LES JEUX RUSTIQUES AU PAYS BASQUE EN 1948.
Il a existé et il existe au Pays Basque de nombreux sports traditionnels, autres que la pelote.
PALANKARI EN 1895 |
Voici ce que rapporta à ce sujet Jacques Saint-Pastou dans Pyrénées : organe officiel du Musée
pyrénéen du Château-fort de Lourdes, le 1er janvier 1951 :
"...Ni Javéliste, ni Discobole, mais Palankari.
Les palankaris, dénommés encore : barrakaris, dont le geste rappelle celui du javeliste et parfois du discobole, selon le mode de lancement, sont les pratiquants d'un jeu rustique qui consiste à lancer au plus loin une barre en fer : burdin-barra ou palanka.
L'italien Rienzi notait en son temps (XIVe siècle) l'adresse des Basques à lancer la barre sans, pour autant, leur attribuer la paternité de ce divertissement ni le privilège exclusif.
De nos jours, les "Highland Games" de la Haute Ecosse ne ressuscitent-ils pas, annuellement les vieilles coutumes du folklore gaélique dont certaines s'apparentent aux exercices de force et de lancer eskualerristes ?... Et en Patagonie les indigènes, chassant le gros gibier, n'utilisent-ils pas encore des engins de mort qui ne sont ni des piques ni des javelots mais des pieux acérés jetés avec élan ?
Au siècle dernier, on comptait, en Soule et en Basse-Navarre, nombre de palankaris de classe. Aujourd'hui, sauf de rares exceptions, ce "sport" semble être tombé, chez nous, en désuétude.
Mieux partagées, "las provincias vascongadas" offrent l'exemple de la pérennité des traditions et c'est à leurs "lanceurs" que nous devons les meilleures performances.
PROVINCES VASCONGADES ILLUSTREES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les barres en usage correspondent à trois types, pour ainsi dire, classiques :
"Amarreko", du poids de 10 livres, soit 4 kilos 500, et 1 mètre 80 de long. ;
"Seca" : barre du type "lourd » ; atteint 25 livres qui valent 11 kilos 500.
Enfin un modèle intermédiaire de 15 livres ou 6 kilos 900.
Ne croyez cependant pas à la vertu absolue des chiffres ni à la lettre de la "loi", que nos Basques interprètent à leur guise.
Ainsi Sohabil, de Masparraute près Saint-Palais, maniait un "burdin-barra" de 8 kilos et de 1 mètre 30 de longueur avec, affirme-t-on, la plus stupéfiante dextérité.
PALANKARI BALTASAR ESNAOLA 1923 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ces anomalies, illustrations d'un particularisme ombrageux, trouvent aussi leur justification dans l'emploi de l'outil habituel de travail : barre de mine si le palankari est mineur, levier s'il est carrier ou laboureur.
Quoiqu'il en soit, l'une des extrémités de cette barre est nettement plus grosse que l'autre, le bout bulbeux devant buter, d'abord, le sol sous peine de nullité du jet.
Comment lancer la palanka ?...
De trois manières, chacune imposant son style ; bien que n'ayant pas l'élégance observée dans le "lancer" du javelot, la pureté admirée dans le geste du discobole ou la puissance du lancement du poids, elles procèdent, en définitive, de principes et de méthodes presque identiques, identifiables dans le travail des muscles extenseurs et fléchisseurs notamment.
1° Zuzenkara ou en espagnol "a pecho" : la barre est tenue verticalement, le gros bout (handia) en bas. Le palankari, bras allongé, balance le corps, d'arrière en avant, à plusieurs reprises, prend son élan et jette en ayant soin de ne pas "mordre" avec son pied sur la ligne tracée à la limite de l'aire de lancement.
2° Txanka-gibel : le mouvement plus ample, plus rapide et d'un meilleur rendement, s'effectue en pivotant sur la jambe gauche, la droite en arrière ; cette rotation du corps amorce le tournoiement qui précède le jet.
3° Txankh'arte : le lanceur, jambes écartées, saisit à pleines mains la barre par son milieu, petit bout (phunta) en avant, à qui il imprime entre ses jambes un balancement ; puis se redressant violemment, dos cambré, il libère cette barre qui, dans sa trajectoire, décrit un "tête à queue" à seule fin que le gros bout (handia) se fiche en terre le premier.
Il appartient au juge de mesurer la distance de la ligne de départ au point de chute.
Les plus habiles palankaris trouvent, paraît-il, le moyen de gagner quelques centimètres en culbutant la barre avec l'effet approprié pour qu'elle atteigne le sol sous l'angle le plus aigu.
En l'absence de tables officielles de record, dont l'Institut Basque de Recherches devrait prendre l'initiative, nous avons puisé à des sources diverses mais dignes de foi, plus abondantes, on en conviendra, en Espagne du Nord où les concours de "lanzadores de barra" sont encore fréquents.
Nous renoncerons à établir des comparaisons entre les "barrakaris" souletins et les "palankaris" guipuzcoans et biscayens : le poids, la longueur des engins et le style des lanceurs diffèrent.
Dans les provinces cantabriques, la barre est plus longue et plus légère ; le lanceur tourne plusieurs fois sur soi-même (unguru). Un auteur prétend que cette variété (ungurutik) provoquait des accidents, raison majeure qui la fit abandonner en Soule.
Il en va autrement chez nos voisins et en Amérique latine si nous en jugeons par la performance réalisée, à Montevidéo en 1869, par un certain J.-B. Elola. Ce champion lança, dans le style "ungurutik", à 39 mètres 60, une barre de 6 kilos 900.
Soixante seize ans auparavant, un précurseur : J.-B. Mendizabal, natif de Zaldivia (Guipuzcoa), en garnison à Irun en 1793, réussit dans la manière "zuzenkara" ou "a pecho" un jet de 65 pieds avec une barre de 15 livres ; à "demi-tour", il l'envoya à 70 pieds ; et "sous la jambe" (sic) — traduisez "txankh'arte" — à 53 pieds. Détail savoureux mais contestable, cet athlète se nourrissait de lait et de "méture" sorte de pâte de farine de maïs. Gabino Lizarza, guipuzcoan lui aussi, bat, à Tolosa, le 28 juillet 1913, le record à "demi-tour" (media-vuelta), autrement dit dans le style : "txanka-gibel", avec le jet d'une barre de 10 livres (4 kilos 500) à 186 pieds, soit environ 61 mètres 1/2 ; tandis que "de pecho" — en balançant la barre à hauteur de la poitrine — il ne dépasse pas 118 pieds. Même performance à l'actif du biscayen Andres de Urignen, en 1914, avec une barre de 10 livres lancée "de pecho » ; mais il échoue dans sa tentative de dépasser les 100 pieds de son rival Gabino Lizarza au "lancement entre les jambes", style "txankh'arte"...
PALANKARI GABINO LIZARZA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nos compatriotes s'illustrèrent avant 1914 dans la pratique de ce jeu. On attribue au douanier souletin Ezpilondo, natif de Chéraute, un jet de 18 mètres dans la manière "txankh'arte" avec une barre de 8 kilos, et l'on concède 12 mètres à l'atharraztar Landarrabilco que les 11 kilos de sa "burdin-barra" n'émeuvent pas.
PALANKARI LARRANDABILCO TARDETS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nos amis du "Zibero-Sports" de Tardets combleraient les vœux du signataire de ces lignes s'ils tentaient de rénover le jeu de barraka en haute Soule ; comme le fit jadis, cette gardienne des traditions de l'Eskualherri avec des championnats en "tête à tête" (buruz buruka), puis par équipes de 2 (biaka) ou de 3 (hirunak), les jets des coéquipiers s'ajoutant les uns aux autres, la dernière marque devant être dépassée par l'adversaire.
Forts, souples, vifs, voici les palankaris de mon enfance. Je me souviens de celui-ci, élancé et flexible comme un jonc qui prenait son élan et, à toute vitesse, tournait 7 fois sur lui-même pour s'arrêter net sur la ligne d'envoi et projeter à 35 pas, avec une aisance déconcertante, ce lourd et encombrant assommoir.
Et ce grand jeune homme de 22 ans, aux muscles longs du boxeur racé, que n'a-t-il adopté le lancer à plusieurs tours au lieu de "l'apecho" guipuzcoan qui favorise les lourdauds... Et encore ce "porte-barre", à la mode "txankh'arte", qui balance la barraka dans le style d'un sonneur de cloche...
PALANKARI HUICI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ici, quelle fougue, quelle vitalité ; là, quelle puissance calme et digne, quel port olympien...
L'assistance : une "galerie de bérets" qui ne pipe mot : rien que des connaisseurs silencieux, graves, presque tous des "vieux"...
Or, la chute d'une barre — gros bout en avant — nécessite l'intervention des juges qui en discutent longuement, tête découverte : le "coup" est valable et les distances sont vérifiées à l'aide d'une corde...
Le classement établi, le vainqueur est proclamé et les paris réglés...
Dans le reflet éblouissant du succès la fête au village continue : "sauts basques", danses aux figures compliquées, improvisations des pertsulariak, chœur merveilleux de ces jeunesses montagnardes descendues des hauteurs proches, voix très pures des bergers des vallées...
Retrouverai-je, un jour, cette fraîcheur de sentiments, cette joie naïve, cette santé physique et morale qui flottaient, me semblait-il, dans l'air au petit matin...
PALANKARI SAKRISTAN PAYS BASQUE D'ANTAN |
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