LES RÉVOLTÉS DE LA PRISON D'EZKABA EN MAI 1938.
Pendant la Guerre Civile d'Espagne, le 22 mai 1938, 795 prisonniers s'évadent de la prison d'Ezkaba, en Navarre.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Ce Soir, dans plusieurs éditions, sous la plume de
Stéphane Manier :
- le 26 mai 1938 :
"Les révoltés de San Cristobal avancent vers la frontière.
De notre envoyé spécial Stéphane Manier.
Bayonne, 25 mai (par téléphone).
— Tous les échos qui franchissent la frontière ou descendent de la Bidassoa confirment la révolte déjà légendaire des prisonniers de San Cristobal.
— Combien-étaient-ils ?
— Quinze cents ! m'affirme ce matin un commerçant du pays basque qui, pour des raisons de négoce, franchit chaque jour la frontière par Hendaye.
La révolte chez Franco.
Ce qui d'ailleurs certifie l'événement c'est qu'il est un événement attendu depuis des mois par les gens renseignés et qui met à jour, qui manifeste l'état d'esprit qui règne chez les rebelles.
— A Saint-Sébastien, me dit le témoin, il ne se passe pas de jours où éclatent des rixes entre phalangistes et franquistes, entre patriotes espagnols de toutes couleurs et partisans de l'invasion étrangère.
Ce sont d'ailleurs des phalangistes, des nationalistes basques el des républicains espagnols détenus ensemble dans la prison de Pampelune qui se sont révoltés, aidés de l'extérieur, après une minutieuse préparation, par un assaut des montagnards basques.
PRISONNIERS AU FORT SAN CRISTOBAL EZKABA NAVARRE |
Ces rixes, vues par les Français de passage à Saint-Sébastien, ville cosmopolite, n'expriment qu'un des aspects les moins développés, des colères qui s'organisent partout où le terrain le permet du côté des rebelles contre Franco. En pays basque particulièrement, les adversaires irréconciliables hier se retrouvent pour protester et même défendre l'Espagne contre l'invasion italienne et allemande.
Tels sont les premiers renseignements que l'on recueille très vite à l'écoute de la frontière entre Saint-Jean-de-Pied-de-Port et Hendaye.
L'attente des évadés du côté français est anxieuse. L'un de ces derniers est passé à Urepel et non à Saint-Jean-de-Pied-de-Port comme on l'a dit tout d'abord. Puis il a disparu dans la montagne. Il a pu traverser la chaîne des Pyrénées et les forêts avant le resserrement du service d'ordre des gardes frontières franquistes. Depuis, tous les cinquante mètres, de Canfranc à Hendaye, un soldat rebelle veille l'arme au pied, mais les paysans casques connaissent mieux que les franquistes les secrets des Pyrénées et cela depuis des siècles. Aussi pense-t-on que s'ils le veulent, un certain nombre tout au moins de révoltés pourra rejoindre la France.
Policiers, gendarmes et gardes mobiles français sont, depuis cette nuit, alertés et une vaste enquête est lancée sous la direction du commissariat central d'Hendaye. Il semble, en outre, à peu près certain que sur 1 500 révoltés, 1 100 "tiennent" la montagne près de notre frontière, ce qui représente une certaine force armée difficile à atteindre dans la guérilla.
Ils sont ravitaillés en munitions par leurs compatriotes des montagnes. Leur entrée en France reste toujours possible d'un moment à l'autre par petits paquets. Mais il est évident que les franquistes vont s'efforcer d'encercler les prisonniers de San Cristobal pour les empêcher de venir en France où ils apporteraient la vérité sur le tragique climat qui amoncelle des orages au-dessus du camp des rebelles.
- le 27 mai 1938 :
"La tragique odyssée des révoltés de San Cristobal.
Jour et nuit, on épie les mystérieuses profondeurs de la forêt et de la montagne mais les fugitifs restent introuvables.
De notre envoyé spécial permanent Stéphane Manier.
Saint-Jean-Pied-de-Port, 26 mai (par téléphone).
— Une fois encore les monts pyrénéens se sont dégagés des ombres nocturnes sans révéler la présence des révoltés de San Cristobal. Du moins sur le versant français. Gendarmes et gardes mobiles de France, à Saint-Jean-Pied-de-Port ou à Saint-Etienne-de-Baïgorry, ont dû modérer une activité qui s'avère pour l'instant épuisante et vaine.
Les révoltés de San Cristobal ne pourraient atteindre notre pays républicain, terre de salut, ni par une route, ni par un poste de douane, pas même par un sentier de mulets, sans risquer d'être vus, puis cernés et massacrés.
Sans doute s'efforcent-ils de tromper la surveillance pour passer par des issues imprévisibles, le long d'une frontière compliquée et pittoresque de montagnes.
La montagne, interrogée, ne répond pas à notre voix. La forêt, qui couvre gorges et ravins, garde son secret. Dans son silence insidieux, le chant des oiseaux perd son charme pour n'exprimer soudain que la cruelle ironie d'une paix perfide, d'une fausse paix.
L'insécurité se fait épouvante et l'incertitude laisse toute la place à l'imagination vagabonde. Aussi, beaucoup de bruits difficiles à contrôler circulent-ils de bouche à oreille et, d'interprétation en interprétation, prennent finalement, dans les grands centres, un ton affirmatif qu'ils n'avaient pas au début.
On se prend donc à douter des témoignages les plus fervents, les plus convaincus.
La révolte de San Cristobal est évidemment plusieurs fois confirmée par des faits : renforcement des effectifs de carabiniers rebelles, battues, recherches du côté espagnol, état d'alerte de la police française après renseignements pris. Sur cet événement, pas de doute possible.
1 500 prisonniers se sont mutinés, ont emporté 300 fusils. 400 évadés ont été repris et 100 de ceux-ci ont été immédiatement fusillés. Révolte, poursuite, voilà où nous en sommes. Quant à la réapparition des fugitifs ou à leur salut, nous n'avons encore rien de précis.
L'un des révoltés a-t-il vraiment réussi à venir en France par Valcarlos et Saint-Jean-Pied-de-Port ? Son aspect, décrit par un pêcheur de la Nive, rivière qui prend sa source dans les monts proches, est-il celui d'un prisonnier ou d'un déserteur franquiste ? Nul ne le sait vraiment.
Le bruit selon lequel ce matin trois des fugitifs auraient été arrêtés dans un village espagnol près de Burguette, n'est pas non plus confirmé.
Des gardes rebelles sont interrogés par les gardes français d'un poste à l'autre sous la forme cocasse de gens exerçant le même métier :
— Alors, vous les avez trouvés ?
— Si.
— Sans blague. Et où ?
— On les cerne dans les massifs du mont Ahadi.
ITINERAIRE DES FUGITIFS DE LA PRISON D EZKABA EN NAVARRE |
C'est là la réponse qui pourrait paraître catégorique. En fait, les gardes de la frontière — je veux dire les gardes franquistes — ne sont pas forcément tous renseignés. Les évadés de la prison de Pampelune sont encore 1 100. Mille cent hommes sont cachés depuis trois jours. Ils vont peut-être surgir une nuit des collines vertes d'Urepel ou d'ailleurs.
Eux seuls connaissent le chemin qu'ils ont décidé de suivre.
Dans les dolents villages des frontières, rien depuis trois nuits n'a frappé les oreilles exercées à ausculter les grands silences. Rien, pas un coup de fusil. Les regards des montagnards, dressés par les siècles à percer l'ombre des futaies et la clarté verte des ravins, n'ont vu bouger aucune ombre vivante.
La tragique odyssée des prisonniers de San Cristobal les obsède. Le massif du mont Ahadi n'est coupé d'aucun chemin, certes. Mais les battues peuvent découvrir ceux qui fuient.
Auraient-ils été déjà massacrés ? Les journaux de l'Espagne rebelle n'ont publié aucun récit de la révolte. Par conséquent, pour ne pas avouer la décomposition intérieure du camp rebelle, ne publieront-ils pas non plus les détails d'un affreux massacre ?
L'attente se fait donc tourment. Si les révoltés de San Cristobal ont pris le chemin le plus court, ils devraient au plus tard passer la frontière dans la nuit prochaine. Mais s'ils sont parvenus à traverser dès le premier jour la route du col Ibañeta, peut-être se cachent-ils dans la grande forêt Iraty, qui a plus de 100 kilomètres. Dans ce cas, ils auraient décidé de rejoindre les grands sommets blancs et ils auront à vaincre la montagne, ses dangers, ses rafales de neige.
Leurs intentions, je l'ai dit, sont ignorées ici comme elles sont ignorées de l'autre côté de la frontière. S'il est vrai que les évadés ont été aidés et guidés par des paysans basques et que leur départ a été minutieusement préparé, il est possible qu'un refuge leur ait été ménagé en Espagne même.
PRISONNIERS A ESKABA EN NAVARRE |
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