L'ÉCRIVAIN BAYONNAIS THIERRY SANDRE EN 1924.
Jean-Joseph Auguste Moulié, alias Thierry Sandre, né à Bayonne (Basses-Pyrénées) le 19 mai 1890 et mort à Bouchemaine (Maine-et-Loire) le 11 octobre 1950, est un écrivain, poète et essayiste français.
THIERRY SANDRE PRIX GONCOURT 1924 PHOTO DE L'AGENCE ROL |
Voici ce que rapporta à son sujet l'hebdomadaire Les Annales Politiques et Littéraires, le 21
décembre 1924, sous la plume de G. de Pawlowski :
"Les livres. Le Prix Goncourt est attribué à M. Thierry Sandre auteur du Chèvrefeuille, mémorialiste du Purgatoire, traducteur d'Athénée.
LIVRE LE CHEVREFEUILLE DE THIERRY SANDRE PRIX GONCOURT 1924 |
On ne saurait véritablement accuser les membres de l'Académie Goncourt d'entente, de cabale ou de parti pris. Les dix académiciens votèrent, en effet, pour neuf candidats différents, et ce ne fut qu'au septième et dernier tour de scrutin que M. Thierry Sandre fut, par six voix, proclamé élu pour trois de ses livres : Le Chèvrefeuille, Le Purgatoire et sa traduction du Chapitre Treize, de l'auteur grec Athénée.
Ce n'est donc point un triomphe éclatant dû à l'enthousiasme, mais c'est un succès de bon aloi qui, à la réflexion, se justifie pleinement. L'ensemble des trois livres couronnés suffit, du reste, à donner à ce choix toute sa signification.
Peut-être le, roman Le Chèvrefeuille n'a-t-il point, par lui-même, une qualité de composition et de style suffisante pour lui valoir le prix Goncourt ; mais ce n'est point lui qui l'obtient, c'est son auteur, pour l'ensemble de son oeuvre, et ceci, une fois encore, nous semble infiniment juste ! Si l'oeuvre nous paraît encore à ses débuts, l'auteur, lui, est déjà un homme complet, d'un beau caractère, dont l'esprit n'a plus qu'à s'humaniser avec l'âge en perdant cette rigidité un peu trop "officier" que lui donna la guerre.
L'un des livres couronnés est Le Purgatoire, dont il convient de citer l'éditeur, M. Edgar Malfère, d'Amiens, fondateur de la Bibliothèque du Hérisson, qui publia également Le Chapitre Treize. Le triomphe de Thierry Sandre est, en effet, tout à la fois celui de cet excellent éditeur : excellent par la qualité matérielle des livres qu'il publie, excellent aussi par l'admirable dévouement qu'il montra pour les anciens combattants. Car M. Thierry Sandre, ne l'oubliez pas, est secrétaire général de l'Association des Ecrivains Combattants, et c'est là le premier de ses titres à notre sympathie ; il en est d'autres, nous le verrons tout à l'heure.
LIVRE LE PURGATOIRE DE THIERRY SANDRE PRIX GONCOURT 1924 |
Le Purgatoire est un journal d'impressions de M. Thierry Sandre, qui fut fait prisonnier, en 1916, à Douaumont-Village et resta en Allemagne jusqu'en juillet 1917, date à laquelle il rentra en France pour finir la guerre vers le Sahara, ce qui nous valut un volume de vers : Fleurs du Désert.
Ce journal d'un prisonnier abonde en détails cruels, pittoresques, mais d'une bonne foi qui est le fond même du caractère de l'auteur. On y trouve de curieux récits d'évasion ; on y trouve surtout un perpétuel réquisitoire contre l'hypocrisie boche qui se manifestait d'une façon éclatante par mille taquineries quotidiennes. Les évasions déconcertaient les Boches et les mettaient en fureur. Celle du capitaine Derache fut un triomphe. Il creusa une galerie qui conduisait à un égout qui donnait sur l'Elbe. Au bout de l'égout qui charriait des immondices était une grille. En se baissant, le capitaine constata que la grille n'allait point jusqu'au fond des immondices ; il suffisait de plonger, de passer par en dessous pour être libre ! C'est ce qu'il fit.
Mais il y a également de bien curieux récits d'évasions manquées, — manquées presque toujours par excès de politesse de certains Français qui, par ailleurs, connaissaient merveilleusement l'allemand. Dans une brasserie, un évadé remercie deux fois de suite la servante qui lui apportait des plats ; au premier remerciement, inusité, la servante s'étonne ; au second merci, elle fait arrêter le fugitif. Deux politesses successives, ce ne pouvait être qu'un Français !
Arrestation également d'un évadé qui demande poliment un billet de chemin de fer à la gare. Cela n'était pas naturel. On le soupçonne, on le reprend. Mais il faudrait citer d'un bout à l'autre ce carnet d'un prisonnier. Il nous montre quelle dignité, quelle intransigeance conservaient les nôtres dans la pire captivité.
THIERRY SANDRE PRIX GONCOURT 1924 PHOTO AGENCE ROL |
Un détail touchant : la différence de mentalité qui existait entre les prisonniers du début de la guerre et les prisonniers suivants. Ceux du début, ceux de Charleroi, avaient été odieusement maltraités par les Boches, qui se croyaient vainqueurs. Ils en gardèrent un désespoir morne, une neurasthénie définitive. Les nouveaux prisonniers les respectaient comme des ancêtres, et cette impression était d'autant plus vive que ces ancêtres avaient les vieux costumes et les galons d'avant guerre : les culottes rouges, les capotes bleues. On les eût dit prisonniers depuis Sedan.
M. Thierry Sandre, de son véritable nom Charles Moulée, né à Bayonne en 1890, fut toujours un sportif. Au collège d'Arras, au lycée de Lille, ce fut un robuste footballeur ; cela se sent dans le courage physique et moral qu'il mit à être chasseur à pied et à jouer la grande partie qui devait sauver la France.
Cela, c'est le côté physique, pourrait-on dire, de son caractère, l'élément qui donne à son talent un aspect sain, robuste, une netteté qui va souvent jusqu'à la sécheresse.
L'autre aspect de M. Thierry Sandre, que révèle la traduction d'Athénée, c'est l'érudition. Non pas une érudition officielle, car l'auteur ne collectionna pas les grades universitaires, mais une érudition d'autodidacte qui lui permit, cependant, d'aborder avec succès les plus difficiles traductions d'auteurs grecs. On sait, en effet, que le fumier d'Ennius n'est que paille bien rangée auprès du capharnaüm d'Athénée.
ECRIVAIN THIERRY SANDRE PRIX GONCOURT 1924 |
A vrai dire, ce philosophe, né dans la Basse-Egypte au IIe siècle de notre ère, a-t-il réellement existé ? On a prétendu que le nom de Tacite n'était que la désignation d'un abrégé de l'histoire romaine. On peut se demander si Athénée n'était point l'équivalent en grec de "Grande Encyclopédie" ou de "Dictionnaire". Il y a de tout, dans Athénée, d'innombrables citations d'auteurs disparus ; c'est une véritable bibliothèque, un dictionnaire de l'antiquité où les Anatole France peuvent trouver de véritables trésors, mais un fatras dont les incohérences, dues aux copistes, sont bien faites pour décourager les traducteurs.
Le chapitre XIII du Repas des Sophistes présente un piquant intérêt, car il nous décrit les moindres anecdotes de la vie des dames chères depuis à Brantôme, qui, avant et après Phryné, illustrèrent l'antiquité. On y découvre des choses charmantes, et l'on comprend tout l'intérêt que dut éprouver M. Thierry Sandre pour ce merveilleux chapitre XIII dont il nous donne une traduction sérieuse, non point comme d'autres, d'après le latin, mais d'après l'original grec, première bonne traduction, sans doute, que nous en ayons.
M. Thierry Sandre, je le disais plus haut, a fait lui-même sa propre éducation. Il l'a faite en bonne compagnie. Dès l'âge de dix-sept ans, il débutait avec un petit médaillon dans Gil Blas. Nous eûmes la joie de lui prendre de nombreux échos dans Comoedia. Mais ce qui le forma définitivement, ce fut l'aide qu'il donna, comme secrétaire, à d'excellents écrivains, tels que Binet-Valmer, Pierre Louys et Gilbert de Voisins. Tout en entendant parler chaque jour de littérature par des hommes amoureux de leur métier, M. Thierry Sandre poursuivit ses recherches de chartiste libre. On lui doit ainsi de nombreux ouvrages ; nous avons parlé ici même, en avril 1923, de ses traductions de Jean Second et de Joachim du Bellay ; il faut citer encore celle qu'il donna de Musée et de Sulpicia, ainsi que son édition des épigrammes de Rufin.
ECRIVAIN THIERRY SANDRE PRIX GONCOURT 1924 |
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