LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1895.
La place de la femme, dans la société, au Pays Basque, a toujours été très importante.
Après nous avoir parlé des enfants, des animaux domestiques, des mariages et de la mort, voici
ce que rapporta au sujet de la femme au Pays Basque, Mme d'Abbadie d'Arrast, épouse
d'Antoine d'Abbadie d'Arrast, dans la revue bimensuelle La Femme, le 15 septembre 1895 :
"La femme du pays basque (suite).
"... Un autre remède pour amender les péchés de la langue est recommandé dans les veillées du pays. Une pénitente s'accusait de médisance contre son prochain. Son confesseur, après lui avoir fait de sévères remontrances, lui impose une pénitence. "Tuez une volaille, lui dit-il, une belle grosse poule, vous la plumerez, et ensuite vous en jetterez les plumes au vent, puis vous les ramasserez avec soin et vous me les rapporterez toutes." "Ce que vous me commandez là est impossible," lui dit la femme. "Alors cela prouve la gravité de votre faute ; le mal que vous avez fait par votre langue à votre prochain, vous ne pouvez le réparer pas plus que vous ne pouvez rattraper les plumes que vous jetez à l'air du ciel."
Nous disions tout à l'heure que la Basquaise restait le matin à la maison pour s'acquitter des soins du ménage ; il n'est pas sans utilité de rechercher l'emploi de son temps ; cela peut donner à réfléchir à beaucoup de nos jeunes filles que le travail effraie et qui se montrent si peu courageuses lorsqu'il faut quitter son lit. Notre Basquaise se lève la première dans la maison, au jour en été, avant le jour en hiver ; après cinq heures on ne la trouve guère couchée. Les hommes se lèvent après elle, un peu plus tard. Son premier soin est d'allumer le feu dans la cuisine et de mettre la marmite sur le feu pour faire bouillir de l'eau et préparer la soupe avant que les ouvriers ne partent pour les champs. Cela fait, elle songe aux enfants. Elle les lève, les habille, leur donne à manger et les envoie à l'école ; ensuite elle fait les lits, elle balaie la maison et la met en ordre ; elle va chercher les légumes dans son jardin, les épluche, les pèle et prépare le repas du midi. Le menu de ces repas ne varie guère : une soupe aux légumes, un peu de porc salé, des haricots en sauce, du pain de maïs, de la miche cuite au four, du fromage qu'elle a fait elle-même. Quelquefois on a tué une brebis à la maison ; avec le sang et la graisse de la brebis elle prépare des boudins que les gourmets du pays estiment particulièrement ; ces boudins servent pendant plusieurs jours à faire une soupe qu'on nomme "tripa chalda", où entrent force oignons, ail, et piments rouges. Elle sert le repas; elle ne se met pas à table, elle se tient derrière la chaise de son mari, va et vient, faisant le service. Après le repas, elle range soigneusement sa cuisine. Les cuisines basques sont arrangées avec une certaine coquetterie ; le dressoir sert à recevoir les anciens plats de la famille : plats de vieille faïence, plats d'étain souvent timbrés d'armoiries quand la maison est d'origine noble ; un volant de cretonne à petits carreaux blancs et rouges encadre le manteau de la vaste cheminée ; dans sa longue caisse de merisier une grande pendule ; les ustensiles de cuisine sont placés sur une planche au-dessus de l'évier ; le seau de cuivre pour contenir l'eau trône au milieu des vases de terre et de bois ; il brille comme de l'or ; son éclat est l'orgueil des maîtresses de maison. Dans un coin est placé un grand broc eu hêtre muni d'une anse. On l'a taillé en plein bois, dans un gros bloc de bois ; la ménagère fait bouillir son lait dans ce broc ; pour ce faire, elle jette dans le lait des pierres qu'elle a fait rougir au feu. En quelques minutes le lait bout, mousse et monte ; aussitôt on le verse dans une terrine, puis, de la terrine, on le remet dans le vase de bois jusqu'à cuisson parfaite. Le lait cuit à la pierre constitue le repas du soir avec de la méture, c'est à dire du pain de maïs et des châtaignes en hiver.
La femme, avons-nous dit, ne s'asseoit pas à table ; elle fait manger la famille, elle ne mange qu'après les autres, la plupart du temps debout ou assise sous le manteau de la cheminée. Il n'y a pas bien longtemps qu'on connaît la fourchette dans le pays ; on mangeait tout simplement avec les doigts et l'on savait s'y prendre très proprement.
A LA CUISINE DESSIN DE HOMUALK PAYS BASQUE D'ANTAN |
On voit que les Basquaises n'ont pas une vie oisive. Il faut qu'elles fassent souvent la lessive ; les belles chemises blanches du mari et des fils parlent de leur vaillance au travail ; le soir, elles veillent jusqu'à 11 heures, tandis que le mari est déjà couché. Autrefois, elles filaient à la lueur d'une petite chandelle de résine ; il faut égrainer le maïs, fendre l'osier pour attacher la vigne, trier les châtaignes et les retirer du hérisson, battre les haricots, éplucher la paille de maïs pour garnir les paillasses ; elles donnent peu d'heures au sommeil. Par contre, elles ne savent guère coudre ; elles ignorent en général la science si précieuse du raccommodage, du ravaudage, des reprises bien faites. Pour ces menus travaux et pour la confection des vêtements et du linge, on fait venir la couturière. Leurs doigts rendus lourds par les gros travaux, par le lavage, ne sont pas assez souples pour manier l'aiguille ; elles savent lire et écrire, mais ce sont des talents qu'elles n'utilisent pas, si ce n'est pour lire les lettres des enfants qui sont partis pour l'Amérique et pour leur répondre ; les journaux sont en français ; elles ne parlent guère le français et le lisent mal.
Leur armoire à provisions renferme des pots de graisse et de raisiné qu'elles ont préparé elles-mêmes ; les jambons et les saucisses sont mis en réserve, suspendus dans la cuisine. L'armoire à linge est bien garnie de beau linge blanc plié par elles, qu'elles lessivent avec soin, qu'elles lavent dans le courant de la rivière, les pieds nus dans l'eau et la tête au soleil ou exposées toute une journée à la pluie et au vent. Bientôt, sur les buissons autour de la prairie, on voit les draps, les serviettes, les chemises qui sèchent, et les voisines, qui de loin en font le compte, estiment cette richesse. Dans l'armoire à linge elles ont rangé les pommes qu'elles conserveront pour les enfants, pour la famille, jusqu'aux premiers jours d'avril. Elles gardent la clef du grain ; trop souvent, hélas ! elles abusent de leur privilège ; elles prennent le grain en cachette du mari et l'échangent chez le marchand contre des douceurs ou contre des étoiles. Malheur à la maîtresse de maison qui prend l'habitude de voler la provision de blé ! Elle apprend à contenter sa fantaisie, elle achète à crédit ; elle endette la maison et ruine sa famille. Mais les dépensières sont heureusement l'exception ; la plupart des maîtresses de maison sont économes et ordonnées, bonnes mères et fidèles épouses.
LAVOIR A SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire