RÉOUVERTURE DE LA FRONTIÈRE FRANCO-ESPAGNOLE EN FÉVRIER 1948.
La frontière entre l'Espagne et la France s'étend sur 623 kilomètres le long des Pyrénées et a connu, dans son histoire, de nombreuses fermetures.
Cela touche profondément les relations transfrontalières au Pays Basque.
A la Libération, en particulier, la frontière entre les deux pays est fermée le 1er mars 1946, à la
suite de problèmes politiques entre le régime franquiste et le gouvernement provisoire français.
Dès septembre 1947, on parle de la réouverture de la frontière, mais c'est finalement le 10 février
1948 que la frontière va se rouvrir.
Voici ce que ce rapporta à ce sujet le quotidien France-Soir, le 10 février 1948, sous la plume de
Willy Schiller :
"Krach de la contrebande à la frontière espagnole rouverte ce soir à 0 heure.
De notre envoyé spécial Willy Schiller.
Hendaye, 9 février (par téléphone).
La "gare-cimetière" d’Hendaye va revivre.
Ses trente-deux voies de garage connaîtront, à partir de 0 heure, ce soir, les prémisses d’une nouvelle activité. Celle-ci, petit à petit, ira crescendo jusqu’à atteindre le rythme des 300 wagons quotidiens que connaissait la gare internationale avant la fermeture de la frontière.
Le silence qui y règne encore en maître se remplira de sifflements de locomotives et du tohu-bohu des 10 à 15 000 cageots de fruits que les employés transbordaient chaque jour des wagons espagnols dans les wagons français.
Ce soir, les voyageurs à destination de l’Espagne pourront aller jusqu’à Irun sans descendre du train à Hendaye et avoir à traverser la frontière à pied. Et vice-versa.
Hendaye tout entière se réjouit. La prospérité frappe de nouveau à sa porte. Et tous ceux qui, durant la léthargie de la gare internationale, s’étaient voués à la fabrication des espadrilles, parlent déjà de reprendre leur ancien métier.
Contrairement à certaines suppositions, les cheminots locaux n'envisagent aucune tentative de grève de protestation. Voici déjà deux mois que la C.G.T. avait fait un sondage discret parmi eux. Le résultat du vote fut significatif : 41 voix se prononçaient pour la réouverture de la frontière, 22 contre.
Un autre chiffre est celui que M. Labourdette, maire d'Hendaye, livre à son tour :
— Sur 2 000 électeurs, dit-il, je peux affirmer, grâce à un sondage personnel, que 300 au plus sont contre la reprise du trafic avec l'Espagne.
Pendant des mois. le Pays basque tout entier réclama la réouverture de cette frontière. A la fin décembre, deux de ses représentants politiques : MM. de Chevigné, député-maire d'Abitain et Guy Petit, député-maire de Biarritz, décidaient d'agir : ils réunirent leurs collègues des principales communes du Sud-Ouest, à Biarritz. Le Pays basque conspirait.
DEPUTE PIERRE GABRIEL ADHEAUME DE CHEVIGNE DU 21 OCTOBRE 1945 AU 8 DECEMBRE 1958 |
Les maires d’Hendaye, Cerbère, Perpignan, Bayonne, les présidents des Chambres de commerce des localités les plus importantes du Sud-Ouest, ainsi que les députés Chaze, des Basses Pyrénées, et Delcrocq, des Pyrénées Orientales, votèrent une motion demandant la réouverture rapide de la frontière.
DEPUTE GASTON ANDRE MARIE BASSES-PYRENEES DU 2 JUIN 1946 AU 4 JUILLET 1951 |
Un échange de correspondance très actif s'établissait aussitôt avec M. Noguères, ex-président de la Haute-Cour et les députés des Pyrénées-Orientales. Celui-ci obtint pour ses collègues une entrevue avec M Bidault.
LOUIS NOGUERES PRESIDENT HAUTE-COUR DE JUSTICE 1946 |
Dans la première quinzaine de janvier, cette délégation arriva à Paris.
M. Bidault se montra très compréhensif et donna aux représentants du Pays basque des assurances optimistes.
Quelques jours après, M Guy Petit partait pour l’Espagne, à titre officieux. En fait, il allait négocier pour le gouvernement français les modalités de la reprise du trafic. Après un bref séjour à San-Sébastien, où il eut des entrevues décisives avec de hautes personnalités espagnoles, il allait samedi à Madrid régler les dernières questions pendantes.
DEPUTE JACQUES JOSEPH GUY PETIT 1946 |
En principe, la reprise du trafic à la frontière se déroulera ainsi : 1° reprise du trafic voyageurs ; 2° reprise du transit marchandises ; 3° reprise des relations postales.
FRONTIERE HENDAYE 1948 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cependant, jusqu’à présent, aucun avis officiel n’est encore parvenu ni à la mairie ni à la direction des douanes. Aucune cérémonie n’est encore prévue. Il semble que tout se fera le plus discrètement possible. Pourtant, du côté espagnol on murmure — sans qu’on puisse en avoir la confirmation — que Franco viendrait en personne mardi à Irun pour avoir une entrevue avec les notabilités de Hendaye, de Bayonne et de Biarritz.
Le colonel Ortega, commandant en chef espagnol de la région frontalière, serait déjà sur place où il préparerait cette cérémonie.
Seuls, les contrebandiers patentés sont mécontents : leur industrie, du fait de la réouverture de la frontière, est menacée de faillite. L’un d’eux m’a déclaré dans l’arrière-salle d’un petit bistro enfumé :
"Cette reprise du trafic aura pour nous des conséquences graves. Les "gagne-petit" de la contrebande disparaîtront certainement, radicalement éliminés par la concurrence des prix des marchandises qui pourront entrer légalement soit en Espagne, soit en France. Pour les "gros" de la contrebande, les cours vont s’effondrer. Déjà, depuis hier, la baisse atteint de 7 à 10 % suivant les marchandises. Cependant, nous restons optimistes car nous avons encore de beaux jours devant nous."
Il est vrai qu’au pays de Ramuntcho la contrebande paie : un trafic intense s’effectuait depuis la libération dans les deux sens. D’Espagne en France, les marchandises clandestines les plus cotées étaient : les apéritifs, les costumes, les chaussures, la doublure, etc... De France en Espagne, les contrebandiers passaient plutôt des produits pharmaceutiques, des appareils photographiques, des films, des roulements à billes, des pièces de mécanique, et même des voitures tout entières.
Maintenant, la plus grande partie de ce trafic entrera dans le circuit normal. Déjà, ce matin, les deux magasins de change situés en face de la gare — et qui étaient fermés depuis plus de deux ans — nettoient leurs vitres et balaient leurs toiles d’araignées.
Des communistes auraient été arrêtés à Hendaye.
Irun, 9 lévrier. (A.P.). — Selon des informations parvenues à Irun, des affiches protestant contre la réouverture de la frontière franco-espagnole et attaquant le général Franco auraient été apposées sur les murs d’Hendaye, du côté français de la frontière, et plusieurs communistes auraient été arrêtés par la police de cette localité.
Par ailleurs, on apprend de Madrid que six bataillons ont fait mouvement vers la frontière en prévision de la réouverture.
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Marcel Pagnol et Jacqueline Bouvier ont franchi les premiers la frontière espagnole.
Hendaye, 9 février (de notre envoyé spéc. W. Schiller).
— Vingt-quatre heures avant l’ouverture officielle de la frontière espagnole, Marcel Pagnol et sa femme, Jacqueline Bouvier, ont franchi hier soir, a pied, le pont historique de la Bidassoa, pour aller prendre à Irun le train qui doit les mener à Lisbonne.
JACQUELINE BOUVIER ET MARCEL PAGNOL |
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