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lundi 28 août 2023

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1895 (deuxième partie)

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1895.


La place de la femme, dans la société, au Pays Basque, a toujours été très importante.




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FEMME DE NAVARRE MONTAGNE OCCIDENTALE
PAYS BASQUE D'ANTAN






Après nous avoir parlé des enfants, des animaux domestiques, des mariages et de la mort, voici 

ce que rapporta au sujet de la femme au Pays Basque, Mme d'Abbadie d'Arrast, épouse 

d'Antoine d'Abbadie d'Arrast, dans la revue bimensuelle La Femme, le 15 septembre 1895 :



"La femme du pays basque (suite).



"... Un autre remède pour amender les péchés de la langue est recommandé dans les veillées du pays. Une pénitente s'accusait de médisance contre son prochain. Son confesseur, après lui avoir fait de sévères remontrances, lui impose une pénitence. "Tuez une volaille, lui dit-il, une belle grosse poule, vous la plumerez, et ensuite vous en jetterez les plumes au vent, puis vous les ramasserez avec soin et vous me les rapporterez toutes." "Ce que vous me commandez là est impossible," lui dit la femme. "Alors cela prouve la gravité de votre faute ; le mal que vous avez fait par votre langue à votre prochain, vous ne pouvez le réparer pas plus que vous ne pouvez rattraper les plumes que vous jetez à l'air du ciel."



Nous disions tout à l'heure que la Basquaise restait le matin à la maison pour s'acquitter des soins du ménage ; il n'est pas sans utilité de rechercher l'emploi de son temps ; cela peut donner à réfléchir à beaucoup de nos jeunes filles que le travail effraie et qui se montrent si peu courageuses lorsqu'il faut quitter son lit. Notre Basquaise se lève la première dans la maison, au jour en été, avant le jour en hiver ; après cinq heures on ne la trouve guère couchée. Les hommes se lèvent après elle, un peu plus tard. Son premier soin est d'allumer le feu dans la cuisine et de mettre la marmite sur le feu pour faire bouillir de l'eau et préparer la soupe avant que les ouvriers ne partent pour les champs. Cela fait, elle songe aux enfants. Elle les lève, les habille, leur donne à manger et les envoie à l'école ; ensuite elle fait les lits, elle balaie la maison et la met en ordre ; elle va chercher les légumes dans son jardin, les épluche, les pèle et prépare le repas du midi. Le menu de ces repas ne varie guère : une soupe aux légumes, un peu de porc salé, des haricots en sauce, du pain de maïs, de la miche cuite au four, du fromage qu'elle a fait elle-même. Quelquefois on a tué une brebis à la maison ; avec le sang et la graisse de la brebis elle prépare des boudins que les gourmets du pays estiment particulièrement ; ces boudins servent pendant plusieurs jours à faire une soupe qu'on nomme "tripa chalda", où entrent force oignons, ail, et piments rouges. Elle sert le repas; elle ne se met pas à table, elle se tient derrière la chaise de son mari, va et vient, faisant le service. Après le repas, elle range soigneusement sa cuisine. Les cuisines basques sont arrangées avec une certaine coquetterie ; le dressoir sert à recevoir les anciens plats de la famille : plats de vieille faïence, plats d'étain souvent timbrés d'armoiries quand la maison est d'origine noble ; un volant de cretonne à petits carreaux blancs et rouges encadre le manteau de la vaste cheminée ; dans sa longue caisse de merisier une grande pendule ; les ustensiles de cuisine sont placés sur une planche au-dessus de l'évier ; le seau de cuivre pour contenir l'eau trône au milieu des vases de terre et de bois ; il brille comme de l'or ; son éclat est l'orgueil des maîtresses de maison. Dans un coin est placé un grand broc eu hêtre muni d'une anse. On l'a taillé en plein bois, dans un gros bloc de bois ; la ménagère fait bouillir son lait dans ce broc ; pour ce faire, elle jette dans le lait des pierres qu'elle a fait rougir au feu. En quelques minutes le lait bout, mousse et monte ; aussitôt on le verse dans une terrine, puis, de la terrine, on le remet dans le vase de bois jusqu'à cuisson parfaite. Le lait cuit à la pierre constitue le repas du soir avec de la méture, c'est à dire du pain de maïs et des châtaignes en hiver.



La femme, avons-nous dit, ne s'asseoit pas à table ; elle fait manger la famille, elle ne mange qu'après les autres, la plupart du temps debout ou assise sous le manteau de la cheminée. Il n'y a pas bien longtemps qu'on connaît la fourchette dans le pays ; on mangeait tout simplement avec les doigts et l'on savait s'y prendre très proprement.



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A LA CUISINE DESSIN DE HOMUALK
PAYS BASQUE D'ANTAN



On voit que les Basquaises n'ont pas une vie oisive. Il faut qu'elles fassent souvent la lessive ; les belles chemises blanches du mari et des fils parlent de leur vaillance au travail ; le soir, elles veillent jusqu'à 11 heures, tandis que le mari est déjà couché. Autrefois, elles filaient à la lueur d'une petite chandelle de résine ; il faut égrainer le maïs, fendre l'osier pour attacher la vigne, trier les châtaignes et les retirer du hérisson, battre les haricots, éplucher la paille de maïs pour garnir les paillasses ; elles donnent peu d'heures au sommeil. Par contre, elles ne savent guère coudre ; elles ignorent en général la science si précieuse du raccommodage, du ravaudage, des reprises bien faites. Pour ces menus travaux et pour la confection des vêtements et du linge, on fait venir la couturière. Leurs doigts rendus lourds par les gros travaux, par le lavage, ne sont pas assez souples pour manier l'aiguille ; elles savent lire et écrire, mais ce sont des talents qu'elles n'utilisent pas, si ce n'est pour lire les lettres des enfants qui sont partis pour l'Amérique et pour leur répondre ; les journaux sont en français ; elles ne parlent guère le français et le lisent mal.



Leur armoire à provisions renferme des pots de graisse et de raisiné qu'elles ont préparé elles-mêmes ; les jambons et les saucisses sont mis en réserve, suspendus dans la cuisine. L'armoire à linge est bien garnie de beau linge blanc plié par elles, qu'elles lessivent avec soin, qu'elles lavent dans le courant de la rivière, les pieds nus dans l'eau et la tête au soleil ou exposées toute une journée à la pluie et au vent. Bientôt, sur les buissons autour de la prairie, on voit les draps, les serviettes, les chemises qui sèchent, et les voisines, qui de loin en font le compte, estiment cette richesse. Dans l'armoire à linge elles ont rangé les pommes qu'elles conserveront pour les enfants, pour la famille, jusqu'aux premiers jours d'avril. Elles gardent la clef du grain ; trop souvent, hélas ! elles abusent de leur privilège ; elles prennent le grain en cachette du mari et l'échangent chez le marchand contre des douceurs ou contre des étoiles. Malheur à la maîtresse de maison qui prend l'habitude de voler la provision de blé ! Elle apprend à contenter sa fantaisie, elle achète à crédit ; elle endette la maison et ruine sa famille. Mais les dépensières sont heureusement l'exception ; la plupart des maîtresses de maison sont économes et ordonnées, bonnes mères et fidèles épouses.


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LAVOIR A SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT
PAYS BASQUE D'ANTAN


Nous avons dit qu'elles portaient des haillons pour faire leur ménage ; les plus riches d'entre elles ne mettent leur robe de laine noire que dans des occasions exceptionnelles : certains dimanches du mois pour certaines cérémonies solennelles à l'église. On les voit souvent pieds nus sur les dalles de leur cuisine ou sur le chemin qui mène aux champs. Pour faire de longues courses, elles mettent leurs petits souliers plats et leurs bas dans un cabas et ne se chaussent qu'en entrant dans le village, après s'être lavées dans le torrent.



Le mari consulte sa femme lorsqu'il s'agit de vendre ou d'acheter ; il se met d'accord avec elle pour toutes les affaires d'intérêt. Avant de prendre une décision, il veut avoir son avis ; elle est souvent propriétaire de la maison, ce qui lui confère une dignité et de l'autorité.



Les Basquaises sont particulièrement compatissantes à la souffrance ; entre voisins on s'entr'aide, on n'abandonnerait jamais des orphelins ; à la mort des parents on s'entend pour se distribuer les enfants ; ces enfants-là servent plus tard comme domestiques dans la maison qui les a recueillis et ne reçoivent de gages qu'au bout d'un certain temps. Elles sont douces pour les bêtes ; les vaches, les ânes, même le porc, et surtout le porc, font partie de la maison et vivent dans la maison, très domestiques, très familiers. Elles ont beaucoup d'enfants, elles sont douces à leur égard, presque faibles, les laissant trop libres ; elles ne les surveillent pas assez, et ce manque de surveillance amène de fâcheuses conséquences, des écarts de conduite fort regrettables. C'est pour cette raison que les jeunes filles sont souvent d'une tenue plus que légère et ne se font pas respecter ; ces mêmes jeunes filles, aussitôt qu'elles se marient, deviennent sérieuses ; il est presque sans exemple qu'une femme mariée mène une mauvaise conduite.



Certaines femmes dans le village, il y a une cinquantaine d'années, se consacraient aux soins des malades par goût, par pure compassion ; elles étaient à demi médecins, presque sages-femmes, car on ne connaissait ni médecins ni sages-femmes. Elles avaient de la pratique et ne manquaient pas d'une certaine habileté. Elles allaient veiller les morts, elles préparaient les repas pour fêter la naissance du nouveau-né, pour les noces elles venaient aider aux préparatifs de la fête. Elles ne savaient à cette époque ni lire ni écrire ; elles étaient et elles sont restées, beaucoup d'entre elles, joueuses ; cela vient de la contrebande à laquelle on se livrait dans le pays presque dans chaque maison et qui détournait d'un travail régulier ; cela vient aussi de la fréquentation des places du jeu de paume où des paris se tiennent dès que des joueurs sont en présence.



Le dimanche, on les voit assises sur le pas de leur porte, quatre par quatre, six par six, une planche sur leurs genoux qui figure une table ; elles se servent de jeux de cartes espagnols et jouent au "mousse" et aux "flores". Les cartes espagnoles portent des images de soleil, de bâtons, de roses, d'épées aux couleurs éclatantes, rouges et bleues, jaunes et or. Elles jouent aux quilles, aux boules ; elles savent saisir la boule à bras tendu et la jettent avec la vigueur qu'y mettrait un homme.



Si les Basques aiment leurs enfants et les adulent, il faut bien avouer, par contre, qu'on est dur, dans certaines maisons, à l'égard des vieillards, surtout si ces derniers ont l'imprudence de se dessaisir de leurs biens en faveur des jeunes. Ils sont à charge parce qu'ils ne peuvent plus travailler ; on le leur fait sentir ; on ne sait pas respecter la vieillesse. Et cependant les vieilles Basquaises sont actives jusqu'à leur dernier souffle ; tant qu'elles le peuvent, elles continuent leurs rudes travaux. Il n'est pas rare de voir aux champs de vieux couples, courbés par l'âge, qui, la pioche à la main, retournent la terre et affrontent, malgré leurs cheveux blancs, les intempéries des saisons. Ceux-là souvent sont restés seuls à la maison ; les fils sont partis pour l'Amérique, les filles les ont suivis, et, pour vivre, il leur faut ramasser le reste de leurs forces et de leur énergie et continuer leurs travaux comme lorsqu'ils étaient jeunes. Les exemples d'une verte longévité ne sont pas rares dans le pays. Des mendiantes, âgées de plus de 80 et 90 ans, parcourent le pays en dépit de leur grand âge, appuyées sur leur bâton, leur sac de toile sur le dos, pour demander le morceau de pain que jamais la maîtresse de maison n'a refusé lorsqu'un pauvre vient tendre la main à sa porte.



Autrefois, le vieillard basque présentait un type très intéressant. Ses longs cheveux blancs s'échappaient en boucles de son béret et tombaient sur ses épaules ; il portait la culotte courte et une veste ronde de velours qui s'ouvrait sur un gilet aux couleurs éclatantes ; il avait une mémoire inépuisable et sa conversation était instructive et pleine de bon sens. Cette distinction d'esprit, ce jugement était également le partage de la vieille grand'mère que l'on consultait, que l'on écoutait comme un oracle. Elle avait beaucoup vu, beaucoup pensé, beaucoup appris entre les quatre murs de cette chère maison paternelle qu'elle n'avait jamais quittée, où elle était née, où elle allait mourir, dont elle était restée la reine et la maîtresse, où elle avait conservé la tradition de la famille et les histoires des temps d'autrefois, histoires si amusantes et qu'il est si difficile de retrouver maintenant que ces vieillards diserts ne sont plus et qu'ils ont emporté avec eux dans la tombe leurs vieux souvenirs."



A suivre...




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