UNE PALOMBIÈRE À SARE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1893 (deuxième et dernière partie)
UNE PALOMBIÈRE À SARE EN 1893.
Le village de Sare peut s'enorgueillir depuis une époque immémorable de posséder une des plus belles, sinon la plus fameuse chasse aux pantières (filets verticaux) des cols Pyrénéens.
REPARTITION DES PALOMBES SARE PAYS BASQUE D'ANTAN
Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal des débats politiques et littéraires, le 21 octobre 1893,
—Non, Monsieur, je n'oserais pas me ranger pour cela parmi les euskarisants. Ce sont les maîtres, les docteurs de la langue, des hommes rompus à la discussion de nos origines.
— Où sont-ils donc ?
— Où est la truite du lac, Monsieur ? C'est à Paris que vivent les quatre ou cinq Français, la plupart nés loin d'ici, qui connaissent le mieux la langue que nous parlons. Je crois même devoir ajouter, modestement, que les premiers euskarisants du monde ne sont pas des Français, et que vous les trouveriez en Allemagne, ou parmi les Canadiens Anglais, au bord du Saint-Laurent.
— Un peu trop loin, Monsieur. J'y renonce.
Je continuai ma route, et j'entrai dans le vrai pays basque, me disant qu'après tout les hommes et les choses si variés que je voyais devaient surpasser de beaucoup, en intérêt, l'euskarisant perdu. Je visitai les petits villages où sont les églises à trois galeries intérieures et à trois clochetons, en l'honneur de la Trinité. Les jeux de paume occupaient une place de choix. Les maisons avaient souvent des fleurs au pied et le balcon de bois ouvert sur un horizon de collines. Les plus spacieuses, dans la campagne, offraient cette distribution traditionnelle, qu'on m'avait signalée : une large porte au milieu donnant accès dans une grange où sont les charrettes et les outils, puis l'étable et le logement des vieux parents à droite, le logement du jeune ménage à gauche. L'accueil était digne et cordial. Pendant que la maîtresse du logis, qu'on nomme en basque la "dame de maison", essuyait et posait sur un plateau les verres et la bouteille de vin vieux réservée aux hôtes, l'homme, dont la physionomie ferme et forte s'éclairait, en effet, d'un sourire des yeux, racontait qu'il avait plusieurs filles mariées ou servantes, deux fils auprès de lui, mais que l'aîné s'était établi à Buenos-Ayres. "J'y ai passé quatorze ans comme forgeron, disait-il. Mon fils y est boulanger à présent." Il n'avait pas besoin de donner la raison. On pouvait la deviner en regardant, par la fenêtre de la salle voisine, les douze hectares de belles terres à blé, qui descendaient doucement, cultivées à merveille, et exposées aux brises mouillées qui soufflaient de la mer.
EMIGRATION BASQUE EN ARGENTINE
Je comprenais la sympathie que cette race inspire, en général, à ceux qui séjournent dans le voisinage. Le charme du paysage me pénétrait aussi, par degrés. Mais je ne le sentis jamais mieux qu'un jour, lorsque je visitai la palombière de Sare.
J'ignorais jusqu'au mot de palombière, et Sare n'avait de sens pour moi qu'avec une autre orthographe et devant Peladan. Je me trouvais à Saint-Jean-de-Luz et j'errais, sous la pluie persistante, dans les rues envahies par la nuit. Ce sont toujours là des promenades fructueuses. La moitié de la ville dormait ; l'autre s'était mise à l'abri derrière les volets clos, d'où sortaient des lames de lumière. A peine quelques cabarets restaient ouverts. Au fond de l'un d'eux, quatre hommes de la montagne étaient pittoresquement groupés. Trois me tournaient le dos, et se tenaient de bout, écoutant le quatrième, un grand pâle, en pleine clarté, auquel le bord de son béret faisait une ombre sur les yeux. Il chantait, avec des gestes, calmes et un air de poète inspiré, une chanson très longue, que les autres approuvaient de la tête, aux bons endroits. Je crus revoir les bûcherons de Dagnan-Bouveret. Plus loin, près du port, des mandolines jouaient un duo discret, derrière une fenêtre à moitié fermée. Leurs notes fines, égrenées dans la nuit, me suivaient le long de la rue. Quand elles cessèrent de m'arriver, j'étais devant la plage, et un promeneur invisible disait :
PEINTRE PASCAL DAGNAN-BOUVERET
— Vous savez qu'on monte en ce moment les filets de la palombière. Le passage va commencer.
Deux jours après, je m'étais renseigné, et je partais en voiture pour le lieu de ces chasses très anciennes.
Il y a, en effet, plus de deux cents ans que la palombière de Sare fonctionne au même endroit et que les palombes s'y font prendre. Les douze actions appartiennent, depuis le même temps, à douze maisons de Sare et aucune n'a été vendue, m'a-t-on assuré, sauf celle du curé. Le desservant de la paroisse, vers le dix septième siècle, avait reçu une action et touchait sa part de gibier, à charge de dire la messe, pour les chasseurs, chaque dimanche à deux heures du matin, pendant la période de chasse. Un de ses successeurs du dix-neuvième siècle, sans abandonner la coutume, a cru devoir céder son droit. Les autres propriétaires ont gardé le leur. Ils fournissent chacun un rabatteur, assistent à la chasse quand il leur plaît, partagent les palombes vivantes qui leur sont apportées, les font vendre au marché ou les enferment dans une chambre noire d'où les pauvres bêtes sortiront, hélas ! à tour de rôle, pour être étouffées et mises en salmis.
Pour se rendre à Sare, la route est fort jolie. Elle tourne puisque nous sommes en terre pyrénéenne ; elle monte puisque nous nous rapprochons de la frontière espagnole ; elle côtoie des ruisseaux avec des ponts anciens, des près traversés par des sources et des fermes aux fenêtres desquelles sèche le piment rouge. Au delà de Sare, on continue un peu de temps en voiture, puis on s'arrête, près d'une grande métairie qui sert d'auberge, et l'on grimpe, soit à pied, soit à cheval, la pente qui s'élève assez raide, jusqu'aux sommets en face.
Je prends le petit cheval toujours sellé, dans la saison, pour les chasseurs de la palombière.
Ce n'est qu'au bout de quelques centaines de mètres qu'on se rend compte des conditions géographiques qui ont permis aux vieux chasseurs du pays basque d'établir là-haut le piège terrible où se perdent les palombes. On se trouve sur une arête à peu près dégarnie d'arbres, à droite d'un vallon étroit. De l'autre côté, une second arête, plus élevée, nue également, et, dans le fond, barrant la vue et le chemin d'Espagne, très haut, une muraille de forêt. Deux fois par an, les palombes passent la frontière, mais une fois seulement par cet endroit, quand elles rentrent de leur campagne de France, ayant mangé notre grain et fuyant notre hiver, du 25 septembre au 20 novembre. Les grands passages ont lieu vers le 20 octobre.
Je monte toujours. Le sentier contourne un groupe de chênes dont le plus élevé porte une cabane ; il s'enfonce dans un bois délicieux, un de ces bois de montagnes où la mousse, toujours mouillée, fait des vagues vertes étoilées d'or au dessus des pierres tombées des cimes. Enfin, sur le versant qui regarde l'Espagne, j'aperçois une cabane, des ouvriers, un garde forestier : c'est la palombière.
A une toute petite distance de la cabane, sur la crête de la montagne, six allées ont été taillées dans la futaie de chênes et de hêtres qui couvre les deux pentes. Les parois de verdure se dressent, perpendiculaires, sans une branche qui dépasse l'alignement, de vrais murs de charmille, et, entre eux, six filets très légers, brunis, tendus de biais, barrent la route qui semble ouverte, prêts à tomber en glissant sur deux fils d'acier, dès que le filetier le voudra.
FILETS PALOMBIERE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN
Devant ces six avenues, tranches lumineuses dans la forêt, s'étendent des vallées de France, à l'infini, et des chaînes de collines bleues, lointaines, qui paraissent toutes basses et ressemblent à des veines. Les palombes viennent par là, en vols plus ou moins pressés, bandes de bohémiens qui se rappellent les routes. J'imagine qu'elles se disent, fouettant l'air de leurs ailes, la voix haletante, et tournant un peu le cou :
Elles arrivent ainsi, du fond de l'horizon, pour franchir la montagne. Mais une grave objection, non pas pour elles, pour le chasseur, c'est qu'elles n'ont aucune raison de préférer un point de la forêt à un autre. Bi rien ne les trouble, elles franchiront la barrière d'arbres tout droit devant elles. Or, la palombière est établie dans un angle et, nécessairement, près de la terre.
Voici donc ce que les chasseurs ont cruellement imaginé :
L'espèce de cul-de-sac formé par les deux arêtes soudées à la montagne est gardé, de distance en distance, par des rabatteurs et des trappiers. On les poste à plus d'un kilomètre en avant des filets. Avec des drapeaux qu'ils agitent, les rabatteurs écartent les vols qui seraient tentés de passer tout droit, et, les dirigent vers l'angle. Les trappiers ont une autre mission, plus difficile, qui exige presque une main d'artiste : ils font baisser les bandes de palombes.
PREMIER RABATTEUR PALOMBIERE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN
SECOND RABATTEUR PALOMBIERES SARE PAYS BASQUE D'ANTAN
LANCUER DE RAQUETTES PALOMBIERES SARE PAYS BASQUE D'ANTAN
Pour cela, on les a munis, là-haut, dans leurs cabanes aériennes, de palettes de bois peintes en blanc, qui peuvent se lancer au loin et fendre l'air en tournant. Quand le gibier passe, ils les jettent. Les palombes plongent aussitôt. Elles croient sans doute que l'épervier les chasse, elles protègent leurs gorges, l'endroit où la bête de proie a coutume de les saisir, elles fuient, rasant la terre, affolées, pêle-mêle, s'engouffrent dans l'une des avenues, gonflent un moment le filet, et sont bientôt toutes prises sous les mailles qui retombent.
On a pris, certaines journées, jusqu'à trente et cinquante douzaines de palombes. Mais la moyenne de la saison n'est guère que de deux à trois cents douzaines. Il en est de même à Etchalar, la palombière espagnole concurrente, qu'on découvre de là, au milieu des grandes forêts vallonnées.
Allez voir cela quand vous passerez à Saint-Jean-de-Luz. Et, deux heures et demie plus tard, vous serez de retour au bord de la baie exquise, où les vapeurs se réfugient, entre des rives toutes vertes d'herbe ou toutes roses de maisons, pour attendre la belle humeur de la barre de Bayonne."
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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