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lundi 3 janvier 2022

L'ILLETTRISME AU PAYS BASQUE NORD EN 1935 (première partie)

L'ILLETTRISME EN 1935.


Dans les années 1930, un illettrisme important est constaté chez les jeunes Basques lorsqu'ils effectuent leur service militaire.




armée hussards tarbes caserne
CASERNE HUSSARDS 65 TARBES




Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Grande Revue, le 1er décembre 1935, sous la plume 

de Jean Lahargue :



"La plaie des illettrés.



On n’a pas oublié les manifestations qui marquèrent naguère le cinquantenaire de l’œuvre scolaire de la troisième République. La mémoire des Jules Ferry et des Paul Bert fut glorifiée avec éclat, et ce fut justice, car la hardiesse de leurs vues et le courage avec lequel ils les firent triompher les placent au premier rang des héros de notre histoire civique. Et ce n’est point leur faute, ni même la conséquence d’une erreur dans leurs conceptions, si, au bilan des résultats d’une expérience de cinquante ans, il subsiste quelques postes déficitaires, trop à notre gré : ni Jules Ferry ni Paul Bert ne sauraient être rendus responsables de l’usage insuffisant, ou maladroit, ou routinier, de l’instrument qu’ils ont forgé. C’est le sort commun des créateurs d’avoir rarement des continuateurs dignes d’eux.



On ne songe point à nier l’incontestable progrès réalisé dans l’instruction des masses populaires, et spécialement dans l’instruction des femmes. Par suite de l’identité de législation appliquée aux deux sexes, la moitié féminine de la nation a rattrapé son retard séculaire, et cela seul est un résultat sans prix.



Mais qui eût, vers 1886, osé affirmer que cinquante ans plus tard la plain de l’analphabétisme sévirait encore, celui-là eût appelé sur soi malédictions et sarcasmes.



Cependant, les faits sont là : les illettrés, moins nombreux sans doute, le sont encore beaucoup trop. Que les adversaires du régime en prennent prétexte pour crier à la faillite de nos institutions scolaires, c’est leur jeu : leurs exagérations ne doivent point nous empêcher de regarder le mal en face. En démocratie, rechercher la vérité est le premier devoir.



L — Le mal. 



Nous voulons donc simplement ici donner les résultats d’une enquête entreprise dans une ville de garnison du Sud-Ouest sur le degré d’instruction des jeunes gens au moment de leur incorporation.



Chacun sait que la "page d’écriture", chère à Courteline, est depuis 1910 non pas remplacée mais doublée par un examen qui comporte trois épreuves écrites et, éventuellement, une épreuve orale.



Les épreuves écrites comprennent : une dictée très simple de quelques lignes, trois questions de calcul (écriture de nombres, problèmes avec addition et soustraction, problèmes avec multiplication ou division et notions de système métrique), trois questions élémentaires de géographie, d’histoire et d’instruction civique.



Chacune de ces trois épreuves est notée de 0 à 3. La note 0 est attribuée pour la première épreuve, à ceux qui ignorent totalement l’écriture ou savent simplement signer leur nom.



Enfin, les jeunes gens qui ont au total la note 0 subissent une épreuve de lecture ; pour ceux qui sont incapables de lire couramment un texte simple, la note 0 est soulignée, et ils sont considérés comme illettrés complets.



Tous les militaires qui n’ont pas au total la note 5 doivent suivre des cours spéciaux dits par une généralisation d’ailleurs excessive "Cours des illettrés".



Sont dispensés, non seulement des cours, mais même de l’examen, les militaires pourvus du Certificat d’Etudes ou d’un diplôme plus élevé.



Cela dit, voici les résultats d’ensemble d’une série de ces examens d’incorporation dans une garnison du Sud-Ouest qui possède deux régiments : un de cavalerie et un d’artillerie.



Nous avons pris les 4 demi-contingents incorporés d’octobre 1932 à mai 1934, au total plus de 2 500 recrues. Le tableau suivant en donne la répartition par degré d’instruction.


REPARTITION PAR DEGRE D'INSTRUCTION



Traduisons ces chiffres : 800 recrues seulement sur 2 538, moins du tiers, sont arrivées pourvues d’un diplôme les dispensant de l’examen, c’est-à-dire au minimum le certificat d’études primaires. Si nous tenons compte du fait qu’un certain nombre possédèrent, soit le baccalauréat, soit un brevet, nous ne nous tromperons sans doute guère en disant que, parmi celles qui n’ont fréquenté que l’école primaire, à peine un quart avait obtenu le certificat d’études. La proportion paraît faible.



32,8 % du contingent, près du tiers, subissent l’examen de façon satisfaisante, ce qui n’est pas beaucoup dire : on se doute bien que la correction n’est pas d’une extrême rigueur.

26,5 % constituent la catégorie des demi-illettrés ; n’oublions pas que dans ce nombre se trouvent ceux qui ont eu la note "zéro", c’est-à-dire ne savent pas écrire ou savent tout juste griffonner leur nom et déchiffrer plus ou moins bien un texte.

9,2 % enfin, ne sachant rien, ont eu un zéro souligné et forment les illettrés complets.



Ces deux dernières catégories devront suivre les cours qui leur seront faits, le soir, par des instituteurs de la ville.



Voilà donc une première constatation : dans les contingents envisagés, 35,7 % des jeunes gens ont une instruction, soit absolument nulle, soit si médiocre qu’il leur faut à vingt ans reprendre de leurs doigts gauches les outils de l'écolier.



N’avions-nous pas raison de dire que Jules Ferry ni Paul Bert n’avaient ni voulu ni prévu cela ?



Hâtons-nous d’aller au-devant d’une généralisation imprudente. Nous nous garderions d’affirmer que cette proportion désolante se retrouverait partout. Nous savons notamment que la moyenne des illettrés complets officiellement constatée est sensiblement inférieure (5 à 6 %). Nous avons donné le bilan d'un contingent déterminé pour une garnison déterminée : voilà tout. Peut-être la suite de l’analyse montrera-t-elle que ce contingent et celle garnison étaient particulièrement intéressants à étudier.



Recherchons l’origine géographique des recrues qui alimentent notre garnison.



La très grande majorité, les sept-huitièmes environ, viennent des quatre départements du Sud-Ouest : Gironde, Landes, Hautes et Basses-Pyrénées ; le reste, de régions diverses, notamment l’Algérie. Refaisons par département le classement d’après le degré d’instruction pour la totalité de l’effectif.




DEGRE D'INSTRUCTION PAR DEPARTEMENT



Ramenons à 100 pour la commodité de la comparaison. Le pourcentage par département est le suivant :


POURCENTAGE D'ILLETTRES PAR DEPARTEMENT



Une chose frappe tout de suite à la lecture de ces tableaux : c'est l’étrange et presque incroyable décalage entre des chiffres des Basses-Pyrénées et ceux des autres départements.



Alors que la moyenne des illettrés complets est de 5,5 pour cent (ce qui correspond remarquablement à la moyenne générale dans l’ensemble du pays) pour les départements autres que les Basses-Pyrénées, elle s’élève ici à 18,7, près du cinquième. Nous voyons tout de suite que ce département est responsable de la très forte proportion d’illettrés qui afflige notre statistique de garnison.



Mais là encore, une précision s’impose. Les Basses-Pyrénées comprennent deux bureaux de recrutement : Bayonne et Pau. C’est celui de Bayonne, soit le Pays Basque, qui a fourni les contingents considérés. Et en effet les listes de recrues sont pleines de noms aux riches consonances euskariennes : Hirigoyen, Gorostiague, Aguinaga, Bidégaray, Guissagaïts, etc. Voilà localisé notre recrutement d’analphabètes.



Remarquons enfin la constance de la proportion d’illettrés ayant une autre origine. Elle ne varie qu’entre 4,7 et 6,7. Comme si, en dehors des causes particulières qui sévissent dans le Pays Basque, l'analphabétisme avait des causes plus générales, qu’on retrouve partout, et qu’il est difficile, sinon impossible de réduire.



Il y a lieu de considérer aussi l’autre catégorie des déficients de l’instruction, les "demi-illettrés". La proportion en varie peu : moins du quart (Hautes-Pyrénées) au tiers (Landes) du contingent pour les départements du Sud-Ouest ; sensiblement moindre, environ le sixième pour les "départements divers". Cette différence s’explique en partie par le fait que cette dernière partie du contingent contient un certain nombre d’engagés volontaires, de devancements d’appel : ce n’est plus du "tout venant". Aussi bien trouverait-on une différence à l’avantage de la cavalerie, arme de choix, plus instruite dans l’ensemble que l’artillerie ; mais ceci importe peu à notre objet présent.



Au total, ont dû suivre les cours d’illettrés : 

49.6 % des jeunes soldats venant des Basses-Pyrénées

38.7 % des jeunes soldats venant des Landes ; 

28.8 % des jeunes soldats venant de la Gironde ; 

26.2 % des jeunes soldats venant des Hautes-Pyrénées ; 

22.2 % des jeunes soldats venant des départements divers. 



On remarquera le classement excellent, dans ce tableau et dans les précédents, du département des Hautes-Pyrénées, montagneux cependant, et difficile. Mais ce n’est pas la première fois que l’on constate la supériorité des populations montagnardes au point de vue de l’instruction. Les départements savoyards se sont souvent classés en tête à cet égard."



A suivre...




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