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samedi 19 juin 2021

UNE PALOMBIÈRE À SARE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1893 (première partie)

UNE PALOMBIÈRE À SARE EN 1893.


Le village de Sare peut s'enorgueillir depuis une époque immémorable de posséder une des plus belles, sinon la plus fameuse chasse aux pantières (filets verticaux) des cols Pyrénéens.


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REPARTITION DES PALOMBES SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal des débats politiques et littéraires, le 21 octobre 1893, 

sous la plume de René Bazin :



"Le Pays Basque. La palombière de Sare.



Je descendais, non pour la première fois, le chemin qui longe le golfe de Gascogne et mène vers l'Espagne. Comme nous le faisons tous, en pareil cas, je songeais plus souvent à Théophile Gautier, aux combats de taureaux, aux œillets d'Espagne et à la fameuse lettre, impossible à prononcer, le j de ce pays guttural. Les trente mots d'espagnol, que la vie nous oblige à apprendre, tournaient autour de moi, et j'aurais dit volontiers à ce voisin d'en face, immobile et si calme dans ce rapide : "Senor caballero", pour le plaisir d'entendre sonner des syllabes étrangères. J'éprouvais aussi une joie, et comme un sentiment de délivrance, de ne plus être emprisonné entre deux murailles de forêts de pins, de revoir, couvrant la terre et les arbres, une verdure plus proche de nous, puisqu'elle change. L'embouchure de l'Adour me paraissait exquise, malgré la pluie. 



C'était Bayonne



"Allons, pensai-je, il faut maintenant découvrir un euskarisant."



Personne n'ignore que l'eskuara et la langue basque sont une seule et même chose. Or, je rêvais de connaître quelqu'un qui eût fait le tour de ce parler sans origines définies, dont les hommes les plus polyglottes n'usent généralement pas et qu'on nous représente, dans les préfaces, comme "un îlot entouré de mers sans fond". Un tel savant devait être curieux et facile à trouver, relativement, dans le pays bayonnais. Je comptais sur le hasard des voyages. Il me servit fort bien et, pour me faire aimer la ville, m'envoya un poète, Louis Labat, dont j'avais lu, dans la collection Lemerre, je crois, des vers attendris et d'une si fraîche poésie. Nous parcourions la jolie ville, une des bien rares qui soient vivantes malgré beaucoup de vieux souvenirs et des murs de forteresse. La grâce du Midi l'a préservée. La Nive et l'Adour lui donnent des bateaux, des marins et des mariniers, une animation de port florissant. Les équipages trottent, l'après-midi, dans les rues étroites, et, à toute heure, sous les arcades voûtées, devant les fenêtres larges composées de tant de petites vitres, une foule remuante passe, surtout des femmes du peuple, des servantes, les cheveux roulés dans le foulard de soie. Elles ne portent souvent rien du tout. Mais elles vont vite. C'est incroyable ce qu'il doit y avoir de courses à faire à Bayonne. Je pensais cela tout bas. Puis nous causions avec mon guide. 



— Avez-vous remarqué, me disait-il, l'exquise lumière de ce pays-ci ? 

— Oh ! depuis longtemps. 

— C'est sa grande beauté. Il en a d'autres. Vous devrez voir la barre de l'Adour, au Boucau, et Saint-Jean-Pied-de-Port, où l'on va peu, et l'Assomption, de Bonnat, dans une église d'ici. Vous devrez consulter aussi nos chroniques de Bayonne, tenez, simplement Bayonne historique et pittoresque, de M. Ducéré, un chercheur infatigable et heureux. Après quoi, si vous avez du temps à donner à nos anciens corsaires bayonnais... 


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TABLEAU L'ASSOMPTION DE LEON BONNAT



Ce goût du passé, chez un poète et chez un poète si jeune, réveilla la question assoupie. Quelque invraisemblance qu'il y eût, je demandai : 

— Euskarisant ? 

— Pas le moins du monde. 

—Ne pourriez-vous pas me dire, tout au moins, où passe la frontière de la langue basque, et quelle ligne elle trace exactement.... 



Il fit un geste de dénégation, en homme aimable, désolé de ne pas savoir. 

— Peut-être à Biarritz, répondit-il, trouverez-vous ce que vous cherchez. 



Je trouvai d'abord à Biarritz l'admirable paysage de mer que vous connaissez, et que les hommes n'ont pu gâter : les Pyrénées s'en allant, toutes bleues, décroissant de taille et décroissant de teintes, dans la mer un peu sombre, si loin, si loin que l'horizon semble s'être agrandi pour elles. Dans la ville, on achevait de transformer en hôtel la villa de l'impératrice. Le parc, depuis longtemps dépecé, avait pu fournir encore un morceau, très convenable, pour un établissement de bains. La petite chapelle, rachetée et sauvée de la démolition sans doute par une main pieuse, s'ouvrait discrètement à des misses anglaises qui venaient copier le dessin des dalles ou l'encadrement des fenêtres. 



J'eus l'occasion de causer aussi avec un homme très informé des choses basques. 



— Monsieur, me dit-il, le pays de langue basque commence exactement, la carte en a été faite, - à deux kilomètres au sud de Biarritz, à un moulin qui s'élève là, près de la côte. La ligne frontière traverse le chemin de fer, passe à Saint-Pierre d'lrube, à Urt, et rejoint l'arrondissement de Mauléon qu'elle englobe tout entier. En somme, deux arrondissements des Basses-Pyrénées, celui de Mauléon et celui de Bayonne, moins le chef-lieu de ce dernier, moins Biarritz également, devenu grande ville d'eaux, voilà le territoire basque. Les trois autres arrondissements sont béarnais. 



— Ce qui veut dire bien différents. 

— Oh ! tout à fait : les deux races s'entendent bien, mais ne se ressemblent pas. Le Basque est plus grand, plus fort, il a le visage plus large. Quand il sourit, observez la limpidité de ses yeux. Je connais peu de types d'hommes qui me plaisent mieux que celui du paysan basque. Il est patient, comme l'Espagnol, avec les mêmes colères terribles, à l'occasion ; travailleur, indépendant, croyant et patriote. On l'accuse d'être âpre au gain. Tous les paysans le sont, ou presque tous. Lui, du moins, ne mendie pas encore les bureaux de tabac, les places de cantonnier et d'employé de chemin de fer. II est agriculteur, marin ou contrebandier



— Plusieurs cumulent ? 

— Ceux qui le peuvent. II y a toujours eu, chez eux, un goût prononcé d'aventure. Christophe Colomb avait des Basques sur ses caravelles. Ils étaient trois mille au siège de Pavie. Ils ont fait, les premiers, la pêche de Terre-Neuve. Aujourd'hui, ils émigrent dans l'Amérique du Sud, où deux cent mille des leurs, Espagnols ou Français, sont déjà établis. 

— C'est regrettable. 

—Empêchez-le ! Ils forment à peu près le quart de la population totale des Basses-Pyrénées, - on en compte une centaine de mille -, et fournissent les deux tiers des émigrants. Plus de deux mille personnes, chaque année, s'embarquent pour Montevideo, Buenos-Ayres, la Plata. C'est une sérieuse perte, vous le voyez, heureusement compensée, en majeure partie, par la natalité. C'est également, un sujet d'observations curieuses. Les rapports officiels ne cessent de s'étonner, par exemple, de ce qu'un département "qui ne figure pas au dernier rang sur les tableaux de la richesse publique", selon le langage administratif, envoie à l'étranger un si grand nombre de ses enfants. Mais la misère n'est qu'un de nos agents d'émigration. La propriété en est un autre, ou mieux le désir de ne pas voir émiettée ou vendue la petite terre patrimoniale. Elle est léguée au fils aîné ou à la fille aînée, et les cadets, réduits à leur stricte part légitime, apprennent un métier et s'expatrient. Ils deviennent Américains, ou Indiens, comme on dit dans nos montagnes, les uns pour dix ou quinze ans, les autres pour toujours. Ce ne sont pas des pauvres, même avant de partir. Quelque fois l'inverse se produit. L'héritier futur quitte seul ses parents, travaille en pays étranger, amasse de quoi racheter à ses frères et sœurs leur part de l'héritage paternel, et rentre riche au foyer, qui sera sauvé par lui de l'inévitable ruine. Je vous conseille, Monsieur, de tenter vous-même l'expérience et d'entrer, avec un ami, dans une de ces confortables maisons basses, à toits écrasés et débordants, construites pour résister aux vents de mer et aux orages, et qui couvrent la campagne... 



— Pas autour de Biarritz

—Un peu plus loin. Vous verrez qu'il y aura toujours un fils "aux Indes". Cela me paraît être une des principales originalités persistantes de ce peuple qui en eut beaucoup d'autres : il tient pour la conservation de la maison et des champs paternels ; il rétablit, autant qu'il est en son pouvoir et dans l'étroite limite permise par le Code, une sorte de droit d'aînesse. Le reste n'est assurément pas banal : les danses, les improvisations populaires, la passion du jeu, la manière de bâtir une maison ou d'orner une tombe. Mais je crois que tout disparaîtra avant cette coutume, qui tient au cœur de la race. 



—Même la langue

— Oui, l'école primaire, le régiment, le contact de plus en plus fréquent avec les gens de parler béarnais ou français, font reculer l'idiome basque. Les hommes l'oublient plus vite que les femmes ! Je pourrais vous nommer des maisons, en pays de Labourd, de Soule ou de Basse-Navarre, où la femme parle le basque, tandis que le mari ne le comprend pas même, et défend à ses enfants de l'apprendre. 

— Vous devez regretter cette disparition lente ? 

— Quand l'unité n'en souffre pas, une langue de plus, c'est une richesse. 

— Surtout la nôtre, si belle, si expressive... 

— Vous savez le basque ?..."



A suivre...



 






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