CONTREBANDE EN 1946.
Je vous ai parlé à plusieurs reprises de douaniers et contrebandiers, des douaniers en 1931, voici aujourd'hui un article sur les contrebandiers en 1946.
BUREAU DES DOUANES SARE 1946 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Qui ?, dans son édition du 12 septembre 1946 :
"Des deux côtés de la frontière les envoyés spéciaux de "Qui" ont vécu avec les
contrebandiers des Pyrénées :
"...Il a craché ce "messieurs" comme un marin rejette une chique. Avec la même nuance de mépris, de dégoût que j’avais perçue, la veille, dans le "messieurs" de Bob.
— Ceux-ci, ce sont des gangsters. Venus de Paris, de Marseille, de Corse, voire de l’Europe centrale et d’Amérique du Sud, ils se sont abattus sur le pays basque avec la guerre, l’occupation allemande, les agents de la Gestapo. Tout ce joli monde a fraternisé sur-le-champ dans le plus sordide négoce clandestin. Il faut malheureusement avouer, d’ailleurs, que quelques salopards de chez nous, très rares, leur ont prêté la main... à leurs risques et périls.
— Tu parles ! intervient notre contrebandier. Tu te souviens de S..., un vrai Basque pourtant, celui-là, mais qui s’était laissé corrompre par ces crapules. La Feldgendarmerie l’a retrouvé, un jour, poignardé, dans une barque qui dérivait au fil de l’eau, sur la Bidassoa.
Contrebandiers d’honneur.
Nous étions parvenus dans un léger repli de terre ocre flanqué, sur la gauche, d’une bicoque faite de lattes de bois et de tuiles, impossible à découvrir jusque-là, mais qui s’était soudain dressée, tel un gibier surgissant de son gîte. Comme je m’étonnais, le contrebandier m’expliqua :
— C’est ce que nous appelons une "venta". Il y en a, de-ci, de-là, dans la montagne. Comme vous trouverez aussi, parfois, les uns vétustes, les autres en ruines, quelques refuges de bergers où, inopinément, la douane opère de fréquentes, visites. Ces "venta" sont des sortes d’épiceries-cafés - relais. Quand la frontière était ouverte, nous y prenions la tasse ; les douaniers aussi d’ailleurs. Les Basques espagnols venaient s’approvisionner dans les "venta" françaises, souvent plus proches et moins chères que les épiceries espagnoles, tandis que les "venta" espagnoles étaient fréquentées par une partie de la population frontalière basque qui y trouvait certains produits faisant défaut chez nous.
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— Echange de bons procédés ?
— C’est exact, intervient M. Dutournier. Contre les barrières qui cadenassent bêtement les pays et empêchent les gens de troquer leurs produits librement et à bon compte, il faut bien se liguer et s’arranger. Ce sont précisément ces services de troc, de libre-échange qu’assure la contrebande saine, traditionnelle, qui s’est toujours pratiquée chez nous et qui se pratiquera toujours.
— Et quand on donne un tour de clé supplémentaire aux postes frontières ?
— De beaux résultats ! Rendre le passage plus périlleux, donc moins fréquent ; les marchandises plus rares ; faire monter les prix. Comme vous voyez, c’est malin !...
Où intervient l'amour du sport.
— Mais tout ce va-et-vient du ravitaillement en pays basque n’est jamais troublé par les douaniers ?
— Que si ! C’est là où le sport joue son rôle. Vous savez que, nous autres, les Basques, nous avons une réputation justifiée de joueurs de rugby merveilleux. Eh bien ! ici, c’est à peu près comme sur un stade. Il s’agit d’aller porter le ballon entre les poteaux. Alors, dame ! devant ces demis, ces trois-quarts, cet arrière qui vous barrent la route, on fonce, on crochète, on fait une passe, et... on marque.
— Ou l’on se fait plaquer ?
— Ça arrive, bien sûr ! Alors, le "fardeau" c’est la camelote — reste entre les mains des douaniers. Ils consignent la "prise" et, de deux choses l’une : ou l’on a affaire à des denrées périssables qui sont immédiatement réparties entre les hôpitaux et les services publics locaux ; ou les autres marchandises, quelque temps après, sont revendues aux enchères, et, le plus souvent, c’est leur premier propriétaire qui les rachète... sans trouver d’enchérisseur pour le "contrer". Ça ne se fait pas !
— Au fond, toute une organisation très méthodique.
— Plus que vous ne le pressentez. Car s’il y a les passeurs, les porteurs du « fardeau » — jamais armés de mitraillette, comme on le raconte dans certains journaux, mais munis de leur simple alpenstock dont, à de très rares occasions, on est bien contraint de se servir— il y a, conjuguant les efforts de ces humbles, les entrepreneurs de la contrebande. Ceux-là forment l’équipe ; eux en sont les capitaines. On a pu voir dans la montagne, certaines nuits noires d’hiver, vingt, ou trente bonshommes, sac au dos, guidés par un entrepreneur qui, en cas de "pépin", prenait tout à sa charge.
— Et pour pallier, dans une certaine mesure, la perte sèche que constituent les "prises" ?
— L’assurance joue.
— L’assurance ?
— Bien sûr. II y a des Basques qui couvrent, d’avance, les risques. Et qui ne se dégonflent pas, je vous prie de le croire. Ça ne se passe pas en fonctionnaires, avec de la paperasse et tout le saint-frusquin. Mais en braves gens. L’un dit : "Je pars. Je vais chercher pour tant de chocolat et d’alcool". Ou bien : "J’emporte pour tant de sucre ou de pastilles (de la saccharine)." L’autre répond : "Je te couvre pour tant." S’il y a un coup dur, l’assureur paye rubis sur l’ongle... Je n’en ai jamais vu un seul ergoter. Je vous répète que nous sommes là, dans la contrebande loyale, honnête, entre gens réguliers...
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Sur notre droite, un homme sifflait, qu’on n’apercevait pas encore. Je reconnus l’air : El Novio de la muerte (Le Fiancé de la mort) que j’avais entendu autrefois, pendant la guerre civile, chanté par les soldats du Tercio.
— Un Espagnol ? demandai-je.
— Eh ! oui. Vous voyez : nous sommes arrivés. Nous avons, sans qu’on nous ait découverts, dépassé le poste frontière d’Echalar. Et c’est un douanier ou un soldat espagnol de ce poste — ils le gardent ensemble, comme le font, d’ailleurs, soldats et douaniers français — qui siffle l’ancienne complainte populaire.
Si nous voulions, maintenant, nous n’aurions plus qu’à nous faufiler plus au sud-ouest, sur Tolosa, ou au sud-est, vers Elisondo ou Pampelune. Ce ne serait plus qu’une question d’endurance, mais l’adversaire majeur est semé...
Avec ceux de l'autre camp.
Nous revenons en arrière. Deux cents mètres environ. Un léger crochet sur la gauche et, cette fois, nous abordons le poste d’Echalar de front, en touristes.
La barrière traditionnelle nous interdit le passage. De l’autre côté, un groupe d’hommes en uniformes, gabelou, militaires, quelques-uns de ceux-ci coiffés du bonnet de police rouge. Ils nous accueillent avec le sourire. C’est que, coupés du monde dans ces petites sierras hérissées de broussailles poussiéreuses, où, de temps à autre, seuls quelques muletiers de leur régiment viennent les joindre pour le ravitaillement ou la relève, ils s’ennuient. Comme on m’assure que la plupart d’entre eux entendent et parlent le français, avec l’accent, je les aborde.
— Bonjour les gars ! Ça va, par ici ? Secteur calme?...
— Si, si, senior. Un peu anis del oso, un peu pernod... Mais pas beaucoup d’argent... pas plus que collègues français...
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