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samedi 28 octobre 2023

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1896 (quatrième partie)

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1896.


La place de la femme, dans la société, au Pays Basque, a toujours été très importante.



pays basque autrefois 1900 femme alava
FEMME D'ALAVA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Après nous avoir parlé des enfants, des animaux domestiques, des mariages et de la mort, voici 

ce que rapporta au sujet de la femme au Pays Basque, Mme d'Abbadie d'Arrast, épouse 

d'Antoine d'Abbadie d'Arrast, dans la revue bimensuelle La Femme, le 15 janvier 1896 :



"La femme du pays basque (suite).



... En dehors des trois exemples que je viens de citer, peu de femmes se sont fait un nom dans le pays. Le type de la Basquaise reste un type impersonnel. Les personnalités féminines dont nous pourrions esquisser les traits ne sont connues que dans un cercle restreint. Il est difficile de se procurer des informations sur celles qui offrent un peu plus de relief. Deux jeunes filles que nous ne pouvons nous permettre de nommer font preuve d'une intelligence au-dessus de la moyenne. L'une a passé ses examens de licence et va exercer la pharmacie ; l'autre est un peintre d'un talent distingué. Elève de M. Bonnat, elle a exposé ses oeuvres au Palais de l'Industrie. Ses portraits sont d'une bonne peinture, d'un dessin ferme et correct. Du bout de son pinceau, elle a élevé sept frères et soeurs.



Je pourrai parler plus ouvertement d'une élève du Conservatoire qui a débuté à Paris comme cantatrice, Mlle Folzer, de Saint-Jean-Pied-de-Port. Cette artiste avait une belle voix, un physique sympathique. Mais sa carrière artistique a tenu dans un trop court espace pour qu'elle ait eu le temps d'arriver à la célébrité. Atteinte par la phtisie, elle a abandonné le théâtre où elle venait à peine de débuter, elle est rentrée dans sa ville natale et, à vingt-cinq ans, elle a succombé aux ravages de l'implacable maladie. En ce moment, une autre chanteuse, née à Saint-Jean-Pied-de-Port, douée d'une voix remarquable, se fait applaudir à Bordeaux. Les Basques sont naturellement musiciens : la voix est sonore, profonde ; une éducation professionnelle leur ferait acquérir ce qui leur manque, de la justesse et de la souplesse. Avec de l'élude et de la méthode, on retirerait de leurs gosiers des sons rares et exquis. Les antiques chants nationaux, très caractéristiques, graves, mélancoliques, méritent leur réputation. On en a publié quelques recueils ; leur distinction et une incontestable originalité leur ont valu l'honneur d'être reproduits dans un opéra moderne. Une femme éminemment musicienne, qui appartient par le sang et l'éducation à l'aristocratie basque, Mme de la Villehélio, a entrepris une savante annotation des airs populaires dont avait été bercée son enfance. Le génie artistique qui a guidé Mme de la Villehélio dans la composition de son recueil, ses recherches historiques donnent à sa publication une autorité et une valeur hors ligne.



pays basque autrefois femme chanteuse compositrice soule
JULIE ADRIENNE KARRIKABURU ROGER
DITE MME DE VILLEHELIO



Parmi les femmes d'élite du pays, je pourrais citer une négociante dont les aptitudes sont remarquables. Agée de 30 ans quand elle est devenue veuve, elle n'a pas hésité à prendre en mains un négoce étendu. Armements de navires pour l'Amérique, trafic considérable de laines, placements hypothécaires, administration de vastes domaines ; magasin de vente en détail, elle a su tout embrasser, en imprimant à son commerce une telle prospérité qu'elle a fondé une seconde maison qu'elle gère en même temps que la première. Elle est fille d'un marchand. Dès l'enfance elle a été habituée à se tenir auprès de son père pour servir les clients. Elle écrit admirablement bien, parle le français aussi purement que sa langue natale. Du matin au soir elle travaille, règle seule son énorme comptabilité, renouvelle ses contrats, traite des affaires de banque et ne permet à personne de l'aider. Et cette femme si énergique est cependant d'une santé frêle, d'une apparence délicate ; elle a supporté sans faiblir les épreuves de la maternité, elle est mère de sept enfants qu'elle a nourris elle-même. Elle est âgée à présent de 55 ans, et ce n'est que tout récemment qu'elle a consenti à placer son fils aîné à la tête de sa seconde maison de commerce.



Dieu nous garde, par les exemples féminins que nous recherchons parmi les Basques, de surexciter les ambitions ! Ni la paix, ni la sécurité de la conscience ne se trouvent au milieu du tourbillon des affaires, et ce n'est pas vers le grand commerce, avec ses nécessités d'égoïsme et de dureté de coeur, que nous souhaitons voir s'orienter la nouvelle génération de nos soeurs. Trop de responsabilités pèsent sur ceux qui se livrent aux entreprises de ce genre. Le naufrage irrémédiable menace sans trêve qui ose manier des intérêts commerciaux considérables. L'être humain doit se préserver de tels périls, s'il veut conserver intact dans son âme le désintéressement d'un disciple débonnaire du Christ. Retenons seulement de la femme intelligente dont je viens de parler et que je ne nomme pas par respectueuse discrétion, la leçon de virilité qu'elle a donnée, par l'exemple de sa courageuse carrière.



D'ailleurs chez quelque peuple que ce soit, quelque éducation que reçoive la femme, une intelligence aussi étendue, une netteté, une précision d'esprit aussi remarquables resteront à l'état d'exception. Il n'en va pas autrement parmi les hommes, malgré l'incalculable avantage d'une éducation professionnelle que l'on avait jusqu'ici jugée inutile pour la femme. Les hommes capables d'embrasser de vastes transactions commerciales, industrielles ou financières, se comptent. Les imprudents et les incapables qui, sans calculer leurs forces, s'élancent dans la carrière, sont légion. Ils étreignent plus qu'ils ne peuvent embrasser, et au lieu de la fortune et de l'honneur, ils rencontrent sur le chemin la ruine, la honte, la banqueroute.



Dans notre causerie avec les lectrices du journal la Femme, nous préférons en revenir à nos braves montagnardes qu'aucun labeur nécessaire, quelque rude qu'il soit, ne rebute. Elles donnent la preuve de leur courage en prenant leur part dans les travaux qu'exigent deux récoltes spéciales à la contrée : la cueillette de la fougère et la gaulée des châtaignes. Elles y prennent part. Mais elles ne pourraient s'en acquitter à elles seules : elles sentent que cela excéderait leurs forces et que l'aide de l'homme leur est indispensable. Une histoire pittoresque se conte entre Basques pour illustrer la nécessité des secours masculins. Le récit humoristique a pour point de départ un proverbe qui dit : L'homme est toujours homme, même dans le panier. Une belle fille, forte et robuste, avait épousé un jeune homme malingre, vrai petit avorton, petit homme de rien du tout, d'un caractère plus triste encore que de chétive apparence. Il était grincheux, impatient ; rien n'allait selon son goût et il ne laissait à sa femme, par ses éternelles récriminations, ni paix ni trêve. A bout de patience, un jour la femme se dit : "Je ne ferai jamais rien de bon de ce bout d'homme, de ce mauvais hommelet (guizalchar) qui ne mérite même pas le nom d'homme. Tout autant vaut que j'aille le jeter à l'eau." Elle l'enferme dans un panier, le charge sur sa tête et la voilà qui se dirige vers la rivière. Chemin faisant, un gros chien s'élance sur ses pas et se met à aboyer contre elle. Elle se range de côté et se met à s'écrier : "Ciel ! ciel ! que vais-je devenir ?" De son panier, le bout d'homme se prend à demander : "Qu'y a-t-il donc ?" La jeune femme répond : "C'est un énorme chien qui vient après moi et qui veut me dévorer ; crie donc un peu fort pour lui faire peur." Le bout d'homme, malgré qu'il fût si chétif, avait cependant la voix forte, une voix d'homme, et il se met de toutes ses forces à invectiver le chien : "Va te coucher, chien, sors de là, méchant." Cette grosse voix qui s'échappe du panier fait une telle peur au chien que le vilain détale au galop, oreille basse et queue entre les jambes. Alors la femme se dit à part elle : "Il n'est pas si peu de chose que cela, mon pauvre mari, puisqu'il a fait peur au chien. Il vient de nous tirer tous deux d'un très grand danger ; il peut encore m'être utile. Gardons-le. L'homme est toujours homme, même dans un panier. Guizon guizona, saski pettik."



A suivre...



(Source : Madame de Villehelio, mémoire de la musique traditionnelle de Zuberoa (eitb.eus))




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