CLAUDE FARRÈRE ET PIERRE LOTI EN 1924.
Claude Farrère, nom de plume de Frédéric-Charles-Pierre-Edouard Bargone est un officier de marine et écrivain français, né le 27 avril 1876 à Lyon (Rhône) et mort le 21 juin 1957 à Paris.
CLAUDE FARRERE |
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, dans son
édition du 7 janvier 1924 :
"Conférence de M. Claude Farrère.
Loti et son œuvre.
Tout ce qui à Bayonne compte dans le monde des Arts, des Lettres, dans le monde tout court, dans le commerce, dans l'industrie, s’était donné rendez-vous au Théâtre. Il s'agissait d'une conférence sur Loti : Loti qui a tant aimé le Pays Basque et qui avait à Bayonne de si nombreux amis a été présenté et expliqué par un écrivain de talent prestigieux, puissant et subtil qui est en même temps un orateur plein d'autorité et de charme, à la voix savante, qui persuade, émeut, bouleverse et rassérène. On a fait à Claude Farrère un gros succès pour sa savante et profonde analyse de l'œuvre de Pierre Loti. Mais la chaude sympathie du public est allée aussi directement à Claude Farrère, au Maître incomparable qui a écrit La Bataille, Les Hommes Nouveaux, Les Petites Alliées, L'Homme qui assassina, Les Civilisés, Mlle Dax jeune fille et tant de romans puissamment charpentés, merveilleusement écrits qui le classent au premier rang des écrivains modernes.
Nous ne pouvons rapporter ici le charme de cette parole vibrante et nuancée, le son de la voix métallique et prenante qui sait gronder ou s'alanguir dans la tendresse. Le talent de "lecteur" de M. Claude Farrère égale celui des plus grands acteurs. Le secret de cette science c'est qu'il lisait avec son cœur.
Nous avions vu récemment un article de M. Claude Farrère sur le style de Loti qui est en quelque sorte le plan de la conférence donnée hier au théâtre. Nous sommes heureux de l'avoir conservé et de pouvoir le donner à nos lecteurs. Ceux qui n'ont pu assister à la conférence y trouveront la parole même du maître et ce sera bien mieux que l'analyse la plus fidèle que j'aurais pu tenter.
L'écriture de Loti.
Loti n’est mort que d'hier. Sa gloire va donc subir l'éclipse inévitable que toutes les autres très grandes gloires ont d'abord subie. On ne lisait presque plus Loti, depuis 1914. Je veux dire que les jeunes gens ne le lisaient presque plus. Ils continueront, jusque, à peu près 1930. Et c’est alors que le plus grand des Français du dix-neuvième siècle prendra définitivement son rang réel dans l'histoire des lettres à côte de Goethe, de Corneille, de Shakespeare et de Cervantès.
J'affirme cela, dès aujourd’hui. C’est peut-être beaucoup d'audace. Mais j'ai cet avantage sur ceux qui ne savent pas que, moi, je sais : je veux dire qu'au cours de ma vie, j'eus la rare faveur de voir Loti écrire et de savoir comme il écrivait. "Le style est l’homme même", décréta Buffon, à qui l’histoire naturelle avait appris à ne pas se tromper.
On pourra donc, plus tard, connaître Loti par son écriture. Mais aujourd’hui que nous somme» trop proches de ce grand mort pour être bons juges des choses qu'il écrivit, c’est lui-même, lui, que nous avons connu, qui nous peut donner la clé de son génie. La postérité connaîtra l'ouvrier par l'œuvre. Nous, nous allons connaître l'œuvre par l'ouvrier.
L’ouvrier.
— Loti, — était né l'an 1850, dans l'une des plus petites, des plus étroites, des plus strictement bornées de nos villes provinciales. Du haut des remparts de Rochefort on n’aperçoit ni mer, ni montagne. Rien que quelques prés, où paissent des troupeaux. Une rivière lente et sinueuse, la Charente, coule parmi ces prairies tellement basses que les grandes marées souvent les inondent. Et, dans Rochefort, voisine de La Rochelle, Loti était né d’une famille huguenote. Les huguenots français, gens malheureux, ont subi diverses persécutions, et se les ont parfois à soi-même exagérées. Chez ces gens tout ensemble très honorables et très orgueilleux, une sorte d'austérité en a subsisté, sombre et fervente, qui probablement purifie l’âme, mais à coup sûr rétrécit l’esprit.
Il semblait donc, "a fortiori", que jamais le petit Julien Viaud ne dût être à la fois un grand errant, un grand poète, un grand songeur, un prince au Pays du Rêve, comme lui-même a dit... un homme, enfin, pour qui la vie ne dut jamais apparaître que sous l'aspect d'un énorme et terrifiant problème, d’une énigme qu’il faut résoudre, sous peine d'être irrévocablement dévoré par ce sphinx sans pitié, qui s'appelle la Mort. — Tout de même, c est le contraire qui est arrivé...
Chose d’autant plus extraordinaire que Julien Viaud, dernier né d'une famille très unie, fut entouré, toute son enfance durant, de soins maternels exagérés. Il ne sortit jamais de la maison ancestrale, sauf tenu par la main. Le monde extérieur, douze ans durant, ne lui fut révélé que par les cris d'une marchande de gâteaux qui errait les soirs d’hiver par les rues de Rochefort... et peut-être aussi par les frégates blanches qui parfois, en ce temps lointain, remontaient encore la Charente, et apportaient, dans la petite vile trop provinciale, je ne sais quel reflet des horizons immenses et des continents prodigieux que la terre nous cache, sur son autre versant...
... Qui donc, le soir même du jour où nous suivîmes le cercueil de Loti, entre Rochefort et Oléron, me suggérait cette hypothèse, point tellement absurde ?... Barthou, ou Bérard ? je ne sais plus... "C’est peut-être parce que Loti devina d'abord le monde au lieu de le voir qu’il en eut toute sa vie une curiosité si passionnée !..." Au fait, tout le monde ignore. Et Loti fut un grand homme parce qu’il devait être un grand homme. "Sur les pages du Livre, tout est écrit".
ENTERREMENT DE PIERRE LOTI 15 JUIN 1923 |
C'est en 1903 que j'ai connu Loti. Il avait donc 53 ans... Et c'est à Stamboul que je l’ai connu. S’il est au monde un lieu qui fut pour Loti synonyme de sincérité, c'est Stamboul. A moi. Loti, sûrement, n'a jamais menti.
Il commandait le "Vautour", un tout petit croiseur. Et j’étais officier de quart à bord du "Vautour". C'est dire que nous dînions tête à tête, lui et moi, quelque deux ou trois fois par semaine. Dîners tout simples, où, la tasse de café bue, on fumait, en bavardant, deux cigarettes ; jamais trois !... Et puis je retournais au quart ; et lui retournait â son piano : car il jouait du César Frank, interminablement, durant toutes ses heures de loisir... Nos chambres n'étaient séparées que par une cloison bien mince ; ni lui ni moi, la nuit, ne pouvions tousser sans que l'autre n’en fût réveillé.
Vivant de la sorte, on finit par se bien connaître...
C’est un soir, qu’il m’expliqua, entre la première cigarette et la seconde, sa "manière"...
"Le premier de mes livres, par ordre chronologique, c’est "Rarahu"..., le second, c'est le "Spahi"..., le troisième, c’est "Azyiadé"... Naturellement, vous savez qu’ «"Azyiadé" fut publié d’abord, et puis les deux autres. Mais figurez-vous qu' "Azyiadé" fut publié sons mon autorisation... ou presque... c’est madame Adam qui avait tout fait. Oh ! j'étais très content, j’étais même ravi !... Mais, tout de même, on avait publié cela tel quel : sans que je pusse rien corriger !... Alors, quand je lus "Azyiadé", j’eus beaucoup de remords : cela ne me paraissait pas tout à fait écrit en français, ce livre-là..."
LE MARIAGE DE PIERRE LOTI |
AZIYADE DE PIERRE LOTI |
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