À HENDAYE EN FÉVRIER 1908.
C'est en 1891 que Julien Viaud, plus connu sous le nom de Pierre Loti, découvrit le Pays Basque, lorsqu'il fut nommé pour commander le Javelot, canonnière stationnée à Hendaye.
Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire Les Annales Politiques et Littéraires, le 23 février
1908, sous la plume de Pierre Loti, de l'Académie française :
"A propos de Ramuntcho... Aux curieux détails qu'on a lus plus haut sur le pays où se déroule l'action de la nouvelle pièce de Pierre loti, il nous parait intéressant de joindre une page où Loti lui-même — nous le savons de bonne source — a le mieux exprimé le charme poétique qui s'exhale de la terre basquaise :
Un instant de recueillement.
Hendaye.
A certaines heures, longuement amenées, spéciales et rares, le caractère des pays tout à coup se dégage pour nous de l'uniforme banalité moderne. Sous nos yeux, une âme sort du sol, des arbres, des mille choses : l'âme antique des races, qui dormait, affaiblie par le grand mélange universel, et qui, pour un instant, s'éveille et plane...
Aujourd'hui, 22 novembre, tandis que je suis là seul, à ce point extrême où finit la France, assis sur ma terrasse qui regarde l'Espagne, l'âme du pays basque pour la première fois m'apparaît.
Nos contrées d'Europe, hélas ! de plus en plus se ressemblent toutes. Ainsi, depuis un an, je l'habitais, cette Euscalerria, sans y avoir découvert rien de bien particulier, sans m'être aucunement aperçu que je m'y attachais.
Mais, sans doute, un lent travail s'était fait en moi-même, une lente pénétration par des effluves basques, et j'avais été préparé insensiblement à comprendre et a aimer.
Aujourd'hui, c'est le jour de l'Adoration perpétuelle, et les vieilles églises d'alentour, tant espagnoles que françaises, sont plus remplies encore de cierges qui brûlent et de coeurs naïfs qui prient. Il fait idéalement beau ; sur la Bidassoa, sur les Pyrénées, sur la mer, partout règne le même calme infini. L'air immobile est tiède comme en mai, avec, pourtant, cette insaisissable mélancolie de l'arrière-automne, indiquant à elle seule que l'année s'en va.
BAC DE SANTIAGO HENDAYE 1908 PAYS BASQUE D'ANTAN |
La mer, au loin, luit comme une bande de nacre bleue. Il y a des teintes méridionales, presque africaines, sur les montagnes, qui se découpent au ciel avec une netteté absolue, et qui sont vaporeuses, cependant, noyées dans je ne sais quoi de diaphane et de doré. La Bidassoa, à mes pieds, inerte et lisse, reflète et renverse, avec une précision de miroir, le vieux Fontarabie d'en face, son église, son château fort, roussis par des centaines d'étés ; reflète et renverse toutes les arides montagnes avec leurs moindres plis et leurs moindres ombres, même leurs plus petites maisonnettes, çà et là éparses, lanches de chaux sur ces grands fonds roux. Là-haut, en l'air, ou bien en bas, tout au fond du miroir trompeur, les plus lointaines cimes ont une pureté égale. L'immobilité des choses et l'éclat lumineux des teintes donnent à cette côte espagnole un peu de la tristesse ensoleillée du Maroc ; aujourd'hui, du reste, on sent l'Afrique presque voisine, — comme si les limpidités de l'atmosphère, qui atténuent les distances visibles, avaient eu le pouvoir aussi de la rapprocher de nous.
Et ce grand calme silencieux de tout, cette tranquillité inaltérée de l'air, cette immobilité des lumières douces et des grandes ombres nettes, me donnent d'abord l'impression d'un temps d'arrêt dans le mouvement vertigineux des siècles, d'une réflexion, d'une immense attente, ou, plutôt, d'un regard de mélancolie jeté sur le passé, sur l'antérieur des soleils, des êtres, des races, des religions...
Et, dans le vide sonore, de temps à autre tintent les antiques cloches d'église, appelant mieux les hommes aux cultes défunts, pendant ces recueillements étranges ; Fontarabie, Hendaye, les couvents de moines, sonnent, sonnent, appellent, avec les mêmes timbres vieillis, les mêmes voix qu'aux siècles d'avant.
Sur la Bidassoa, des barques d'allure lente passent d'une rive à l'autre, traînant après elles de longues rides alanguies, dérangeant par places les images renversées de Fontarabie et des brunes montagnes. Des marins et des contrebandiers qui les montent — figures rudes, imberbes à la mode basque, têtes coiffées du traditionnel béret noir — causent en leur langue tant de fois millénaire, ou bien chantent, en fausset nasillard, comme les Arabes, les airs des ancêtres.
LE PASSEUR DE FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et, dans les sentiers d'alentour refleuris par ce merveilleux automne, entre les haies garnies, comme au printemps, d'églantines, de troènes et de chèvrefeuilles, les femmes et les jeunes filles se promènent, allant d'une église à l'autre, vêtues surtout de noir, l'épaisse mantille noire abaissée sur le front, comme c'est l'usage ici quand on va prier pour soi-même ou pour les êtres évanouis dans la terre des cimetières...
LA MORT AU PAYS BASQUE EN 1894 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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