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dimanche 20 février 2022

UNE ENQUÊTE À LA FRONTIÈRE FRANCO-ESPAGNOLE AU PAYS BASQUE EN MARS 1935 (troisième partie)

 

UNE ENQUÊTE À LA FRONTIÈRE FRANCO-ESPAGNOLE EN 1935.


Dès 1934, le journaliste et écrivain Xavier de Hauteclocque mène une enquête sur les frontières de la France.




pays basque autrefois frontiere
HENDAYE VUE DE FONTARRABIE 1935
PAYS BASQUE D'ANTAN


Il détaille son résultat dans le journal Gringoire, dans plusieurs éditions :


  • le 29 mars 1935 :


  • (Suite) XI Psychologie. — Diplomatie.


L 'oisiveté étant la mère de tous les vices, nos commissaires spéciaux de service à la frontière méritent sûrement un prix de vertu. Si vous avez du temps à perdre, faites-leur en cadeau. Ils sauront l'employer.



Double travail et responsabilité décuple.



Ils remplissent d'abord toutes les fonctions de la police d'Etat ordinaire, les judiciaires et celles qu'on pourrait appeler préventives :

Surveillance générale des étrangers, du territoire, du mouvement social, des casinos, des tripots et des mauvais lieux. Répression de la traite des blanches, de la spéculation illicite, du trafic de stupéfiants et de faux papiers, etc. Tout cela s'aggrave et se multiplie du fait qu'ils observent une région où les malfaiteurs travaillent de préférence, où les délinquants en fuite pullulent, tout près d'un pays voisin.



A ce programme copieux s'ajoutent des fonctions "spéciales" qui joignent l'utile à l'agréable, l'emploi des menottes et celui du chapeau haut de forme.



Saluer au passage, protéger, escorter les personnalités françaises ou étrangères. Ne pas apercevoir toutefois les ministres en bonne fortune quoique en puissance d'épouse légitime. Doser ses hommages respectueux selon qu'il s'agit d'un souverain en activité, d'un monarque déchu ou d'un traîne-savate qu'on arrêtait six mois avant et qu'une révolution vient de porter au pouvoir. Quitte à le saluer un peu moins bas quand une nouvelle révolution le rend à son destin de traîne-savate.



Diplomatie.



L'habit ne fait pas le moine. Rien ne ressemble à un grand homme politique en voyage officieux comme un grand escroc en rupture de ban officielle. Doigté. Il messiérait de passer le cabriolet au nom de la loi à l'homme politique et un bouquet de fleurs, au nom de la France, à l'escroc.



Bref, de la psychologie.



Exemple de diplomatie tiré des archives du secteur sud-ouest.



Alphonse XIII tombe. Un navire de guerre le dépose à Marseille. Que le "spécial" de Marseille se débrouille ! La famille royale se rend en exil par voie de terre. Elle traversera Hendaye.



On a salué maintes fois celle qui était une Majesté heureuse. On la saluera de nouveau, parbleu ! et plus poliment encore, si possible, maintenant que sa couronne et son bonheur brisés font de la souveraine une pauvre maman fugitive.



Le commissaire spécial du lieu prépare son chapeau de cérémonie et son attitude. Mais voilà que l'horizon s'obscurcit. Un autre train est annoncé. Il vient en sens inverse avec toute une cargaison de révolutionnaires triomphants qui se précipitent vers l'Espagne comme les asticots vers le fromage. Quelques-uns de ces asticots se sont déjà bombardés ministres.



Le pire, c'est qu'ils sont connus à Hendaye.



On les a arrêtés, expulsés, refoulés jadis, quand ils arrivaient chez nous, les semelles percées et sans passeport.



Tout s'en mêle. Les deux convois — celui des vainqueurs et celui des vaincus — partent le même jour, l'un de Madrid, l'autre de Paris : hasard. Ils arrivent à la même seconde en gare d'Hendaye : livret Chaix. Ils s arrêtent de chaque côté du même débarcadère : aiguillage.



Le chapeau du commissaire et ses deux attitudes simultanées se trouvent au centre.



Tableau historique.



Salut respectueusement affligé à gauche. Salut jovialement respectueux à droite. Quelques mots sur la pluie à senestre. Quelques mots sur le beau temps à dextre. Les deux trains repartent : larmes silencieuses vers le nord, appétit d'ogre vers le sud. Un vieux monde s'écroule. Une belle pagaïe va naître. Le destin a prêté ses roues aux locomotives.



Point d 'incidents. Mais le commissaire spécial s'éponge le front.



XII Philosophie.



Il y avait en 1924, sur un terrain vague, près de Bordeaux, des puces, des chiens, des ânes et vingt-sept Romanichels. Tout cela affamé. Les puces rongeaient les chiens qui rongeaient les mollets des autochtones. Les ânes, faute de chardons, broutaient les chapeaux des passantes. Et les Romanichels croquaient la volaille à vingt lieues à la ronde. 



gironde autrefois bohémiens nomades
BOHEMIENS A LORMONT
GIRONDE D'ANTAN



Tout cela dans un tam-tam de casseroles rétamées. On se serait cru dans un village, nègre ou sur le radeau de la Méduse.



Cela ne pouvait pas durer. Les foudres du quai des Chartrons pleuraient leur vin à grosses gouttes en implorant la foudre de Jupiter. Elle tomba enfin sur le fléau du Bordelais. On décida d'expulser la tribu.



Triste exode ! Des gendarmes escortèrent la tribu, ses romanis cuivrés, ses ânes rogneux, ses chiens galeux. Seules les puces étaient à la fête. Elles pâturaient sur du gendarme.



Bringuebalant, rétamant, pleurant et se grattant, la caravane arrive à Hendaye, au pont international. La maréchaussée vise les arrêtés d'expulsion, épouille des chausses, restitue leur vermine aux délinquants, fait le salut militaire et demi-tour par principe. 



béarn autrefois nomades gitans
NOMADES A SALIES-DE-BEARN 
BEARN D'ANTAN



Cinq minutes plus tard, la tribu revient en France, au galop, pourchassée par les gardes civils de la nation très catholique. Les gendarmes de la nation très chrétienne s'insurgent.

— De quel droit l'Espagne refuse-t-elle l'accès de son territoire à des individus en règle, quoique bourrelés de puces et de crimes ?

— Ils n'ont pas de papiers.



Et mes gendarmes de rire comme toutes les gendarmeries de la chanson. On vient de les viser, ces papiers ! Puis, ils deviennent tristes comme des lampistes. D'un bout du pont à l'autre, ces maudits ont mangé leurs papiers. Allez donc reconstituer à la sortie cachets, visas et arrêtés d'expulsion ! 



Les vingt-sept Romanis, leurs ânes, leurs chiens, leurs puces et leurs inséparables gendarmes repartirent à la queue leu-leu sur les belles routes de France.



Et ce pèlerinage durerait encore si un fonctionnaire du secteur Sud-Ouest  — Dieu me garde de vous dire le nom de ce criminel —n'avait emmené la tribu dans un sentier de montagne tellement chaotique que les roulottes y restèrent sur le flanc. Nuit sans lune. Le guide s'esquiva, abandonnant ceux dont nulle patrie ne voulait et qui se lamentaient dans les ténèbres mortelles des cimes étrangères. Car on les avait introduits frauduleusement en Espagne. 



paysan basque autrefois gitans
GITANS REMPAILLEURS DE CHAISES HENDAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN



L'auteur du délit (complicité de violation de frontières) m'a dit sur le ton de la confidence : 

—- Ils sont revenus, naturellement.

— L 'Espagne leur a fabriqué des passeports pour nous les rendre, dûment frappés d'expulsion.

— Allons donc ! On les a restitués presque de la même façon, clandestinement, par la montagne et par temps de brouillard. Ils rentraient à jeun : pas même de papier à se mettre sous la dent. Et si vous allez jamais du côté de Bordeaux... 


Il ajoute cette remarque judicieuse ; 

— On recommencera. Dans notre métier, il faut de la suite dans les idées et de là philosophie."



 (A suivre.)




 




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