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vendredi 14 janvier 2022

UNE CARTE LINGUISTIQUE DE LA LANGUE BASQUE EN 1867

UNE CARTE LINGUISTIQUE DE LA LANGUE BASQUE EN 1867.


En 1867, Paul Broca, médecin, anatomiste et anthropologue français, étudie la répartition géographique de la langue Basque, en Pays Basque Nord et en établit une carte.




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CARTE LANGUE BASQUE LL BONAPARTE 1863



Voici ce que rapporta M. Broca dans les Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie, dans 

la séance du 17 novembre 1864 :



"...M. Broca. J'offre à la Société, pour ses archives, une grande carte manuscrite sur laquelle j'ai indiqué, aussi exactement que je l'ai pu, les limites actuelles de la langue basque en France. Dans une de nos précédentes discussions, il a été question de l'extinction graduelle des langues et j'ai voulu savoir si le basque avait perdu du terrain depuis quelques siècles. Pour cela, j'ai cherché d'abord quelle était la limite que les auteurs actuels assignent à la langue basque, et je n'ai pas été peu surpris de voir qu'aucun d'eux ne les a indiquées. On se borne partout à dire que le basque est parlé au pied des Pyrénées dans la Soule, la Basse-Navarre et le Labourd, et nulle part je n'ai trouvé d'indication plus précise. Les auteurs plus anciens ne sont pas moins vagues, et avec de pareilles données il est impossible de comparer le présent au passé.



Il est parfaitement certain qu'un très grand nombre de lieux où l'on parle patois ou français, non seulement au sud de l'Adour, mais encore entre l'Adour et la Garonne, portent des noms qui ne peuvent provenir que du basque, ou d'une langue étroitement affiliée au basque. On en conclut légitimement qu'avant les temps historiques, une langue ibérienne a été parlée dans tous les pays compris entre les Pyrénées et la Garonne ; et comme ces noms sont beaucoup plus nombreux dans la zone comprise entre le pays basque et l'Adour, que dans la zone comprise entre l'Adour et la Garonne, on en conclut encore, sinon avec certitude, du moins avec quelque probabilité, que les langues indo-germaniques ont prévalu dans cette dernière zone bien longtemps avant de pénétrer dans la première.



II faut tenir compte toutefois d'un fait historique qui complique singulièrement le problème. Conquis par les Romains sur les Aquitains, par les Visigoths, sur les Romains, par les Franks sur les Visigoths, le bassin de l'Adour fut repris à la fin du VIe siècle par les Vascons (ou Basques) auxquels le roi mérovingien Thierry céda enfin par un traité tout le pays compris entre ce fleuve et les Pyrénées. Depuis lors ce pays n'a plus été conquis, car les Sarrazins ne firent qu'y passer, et si, après d'innombrables péripéties, il fut enfin définitivement annexé à la couronne de France, les éléments ethniques de la population ne furent pas sensiblement modifiés par ces changements politiques. Il serait donc possible que la grande fréquence des noms ibériens dans tout le bassin de l'Adour fût la conséquence de la conquête vasconne du VIe siècle, que la langue basque, autrefois dépossédée, eût regagné par suite de cette conquête une partie du terrain qu'elle avait perdu depuis bon nombre de siècles, et qu'ensuite elle eût peu à peu, de village en village, rétrogradé jusqu'à ses limites actuelles, en cédant paisiblement la place au patois béarnais.



Deux hypothèses se trouvent donc en présence : ou bien les limites septentrionales de la langue basque sont restées les mêmes depuis l'époque gauloise, et alors on doit leur accorder une grande valeur historique et ethnologique, puisqu'elles font connaître les limites du petit pays qui, sous les Gaulois comme sous les Romains, garda bravement son indépendance ; ou bien ces limites ont oscillé à diverses reprises, avancé au VIe siècle pour reculer ensuite pas à pas, et alors la circonscription actuelle de la langue basque en France perd une grande partie de son importance, puisqu'elle ne nous fait plus connaître que l'état présent des choses. 



La première hypothèse me paraît plus probable que l'autre, mais la question est évidemment très controversable, et il est clair que si on veut la résoudre il faut avant tout commencer par déterminer avec précision les limites actuelles du basque.



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CARTE LANGUE BASQUE LL BONAPARTE 1869



Cette détermination n'ayant pas été faite jusqu'ici, à ma connaissance du moins, par les auteurs qui ont écrit l'histoire des Basques, j'ai demandé des renseignements directs à deux personnes qui connaissent parfaitement la vasconie française, à mon ami M. Elisée Reclus, qui a passé à Orthez une grande partie de sa jeunesse, et qui a maintes fois exploré en tous sens le département des Basses-Pyrénées, et à mon honorable confrère et homonyme, le docteur Honoré Broca, qui est né â Oloron, à quelques kilomètres du pays basque. Sur une carte très détaillée, où les moindres villages sont indiqués, nous avons marqué au crayon rouge tous les lieux où l'on parle le basque, et nous avons obtenu une lisière sinueuse, qui, partant du pied du pic d'Anie, sur la frontière d'Espagne, va aboutir à Bidart, à quelques kilomètres au sud de Biarritz, sur le golfe de Gascogne.



Cette ligne, à partir du pic d'Anie, se dirige d'abord vers le nord-ouest en passant par Sainte-Engrace , Andacé-Ibarra et Licq ; de Licq elle se porte au nord-est vers Montary, puis au nord-ouest vers Tardetz ; de là elle fait une pointe vers l'est, gagne Barenx et Esquiale, où elle se réfléchit subitement, et se dirige ensuite constamment vers l'ouest-nord-ouest, en passant par Berrogain, Charitte, Arroue, Saint-Palais, Garritz, Isturitz, Aqherre ; de là elle passe un peu au nord d'Hasparren, d'Ustaritz et de Guethary, pour aboutir à Bidart.



Pour compléter ces renseignements, j'ai demandé à mes amis s'ils avaient connaissance que le patois béarnais eût quelque peu empiété sur le basque dans les temps plus ou moins modernes. Ils m'ont répondu l'un et l'autre négativement. Nulle part, pas même dans les villages béarnais les plus rapprochés de la ligne que je viens d'indiquer, on ne se souvient d'avoir entendu parler de l'époque où la langue basque aurait pu être usitée. Mon confrère, M. Honoré Broca, m'a signalé, il est vrai, que dans trois localités limitrophes, Licq, Montary et Tardetz, un certain nombre d'habitants sont béarnais et parlent le béarnais en même temps que le basque ; mais il ajoute que cet ordre de choses est déjà ancien, et que le béarnais ne fait aucun progrès dans ces populations mi-parties.



Il est peu probable en effet qu'une langue populaire, qu'un simple patois, comme le béarnais, puisse se substituer au basque. Le basque, je n'en doute pas, sera tôt ou tard supplanté, mais il fera place au français et non au béarnais, et il est probable qu'il ne disparaîtra pas en reculant peu à peu, mais qu'il dépérira partout à la fois comme nos patois méridionaux. Partout déjà, le français est devenu la langue usuelle des familles éclairées ; il commence à prévaloir dans plusieurs villes, d'où il s'infiltre lentement dans les campagnes environnantes ; tout permet donc de croire que dans un petit nombre de générations tous nos basques connaîtront le français et qu'au bout de quelques générations de plus ils auront oublié la langue de leurs ancêtres.




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PAUL BROCA MEDECIN ANATOMISTE ET ANTHROPOLOGUE



En Espagne, le basque a perdu beaucoup de terrain depuis le commencement de ce siècle. Il y a 50 ans, il s'étendait au sud jusqu'à Puente la Reyna (en Navarre) ; aujourd'hui les limites de cette langue passent un peu au nord de Pampelune ; par conséquent elles ont reculé d'environ 8 lieues vers le nord. Ce recul, qui s'est effectué graduellement, de proche en proche, contraste avec la fixité sinon absolue du moins, relative des limites du pays basque français ; mais en Espagne la langue basque se trouve aux prises avec une langue littéraire, organe officiel d'une nationalité que les Basques ont acceptée, -— tandis qu'en France elle est en présence d'un patois qui est déjà en décadence et qui, loin de pouvoir prétendre à l'absorber, périra probablement avant elle.



Les limites indiquées sur la carte que je vous présente ne correspondent à aucune des divisions politiques, à aucune des circonscriptions territoriales connues dans l'histoire. On dit généralement que le pays basque français comprend les trois anciens districts du Labourd, de la Basse-Navarre et de la Soule ; mais ces trois districts s'étendaient vers le nord bien au-delà du pays basque. A l'est toutefois, les limites de ce pays diffèrent peu de celles qui séparent la Soule du Béarn,



Le pays basque français, dans sa plus grande longueur, du pic d'Anie à l'embouchure de la Bidassoa, n'a que 25 lieues. — Dans sa partie orientale, il a en moyenne 40 lieues de large ; dans sa partie occidentale, sa largeur ne dépasse pas 4 à 5 lieues.



J'ai commencé, avec le concours de M. Elisée Reclus, l'exécution d'une carte semblable pour le pays des Basques espagnols ; mais cette carte est encore trop incomplète pour que je puisse vous la présenter. Je me propose d'inviter mon ami M. Velasco à se charger de ce travail.



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ELISEE RECLUS

Martin de Moussy. Il faut se hâter de continuer les recherches indiquées par M. Broca, car l'altération de la langue basque est tellement rapide que ceux qui la parlent peuvent le constater par eux-mêmes et se font mutuellement le reproche de l'altérer. D'ailleurs les Basques espagnols et les Basques français s'accusent réciproquement de ne pas parler le vrai basque.



M. de Quatrefages. Il est bon de noter qu'il y a des différences profondes dans les dialectes, car j'ai vu des Basques français et espagnols qui étaient obligés d'avoir recours au français pour s'entendre. 



M. Pruner-Bey. Ces différences sont telles que le mot qui désigne l'action de pêcher, change de vallée à vallée.



M. Lagneau. "A propos de cette carte intéressante des pays basques français, et de celle des pays basques espagnols qu'on nous fait espérer, je remarquerai qu'il serait à désirer que l'on cherchât à déterminer non seulement la région où se parle encore actuellement la langue euskuara, mais aussi la région, sans doute beaucoup plus étendue, où les localités présentent encore une étymologie basque, quoique la langue n'y soit pas parlée ; on pourrait reconnaître ainsi approximativement le pays anciennement occupé par les peuples appartenant à cette race.


Lors de leur immigration vers le versant nord des Pyrénées, les Basques ou Vascons paraissent s'être avancés jusque sur le territoire des Ausci, mais ils durent se retirer plus au midi après avoir été battus par Austrowalde, comte de Toulouse.


En Espagne, cette double délimitation des localités où l'on parle encore le basque, et de celles à étymologie euskarienne où l'on ne parle plus le basque, permettrait peut- être de reconnaître si les Cantabres, qui étaient situés à l'ouest des Vascons, doivent être rapprochés de ces derniers sous le rapport ethnique, ou bien si comme le pensent MM. Ampère (Hist. litt. de la France avant le douzième siècle, T. I. p. 7, 1839), Prichard (Hist. nat. de l'Homme, 1. 1, p., 347), et Graslin (De l'Ibérie, Paris, 1838, p. 251), ils doivent être considérés comme étant complètement distincts."



M. d'Avezac. Il faut distinguer dans la recherche des étymologies basques, ce qui est d'ancienne habitation, de ce qui est relativement moderne ; bien que les Basques occupassent le midi de notre pays à une époque extrêmement reculée, leurs dernières invasions ne datent guère que des rois mérovingiens ; en sorte que les recherches étymologiques, demandées par M. Lagneau, ne sauraient donner la mesure exacte du recul des Basques. Auch, par exemple, dont parle notre collègue, est la ville même des Basques Euskualdunac et non un territoire qu'ils auraient envahi. Quant aux villages qui sont sur la limite du Béarn et de la Vasconie, on peut s'expliquer le mélange, des idiomes tout aussi bien par une invasion des Basques que par une invasion des Béarnais. En Espagne, G. de Humboldt a fait d'importantes recherches étymologiques pour la détermination des localités présentant une origine ibérienne. 



M. Lagneau. "Les remarques faites par M. d'Avezac sont parfaitement justes. Longtemps avant le passage des Basques ou Vascons, d'Espagne en France, vers la fin du sixième siècle, le midi de notre pays était occupé par des peuples de même race. Les Aquitains, habitant entre la Garonne et les Pyrénées, étaient considérés par les Romains et les Grecs, en particulier par Strabon, comme étant de race ibérienne, et peut-être même est-il permis de supposer que plus anciennement des peuples de même race avaient habité au nord de la Garonne. M. Ampère remarque que Corbilo, port situé près de l'embouchure de la Loire, paraît avoir une étymologie ibérienne. Néanmoins, à supposer que les dénominations locales ne puissent permettre de différencier en France les localités occupées par les Basques au sixième siècle, de celles occupées antérieurement par des peuples de même race, il serait intéressant de rechercher jusqu'où remontent vers le nord les localités témoignant par leur étymologie de l'existence antérieure d'un peuple de cette famille ethnique.


Quant à l'Espagne, je sais en effet, qu'on a déjà fait des recherches pour déterminer les localités ayant une étymologie basque, mais peut-être mériteraient-elles d'être faites spécialement pour la région occidentale de la chaîne des Pyrénées, dans le but de reconnaître, si l'on doit, ou non, admettre la parenté ou la diversité ethnique des Cantabri, Autrigones, Varduli, Vascones, anciennement confondus sous le nom de Cantabri, actuellement sous celui de Basques."



M. d'Avezac. Quelques auteurs pensent que les Cantabres sont gaulois et de race kymrique et qu'ils appartiennent à cette série de peuples qui occupaient le nord-ouest de l'Espagne, et notamment les Artabres dont la nationalité gauloise n'est pas douteuse. 



M. Gaussin. Cette carte de la répartition de la langue basque en France est de la plus haute importance, et je demande qu'elle soit publiée. 



M. Broca. Je pense qu'il est préférable d'attendre qu'une carte analogue ait été préparée pour les pays basques espagnols, parce qu'alors on publiera une seule carte représentant toute la région où l'on parle basque, en deçà comme en delà des Pyrénées."




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