parties séjournent trois heures à Renteria dans la journée du 8 novembre 1851. Le curé de Renteria est prêtre sacerdos, mais il n’est pas leur parochus ; à lui seul il est donc incompétent pour les marier, comme il le serait également vis-à-vis de deux Espagnols qui n’auraient passé qu'un jour à Renteria ;

3° Cette incompétence radicale est-elle couverte par l’autorisation que lui donne l’évêque de Pampelune ? Non, évidemment. Les parties n’ont jamais séjourné dans le diocèse de Pampelune. L’évêque de cette ville serait aussi incompétent pour les marier que le curé de Renteria. Son autorisation est donc sans force et sans portée.

4° L’incompétence du curé de Renteria s'effacera-t-elle devant la licentia de l’archevêque de Bordeaux ? Oui, si l’archevêque de Bordeaux est l'ordinaire des parties ; non, s’il n’est pas leur ordinaire.



Or, Mgr de Bordeaux ne saurait être considéré comme l’ordinaire de M. Pescatore et de Mme Weber à aucun point de vue, ni d’après la discipline canonique de la France, ni même d’après la jurisprudence plus large de l’école italienne. 



Il s’agit de savoir si les parties ont eu leur ordinaire à Bordeaux, c’est-à-dire dans la circonscription d’un diocèse français. En vertu du principe : Locus regit actum, cette question ne peut être tranchée que par la loi du lieu où l’on prétend avoir résidé, c’est-à-dire dire par la loi cas canonique constamment pratiquée en France. Cette loi exige une résidence d’au moins six mois pour constituer l’ordinaire : les parties n’ont jamais résidé ce temps à Giscours. Donc l’ordinaire n’a point été constitué..."



Suite et fin dans un prochain article...



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