L'AFFAIRE FINALY AU PAYS BASQUE EN 1953.
En ce début d'année 1953, sans atteindre les proportions de l'affaire Stavisky, l'affaire Finaly fait tout de même de Bayonne une des capitales mondiales du fait divers.
AFFAIRE FINALY 1953 |
Je vous ai déjà parlé de cette affaire dans un article précédent.
Voici ce que rapporta le journal Carrefour, dans son édition du 25 février 1953 :
"José Susperreguy raconte à notre envoyé spécial Charles Favrel :
Comment j'ai passé la frontière avec les enfants Finaly.
En publiant le récit sensationnel, par son envoyé spécial Charles Favrel, du passage en Espagne des enfants Finaly, "Carrefour" n'obéit qu'à un souci d'information objective. Il ne prend pas le parti de ceux qui approuvent les "ravisseurs" des deux enfants. Il ne se range pas non plus du côté de ceux qui donnent raison à la famille des deux garçons et justifient toutes ses démarches. L'affaire est trop grave pour être prise à la légère. Non parce que des rabbins et des sionistes s'opposent à des prêtres et à des religieuses. Non parce que Mlle Brun, dont Pierre Seize brosse d'autre part le portrait (voir page 4) a accompli des actes que la loi condamne. Mais parce qu'il s'agit de deux enfants, de deux innocents déchirés. Quelles que soient les fautes des uns et des autres, seule chose compte : leur liberté, dans toutes les acceptions de ce terme.
Pour les Basques, cette aventure est une affaire d'honneur.
Il y a maintenant deux affaires Finaly. La première, celle de Grenoble, gravite autour du mot "héritage". C’est l’histoire d’une lutte religieuse et raciale ouverte devant les tribunaux pour la reconnaissance des droits d’une tutrice légale.
La seconde, extrapolée en pays basque, est une épopée clandestine qui se moque de la raison et des lois pour n’obéir, envers et contre tout, qu'à un sens atavique de l’honneur, basé sur l’assistance et le droit d'asile.
Cinq Basques dont quatre prêtres, incarcérés à la villa "Chagrin" de Bayonne, ont, les premiers, payé de leur liberté leur conformisme à la tradition locale. D'autres, peut-être, les rejoindront bientôt, mais tout un peuple déjà acclame ses héros.
Le 3 février, un Basque anonyme a "kidnappé", à la barbe des autorités policières. deux enfants confiés à l’hospitalité d’un prêtre français, deux enfants qui auraient pu s’appeler Dupont, Orloff, Adenauer, et dont il importe seulement de connaître qu'amenés clandestinement en territoire basque, ils constituaient un dépôt sacré.
Cet exploit a été réussi à la sortie d’une épique mêlée, au cours d’une partie de rugby disputée par des joueurs qui ont nom : Latzague, Aritzia, Susperreguy, Ibarburu. Allez, Basques ! Culbutez policiers, gendarmes et douaniers ! Votre heure de gloire est arrivée !
— Qu'importe qu'à Grenoble, Paris ou Israël on puisse en médire ! Nous autres. Basques, nous laissons à François Mauriac, à Maurice Garçon, aux grands rabbins et aux prélats des Gaules le soin de commenter votre affaire Finaly. La nôtre est un petit compte personnel que nous entendons régler seuls, selon les us et coutumes propres à notre histoire.
Ainsi raisonne-t-on au bord de la Bidassoa. Tel passant, interrogé au hasard des chemins sur le sentiment qu’il a de l’affaire, commence par cette profession de foi :
— Nous devions d’abord leur faire passer la frontière.
Cinq Basques ont payé de leur liberté leur sens de l'honneur.
Tout commence au moment précis où un inconnu est venu prendre par la main les enfants Finaly à la sortie du collège Saint-Louis-de-Gonzagues.
C'est à partir de cet instant que l'on peut parler d’affaire d’honneur et que l’on voit les participants - agissants de formation et de milieux forts différents, réagir selon les mêmes réflexes.
Le premier à entrer en scène est l'abbé Latxague, professeur de théologie au grand séminaire de Bayonne. Né aux U.S.A. d'une famille basque, l'abbé Latxague est venu très jeune retremper son âme dans le creuset ancestral et son comportement actuel montre que la quarantaine qui l’accueille aujourd'hui est parfaitement adaptée au climat mystique d'une terre passionnée.
Entré en prison dans le froid de la nuit, avec pour tout bagage son bréviaire sous le bras, il devait confier le lendemain à ses gardiens :
— J’ai passé en cellule la plus belle nuit de ma vie. Il me semblait être seul avec Dieu. Et il ajoutait : Je pourrais dire le nom de la personne qui m'a demandé de remplir cette mission, mais je ne le dirai pas.
L’abbé Latxague ayant caché pendant huit jours, quelque part à Bayonne, les deux enfants qu’on lui avait confiés, s'inquiéta d’une filière pour leur faire passer la frontière puisqu’aussi bien, dès qu’il est question ici de clandestinité, c’est à la frontière que l'on pense aussitôt.
N’ayant avec le monde extérieur que de vagues relations, il lui fallut bien mettre quelqu’un dans le secret et l’abbé Aritzia s’est trouvé être le personnage idéal susceptible de recevoir semblable confidence.
Fils d’une épicier d’un village frontière, l’abbé Aritzia, aumônier des patronages et des J.O.C., est un jeune prêtre dynamique dont la mentalité s’apparente à celle des prêtres ouvriers. Ses trente ans le portent à toutes les aventures courageuses. Son accord fut immédiat. Il se mit aussitôt en campagne et son premier soin fut de rechercher la complicité d’un civil, un prêtre ne pouvant songer à se promener sur les routes en compagnie de deux enfants dont le signalement avait été diffusé.
Le civil, ce fut M. Jean Falgade, 44 ans, un polytechnicien au passé de héros. Il fut, à 23 ans, le plus jeune capitaine aviateur de France et, après une superbe guerre, il démissionna en 1945 de l'armée française pour entrer dans les affaires.
Marié et père de six enfants beau-père d’un magistrat de Bordeaux, il dirige une société d’alimentation à succursales multiples, ce qui ne l’empêche pas d’être un fervent militant catholique, assidu des processions. Ses randonnées dans la région l’ont mis en contact avec un Luzien très attaché aux traditions folkloriques de sa petite patrie.
Tenant rue Garat, à Saint-Jean-de-Luz, une boutique d'équipement radio, M. Etchezaharreta 33 ans, est l’ami du vicaire Irigoin, 31 ans. principalement chargé de l'Action catholique. Et la filière compta deux maillons de plus. Le problème étant de passer deux enfants en Espagne l’abbé Irigoin pouvait se charger de contacter l’abbé Ibarburu, curé de Biriatou, un pittoresque village juché à flanc de montagne au bord de la Bidassoa.
Ce curé-là, dont la quarantaine pleine de santé et de vigueur connaît la célébrité des frontons de trinques, puisqu'il fut champion de France de pelote, ne pouvait manquer d'avoir dans ses relations un "passeur" qui mènerait l'affaire à bonne fin.
L'abbé Irigoin enfourcha son vélo, transpira quelque peu dans la montée, mais il en fut récompense en enlevant l’adhésion enthousiaste de l'abbé Ibarburu devant deux verres de "moscatel" servi frais dans un rayon de soleil.
Le passeur, c’était, à deux sabotées de là, à la ferme du Prince Noir, le vieux José Susperreguv, dit "Ttomo" (prononcez : Tiomo).
PASSEUR JOSE SUSPERREGUY AFFAIRE FINALY 1953 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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