L'AVIRON BAYONNAIS ET LE STADE BORDELAIS EN RUGBY EN 1913.
Le rugby débute à Bayonne en 1905 et 1906, et dès 1913, l'Aviron Bayonnais bat le champion de France en titre, le Stade Bordelais, avant de devenir champion de France, en avril 1913.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Vie au grand air, le 12 avril 1913, sous la plume de
Jacques Dedet et Géo Lefèvre :
"Une date.
Le triomphe de la méthode Basque (par Jacques Dedet)
La victoire de l'Aviron Bayonnais sur le Stade Bordelais est une étape dans l'évolution du football en France, une date à retenir. Jusqu'ici, en effet, ce club qui, depuis l'an dernier seulement, dispute le championnat de première série, n'avait pas démontré de façon très nette sa supériorité. Tout au moins, veux-je dire que, s'il avait conquis une grande partie du monde sportif, il en restait aussi une bonne part qui ne partageait pas l'enthousiasme de la première et ne voyait pas en lui la merveilleuse équipe quasi-imbattable que l'on disait. J'étais de ces incrédules qui ne pensaient pas que la méthode basque put, un jour, par sa vivacité, sa nouveauté, son imprévu triompher d'une bonne méthode classique que le temps et de nombreuses victoires avaient montrée comme la meilleure jusqu'à ce jour.
Il y a là un événement tout à fait comparable, me semble-t-il, à la première victoire du pays de Galles sur l'Angleterre. La principauté, en effet, après avoir été battue un très grand nombre de fois, par un très grand nombre de points, triomphe un beau jour de l'équipe nationale anglaise aux principes rigides, au jeu sévère. Et elle la vainc, cette équipe si redoutable qui, jadis, disposait d'elle à sa guise, en opposant à sa façon classique une méthode nouvelle, plus fine, plus adroite, pleine de ruse, de ficelles, merveilleusement étudiée pour réduire à néant l'attaque des vainqueurs d'autrefois, et pour percer par feintes et changements de pieds subtils, sa défense que déroute cette offensive nouvelle.
Dès lors est créé le style gallois qui, de jour en jour, s'affirme plus complet, et qui donne aux rusés porteurs du maillot rouge aux trois fleurs de nombreuses victoires. Des hommes naissent au football en pays gallois qui sont de véritables phénomènes, pour l'époque, dans l'application de la manière nouvelle, et les Gwyn Nichols, les Percy Bush, les Owen, les Trew surgissent pour venger les petits Gallois de leurs défaites du temps jadis.
EQUIPE DE RUGBY PAYS DE GALLES 1905 |
Cependant, leurs ennemis, petit à petit, profitent de leurs leçons, et au jour où les hommes manquent au Pays de Galles et apparaissent en Angleterre, qui ont des qualités physiques supérieures, la victoire déserte le pays du charbon pour la rose d'Angleterre.
Ainsi je pense que la victoire de Bayonne, première grande victoire que remporte ce club dans la compétition classique, dite Championnat de France, consacre l'existence d'une méthode nouvelle, bien française, effective, toute méridionale. Je pense aussi que, grâce à cette méthode, l'Aviron Bayonnais connaîtra encore de jolis succès, et je trouve que ce qui en fait, surtout, l'intérêt, c'est que chacun se pénétrant de ce qu'il y a de bon en elle pourra, profitant des démonstrations du novateur, améliorer son jeu et devenir plus redoutable. Je ne veux pas dire par là que Paris ou Bordeaux joueront bientôt tout à fait dans le style basque, mais je pense que chacun pourra y puiser des renseignements précieux qui hâteront les progrès du football français.
Le triomphe des Bayonnais (par Géo Lefèvre)
L'ardeur des Basques a eu raison de la science des Bordelais.
Tandis qu'à Toulouse, Paris battait difficilement les Catalans — ces autres Basques — les derniers venus parmi les nouveaux compétiteurs au Championnat national, nous assistions sur le terrain du Stade Bordelais à l'une des plus émouvantes, je dirai même à l'une des plus extraordinaires batailles que l'on puisse voir sur un champ de football. D'un côté, les Bordelais, tout chargés de gloire, puissants, impressionnants, prêts à mettre en pratique tout ce que de longues années de travail leur ont appris, très classiquement, très sérieusement, avec la grande application que nous savons, de longtemps, être la leur. Et, en face quinze jeunes Basques, petits, nerveux, tout gracieux dans leur maillot aux couleurs du ciel de Cambo. Or, il s'est trouvé que les lourdes légions bordelaises ont été d'abord longuement tenues en respect, très étroitement, par les petits gars venus de leurs Pyrénées, puis, que les jeunes ont soudain produit un effort irrésistible qui a débordé les vieux champions, un effort soutenu, accentué de belle façon, à une telle allure que bientôt toutes les positions ennemies étaient littéralement emportées d'assaut, et que les Bayonnais n'avaient plus en face d'eux, sur la fin de la bataille, qu'une armée dont le grand ressort s'était cassé, et qui, dès lors, était incapable d'une résistance aérienne.
STADE BORDELAIS CHAMPION DE FRANCE RUGBY 1908 |
Evidemment, il y a dans ce jeu des Bayonnais quelque chose qui nous déconcerte au premier abord ; ils n'ont pas la même façon de jouer le rugby que le Stade Bordelais et le Stade Français, les plus ordonnés de nos grands Quinze, ceux qui se sont le plus fortement imprégnés des grands principes classiques du rugby britannique.
Ici, une mêlée se tourne et se continue en dribblings ; ou une mêlée talonne et la balle, en demi, va à l'ouverture, puis l'attaque se poursuit plus ou moins méthodique, avec, parfois, des tentatives, des ébauches de subtilités galloises.
RUGBY STADE BORDELAIS ARRÊT DRIBBLING |
A Bayonne, toute la tactique se résume en un principe unique : aller à toute vitesse, que ce soit dans l'attaque, que ce soit dans la défense, aller avec une furie agressive, qui semble d'abord étonner l'adversaire, puis le disloquer, puis le laisser sans souffle et sans forces. Et, alors, au milieu de ce débordement de diables qui surgissent de partout, qui se précipitent tous à la fois, la balle est happée avec une adresse invraisemblable parmi les pieds adverses, des pieds qui donnent pourtant de solides coups de bottes, et, dès lors, cette balle s'en va, de mains en mains, sans que l'adversaire puisse lui-même la toucher. C'est ce qu'on a appelé le feu d'artifice bayonnais. A vrai dire, il n'a éclaté qu'à moitié contre les Bordelais. Il n'y a eu, tous comptes faits, que peu d'attaques par passes "à la Bayonnaise" qui aient paru dangereuses.
Mais, par contre, l'Aviron nous a prouvé posséder des qualités autrement solides que celles d'artificiers du rugby, des qualités de robustesse dans la défense, et d'instantanéité dans la contre-attaque que nous ne croyions pas à ce point développées chez eux.
Nous prenions les vainqueurs du Stade Bordelais pour un quinze d'attaque rapide, gracieuse, primesautière, mais aussi pour une équipe d'une légèreté, d'une fragilité qui devaient les faire culbuter dans ce que l'on est convenu d'appeler "les matches de championnat".
Jamais erreur ne fut plus grossière. L'Aviron Bayonnais défend encore mieux qu'il n'attaque. Il le fait avec plus de furie, plus de volonté farouche, et surtout avec plus de méthode et plus d'efficacité.
Dimanche dernier, les Bordelais jouèrent la première mi-temps avec l'avantage du vent, Ils en profitèrent pour refouler constamment les Basques par de longs coups de pied en touche.
Mais pour passer, il n'y eut jamais rien à faire.
Les dribblings étaient tous arrêtés avant d'être partis dangereusement. Les avants bordelais tournaient-ils la mêlée, qu'ils voyaient les mains des Forgues, des Domercq, des Hedembaight, leur subtiliser la balle et partir aussitôt en contre-attaque. Et de cette façon, les lignes arrière bordelaises ne purent jamais, ou presque, être nourries par Morgan et Chevalier, bien que dans l'ensemble, les Bordelais eussent eu plutôt l'avantage au cours de cette première mi-temps.
LA MANIERE BAYONNAISE EN FOOTBALL RUGBY |
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