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mercredi 5 janvier 2022

TERRE NEUVE ET LES BASQUES AU MOYEN ÂGE

TERRE NEUVE ET LES BASQUES.




Les Basques, pendant des siècles, ont pratiqué la pêche à la baleine et à la morue, dans les eaux de Terre-Neuve.





carte terre-neuve
CARTE BASQUE DE L'ÎLE DE TERRE-NEUVE, 
DE LA CADIE ET DU CANAA



Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal Asiatique, le 1er décembre 1826, sous la plume de M. 

Antoine-Jean Saint-Martin, traduisant un récit de voyage de Martyr,  évêque d'Arzendjan, au 

15ème siècle  :



"... Observations historiques sur les voyages entrepris dans l'Océan Atlantique, avant la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb.



Après ces détails indispensables, je reviens à ce qu’il y a d'essentiel et de remarquable dans cette relation, je veux dire le voyage de son auteur dans l’Océan Atlantique. Evêque arménien, il vivait à la fin du  quinzième siècle ; il était ainsi contemporain de Christophe Colomb. Il parcourait l'Espagne dans le temps même où ce célèbre navigateur traversait une seconde fois les flots de l'Atlantique, pour étendre les découvertes qu’il avait si glorieusement commencées. On ne devait guère s'attendre à trouver dans une langue étrangère à l'Europe, dans un manuscrit arménien, et dans le récit d'un pieux pèlerinage, de détails qui semblent se rattacher à ce grand événement.



Ces détails sont très courts, il est vrai, bien peu développés, mais, tels qu'ils sont, ils sont neufs, et tout à fait propres à fixer sur cette relation l'attention des personnes instruites. Ils nous font connaître une entreprise du même genre que celle de Christophe Colomb, un voyage de découverte, resté ignoré jusqu'à présent, peut-être parce qu'il n’eut aucun résultat important, ce dont au reste, il est assez difficile de bien juger, d'après le récit de l'évêque arménien. Toutefois l’époque à laquelle ce voyage se fit, et qui est seulement postérieure de dix-neuf mois, à la première navigation de Colomb, et le pays où l'expédition fut préparée, sont des indications précieuses. Elles pourront peut-être contribuer à compléter, et à jeter du jour sur cette partie obscure de l'histoire des découvertes géographiques. 



L'expédition dont il s’agit fut préparée dans un port de la Biscaye, et elle quitta les côtes de cette province le 8 avril 1494, ainsi que je le ferai voir dans la suite. Ce n'était pas un voyage ordinaire. Il n’eut pas d’autre objet que de découvrir de nouvelles terres. Les circonstances rapportées par l'évêque arménien sont claires et décisives, elles ne peuvent laisser de doute sur ce point essentiel.



L'entreprise fut conduite, à ce qu’il paraît, par des Biscayens. Je rappellerai à cette occasion que les autorités alléguées par Bergeron, et par le P. Charlevoix, dans son Histoire de la Nouvelle-France, font voir que, dès l'an 1504, c'est-à-dire douze ans seulement après le premier départ de Colomb, les Bretons, les Normands et les Basques étaient dans l'usage de fréquenter les côtes de l'île de Terre-Neuve, et même le continent voisin, où ils étaient attirés par la pêche de la morue. Le témoignage de l'amiral Jean de Verrazzano, qui visita ces parages en 1524, par l'ordre de François 1er, est conforme à l'opinion de ces auteurs, au moins pour ce qui concerne les longues navigations des Bretons. Ses paroles sont formelles ; il dit, en parlant de l'île de Terre-Neuve : Pervenimmo alla terra, che per il passato trovorono i Brettoni. Ceci est bien d'accord avec une autre indication que l'on trouve dans la collection de Ramusio, et de laquelle il résulterait que toute la côte orientale de Terre-Neuve, aurait été découverte par les Bretons et les Normands, à une époque restée indéterminée, mais antérieure au premier voyage de Christophe Colomb. On trouve dans le même recueil, qu'en l'an 1507, un capitaine de Honfleur, en Normandie, nommé Jean Denis, et un certain Gamart, de Rouen, s’étaient rendus dans ces parages, et qu'à la même époque toutes les côtes méridionales de l'île étaient visitées par les Portugais. Le P. Charlevoix prétend aussi que le même Jean Denis publia une carte de Terre-Neuve et des régions environnantes, et il assure qu'on vit en France, en l'an 1508, un sauvage du Canada, amené par Thomas Aubert, pilote de Dieppe ; ce qui se trouve aussi dans Ramusio, où il est dit que le navire dieppois qui fit ce voyage s'appelait la Pensée





livre terre-neuve
LIVRE HISTOIRE DE LA NOUVELLE-FRANCE
PAR P CHARLEVOIX



Ces indications paraissent sûres, rien au moins ne peut porter à les révoquer en doute. Elles sont de nature à faire croire que ces parties de l'Amérique, furent découvertes peu avant, ou peu après l’époque où Christophe Colomb, se dirigea pour la première lois vers les Antilles. Elles ont même paru si concluantes à plusieurs habiles géographes du seizième siècle, tels qu’Ortélius, Mercator, Corneille Viitfliet, Pontanus, Antoine Magin, et à quelques autres plus modernes, qu’ils ont cru pouvoir les regarder comme un fait constant. Il est difficile au reste de ne pas rester convaincu, en lisant leurs ouvrages, que l'on connaissait alors le Groenland, et les régions de l’Amérique situées plus au midi, telles que Terre-Neuve et le Labrador. Selon eux, les Basques de cap Breton, près Bayonne, et d’autres pêcheurs de morue de la même province, avaient découvert l'île de Terre-Neuve, avant les voyages de Christophe Colomb. Ils ont même été plus loin, et ils ont cru encore pouvoir assurer, que les mêmes navigateurs avaient reconnu les autres îles voisines de Terre Neuve, et qu'ils s'étaient avancés jusqu'au Canada. Ils prétendent aussi qu'un pilote basque avait donné connaissance de ces découvertes à Christophe Colomb. Ils font remarquer qu'en mémoire de ces premières découvertes, on avait donné le nom de Cap Breton à l'une de ces îles. Ils font observer encore, ce qui au reste a été noté par tous les auteurs qui se sont occupés de ces matières, que ces îles avaient d'abord été appelées Iles des Baccalaos, dénomination dérivée du mot basque qui sert à designer la morue. 



Barthelemy de las Casas répète les mêmes choses dans son Histoire des Indes, et il y ajoute que Terre-Neuve avait été plusieurs fois visitée par Miguel et Gaspard de Corteréal, fils du navigateur portugais, qui le premier avait reconnu Tercère, la principale des îles Açores. Ces détails sont d'accord avec d'autres renseignements recueillis par Ramusio, et desquels il résulte que ces expéditions des Portugais avaient eu lieu vers l'an 1500. On apprend de plus, par les mêmes autorités, que ces deux navigateurs firent naufrage dans leur dernier voyage vers l'Amérique. 




... Je remarquerai encore qu'il est question du Groenland et de quelques autres parties de l'Amérique, situées plus au midi, dans la relation des Vénitiens Zéni, publiée pour la première fois à Venise, eu 1558, par François Marcolini, et réimprimée dans le Recueil de Ramusio. On sait que ces deux navigateurs parcoururent les mers du Nord, à la fin du quatorzième siècle. Il n'est plus permis maintenant de douter qu’ils n'aient visité toutes les terres septentrionales reconnues autrefois, par les pirates scandinaves, et qu'ils n'aient abordé réellement sur le continent américain ; et leur relation fait voir que la route de ces régions n'était pas ignorée des marins, qui fréquentaient les parages des mers de l'Europe septentrionale. Ce sont peut-être les connaissances plus ou moins confuses, plus ou moins précises que l'on avait sur ces navigations, qui décidèrent Jean et ensuite ses fils Louis, Sébastien et Sanche Cabot à se diriger de ce côté, en vertu d’un privilège donné par le roi d’Angleterre Henri VII, le 5 mars de l’an 1495, quatre ans environ après la première navigation de Christophe Colomb. Il est même très probable que des notions et des considérations de la même nature avaient influé sur les motifs qui portèrent Christophe Colomb à entreprendre son immortelle découverte. II est certain au moins qu'il pouvait connaître ces pays, par les cartes publiées, avant la découverte de l'Amérique, par les cosmographes vénitiens, où ils sont relatés. Mais on a sur ce point un témoignage plus concluant, c’est celui de Christophe Colomb lui-même. Il est constant qu'il avait parcouru les mers du Nord ; c’est au moins ce qu’assure son fils Ferdinand, dans la vie de ce grand homme qu'il nous a laissée. Il y a inséré un fragment des mémoires de son père, dans lequel celui-ci nous apprend qu’il avait navigué dans les mers du nord-ouest, en l’an 1477, quinze ans avant son premier voyage de découverte.



navigateur exporateur venise
SEBASTIEN CABOT 1477-1557


 

carte terre-neuve
CARTE NOUVELLE SCOTIE


Je ne m'arrête pas davantage sur tous ces détails, qui m'entraîneraient trop loin de l'objet que je me propose ; je me borne à revenir sur l'assertion émise par Bergeron et par le P. Charlevoix, parce qu’elle se rattache plus directement à la relation de notre voyageur arménien. Selon ce que rapportent ces auteurs, les bretons, les Normands et les basques, auraient été dans l'usage de fréquenter les parages de Terre-Neuve, dès l’an 1504. On a déjà remarqué que la plupart des noms géographiques de Terre-Neuve, dont on ignore l'origine, semblent attester l'ancien séjour des Portugais, des Français, et particulièrement des bretons, dans cette île. La population qui s’y trouvait au seizième et au dix-septième siècles, était presque toute composée de basques mêlés avec quelques Normands. 



Il ne serait pas difficile de recueillir des autorités qui feraient voir que, longtemps avant cette époque, des marins, partis des côtes de France, s'étaient souvent avancés fort loin dans l’Océan Atlantique, de manière à expliquer comment, dans une de leurs fréquentes expéditions de pêche, ils auraient pu se porter jusqu’à cette distance. 



On connaît les voyages faits autrefois par les marchands de Dieppe jusqu’à la Côte-d'Or ; la conquête des îles Canaries, entreprise au commencement du quinzième siècle, par Jean de Bethencourt, qui se fit seigneur de ces îles, et la découverte de Madère, ainsi que celle des Açores. Ces dernières îles qui avaient été connues des Arabes et des Génois, furent occupées ensuite par les Portugais, et habitées enfin, en 1466, par une colonie flamande, soumise au roi de Portugal. 



On ne possède pas des détails aussi nombreux et aussi circonstanciés, au sujet des entreprises navales faites autrefois dans l’Océan Atlantique, par les marins de la Biscaye. L’académie d’histoire de Madrid a eu soin, il est vrai, de recueillir une tradition conservée jusqu’à nos jours, dans les provinces basques, et qui attribue à un certain Juan Delchaide, la découverte des bancs de Terre-Neuve, fort longtemps avant le premier voyage de Christophe Colomb. Il est probable qu'il s'agit ici du pilote basque dont j'ai déjà parlé, et auquel on attribue la même communication. Ou sait qu’au quatorzième et au quinzième siècles, les Basques passaient pour les plus intrépides marins de l’Océan. Leurs courses navales, pour la pêche de la morue et de la baleine, s’étendaient jusqu’aux mers d’Ecosse et d Irlande. 



Il est bien probable que les mêmes motifs durent les conduire de bonne heure, vers le grand banc de Terre-Neuve, et les parages qui avoisinent cette île, les seuls lieux du monde où les morues se trouvent en grande abondance. On sait que la pêche et la vente de ce poisson formaient, à cette époque, la principale occupation de la population basque, soit de la France, soit de l'Espagne. J’ai déjà fait voir que le premier nom de terre des Baccaloas, imposé à Terre-Neuve, avait une origine basque. Ceci était si bien connu, qu’on trouvait ce nom employé, comme une chose ordinaire, sur une carte faite par Sébastien Cabot, et selon laquelle cette terre aurait été reconnue et visitée par Jean Cabot et ses fils, le 24 Juin 1494. Je saisis cette occasion pour consigner ici une observation, que je n’ai vue nulle part. Je pense que la grande terre de Labrador, située au nord de Terre-Neuve, et qui occupe une très grande étendue de terrain dans l’Amérique septentrionale, doit son nom espagnol aux fréquentes visites des navigateurs de cette nation. C’était là un lieu de travail, pour la préparation de la morue ; et sa dénomination actuelle dont la véritable origine est inconnue, me paraît n'être que la traduction espagnole d'une expression technique, employée par les navigateurs qui fréquentent ces parages. Ceci me donne lieu de croire que des recherches spéciales sur l'origine des établissements faits pour la pêche de la morue, donneraient l'explication de tous les faits obscurs, qui se rapportent à l'histoire de la découverte des régions boréales de l’Amérique septentrionale. 




carte terre-neuve
MAPPEMONDE DE SEBASTIEN CABOT



Les historiens de l'Espagne s’accordent tous à célébrer l'état florissant de la marine des provinces biscayennes, pendant le moyen âge. Leurs armements formaient alors la partie la plus considérable de la marine militaire de l'Espagne, l’une des plus puissantes de l’Europe, à cette époque. Plus d’une fois les Biscayens luttèrent avec avantage contre les Anglais et les Flamands. Dès le dixième siècle, ils avaient des stations commerciales et militaires sur les côtes de la Galice ; les Sables d'Olonne, en Poitou, était une de leurs colonies. Sous le règne d’Alphonse XI (1312-1350), ils avaient une compagnie à La Rochelle et une bourse à Bruges. On voit par un traité conclu en l'an 1351, entre Edouard III, roi d'Angleterre, et le roi de Castille, comme comte de Biscaye, que depuis un temps immémorial les Biscayens étaient dans l'usage de faire exclusivement la pêche des baleines, des morues et autres poissons, sur les côtes de l’Angleterre, de l'Ecosse, des îles Hébrides et dans les eaux du nord de l'Irlande. En 1393, des aventuriers de la Biscaye et du Guipuscoa firent une tentative pour envahir les Canaries ; il est évident qu'ils parcouraient alors l'Océan, fort loin dans toutes les directions. Mais on ne possède aucune indication chronologique précise sur les tentatives qu'ils purent faire vers l'Amérique. La relation arménienne de l'évêque Martiros donne la date certaine de l’une de leurs entreprises audacieuses, et elle est, comme on le verra bientôt, antérieure de dix années aux indications fournies par Ramusio, par Bergeron et par le P. Charlevoix. Elle acquiert de plus un haut degré d’importance, par le rapport qu’on ne pourra méconnaître, entre cette navigation et l'expédition qui avait été entreprise, peu de temps avant, par Christophe Colomb, et qui avait amené la découverte de l’Amérique.



III. Epoque du voyage fait dans l'Océan Atlantique, par l'évêque d'Arzendjan. 



La relation du voyage entrepris dans l’Océan Atlantique, par l’évêque d’Arzendjan, présente diverses circonstances, qui ont besoin de quelques explications, pour que l'on puisse s’en faire une idée juste. Il faut d'abord déterminer, avec exactitude, la position du point de départ, et ensuite fixer la date de rembarquement, et par conséquent l’époque précise du voyage, qui n’est indiquée dans le texte que d’une manière assez vague. Je m’attacherai ensuite, à faire ressortir les diverses particularités , qui pourront nous instruire des motifs qui firent entreprendre l’expédition, dont cet évêque nous a conservé le souvenir, et dont il fit partie par hasard. 



Le voyageur arménien donne à la ville où il s'embarqua, le nom de Gétharia. Il n’est pas difficile de reconnaître que l’on doit la chercher sur les côtes de la Biscaye, car il y arriva à son retour de la Galice, et après avoir quitté Bilbao, capitale de la Biscaye, lorsqu’il se dirigeait vers les Pyrénées. Gétharia devait donc se trouver entre Bilbao et Bayonne. On voit effectivement dans cet intervalle, sur le bord de la mer, un lieu nommé Guetaria, situé dans la province de Guipuscoa, qui fait partie des pays basques. Noel de la Morinière, dans son Histoire générale des pêches, le désigne comme un des principaux ports fréquentés, aux quinzième et seizième siècles, par les pêcheurs de morue, qui se rendaient de la Biscaye à Terre-Neuve. Ce lieu, maintenant obscur et presque abandonné, était alors florissant, et sa marine était depuis longtemps puissante. Le roi de Castille, Sanche IV (1285-1295), lui avait accordé de grands privilèges. Dans un ouvrage de navigation, intitulé le petit Flambeau de la mer, et publié à la fin du dix-septième siècle, ce lieu est nommé Catarie, et il est indiqué comme un des meilleurs ports de la côte, et comme le plus fréquenté. 



Sa situation est à six lieues à l’ouest de St-Sébastien. Après tous ces détails, il ne peut y avoir le moindre doute que le grand voyage fait dans l’Océan, par l’évêque arménien, ne se lie réellement avec les entreprises que les navigateurs basques étaient dans l’usage de faire, à cette époque, dans l’Océan, vers l’Amérique..."



(Source : https://collections.mnbaq.org/fr/oeuvre/600038134#galerie)





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