BILBAO EN 1903.
En 1903, cette commune, capitale de la province de Biscaye compte environ 90 000 habitants et est administrée par le Maire M. Pedro Bilbao Arrola (libéral).
Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal des débats politiques et littéraires, le 4 novembre 1903,
sous la plume d'Henri Lorin :
"A Bilbao.
Lorsque l'on arrive de Saint-Sébastien, l'approche de Bilbao est signalée de loin, de part et d'autre du chemin de fer ; la voie court au flanc d'une étroite vallée, des étages de déblais découpent les collines, qui ont l'air de forteresses fraîchement bastionnées ; sur des câbles d'acier, des wagonnets chargés de minerais descendent d'un train continu vers la rivière ; celle-ci n'est plus le joli gave, alerte et mousseux de la montagne, c'est un ruisseau de fange rouge, un égout à ciel ouvert, dont les eaux se sont souillées à laver les terres des mines. Ainsi se présente, assez piteusement, on le voit, la Nervion, dont l'estuaire, il serait plus exact de dire le fiord, constitue le port de Bilbao : sur plus de 20 kilomètres dans l'intérieur, des terres, ce fossé fluvial, profondément encaissé (ria), sert de collecteur aux minerais accumulés en montagnes entières ; il n'est pas large et paraît encombré lorsque deux gabares accolées sont amarrées à chaque rive ; il est bordé, presque à tous les pas, d'estacades en bois, munies de trappes et de drains, par où les minerais tombent, pour ainsi dire d'un saut, de la mine au chaland ; le chemin de fer se faufile péniblement à travers les hautes maisons adossées à la montagne, le regard du voyageur plonge familièrement dans des intérieurs pauvres, encrassés, et, devant ces demeures perpétuellement endeuillées, les quais sont étroits comme un chemin de halage : avant même d'avoir atteint la ville, on sent que Bilbao manque de place, que son industrie doit s'ingénier pour organiser les mouvements qui la lient au commerce ; l'Espagne semble loin, où l'homme manque à l'espace, plutôt que l'espace à l'homme, et l'on se croirait transporté, au sortir des riants vergers du Guipuzcoa, dans les plus sombres districts de la Black Country d'Angleterre.
PANORAMA DE LA RIA A BILBAO 1903 |
L'ancienne Bilbao s'était posée sur une petite plage, à droite du Nervion ; là, sans avoir à gravir de pentes trop raides, elle déployait ses rues resserrées, autour de l'église Saint-Antoine, et des locaux aujourd'hui occupés par l'Institut de Biscaye (lycée) ; plus en aval et déjà plus moderne, c'est la place principale, l'Arenal, sur laquelle donnent les hôtels, les cercles, les terrasses des cafés, où jouent les musiques de la ville, au milieu d'une foule plus cosmopolite qu'espagnole ; là, on entend parler, outre la langue nationale, l'anglais, l'allemand, et aussi le français ; les coiffures des matelots scandinaves voisinent avec les bérets basques ; on montre à l'étranger des personnages à tournure d'employés, voire de paysans aisés, qui sont les propriétaires de telle ou telle mine ; ils valent tant, comme en Amérique, et souvent valent beaucoup ; tel d'entre eux, qui a seulement consenti à prêter son domaine pour les voies d'exploitation d'un gisement proche, a gagné jusqu'à cent mile pesetas en une année, à raison de 25 centimes par tonne en transit. Même sur l'Arenal, qui est une promenade, il est visible que Bilbao est une ville d'affaires et non de loisirs.
PASEO DE L'ARENAL BILBAO 1903 |
A mesure que sa fortune s'est développée, Bilbao a dû s'agrandir, et ce n'était pas facile ; un quartier neuf a poussé sur la rive gauche du Nervion, sensiblement plus haute en cet endroit que la rive droite ; il est percé de belles rues, mais toujours les maisons sont très hautes, parce que le terrain coûte cher ; puis on s'est avancé le long du fiord, qui s'élargit en fin en face de Desierto ; les hauteurs avoisinantes sont couvertes de chalets, résidences familiales des chefs d'industrie qui ne gardent que leurs bureaux en ville ; la mer a été atteinte à Las Arenas (rive droite) et Portugalete (gauche), qui sont devenues des annexes de Bilbao. Quant à l'agglomération principale, elle accroche ses maisons aux moindres replis des falaises ; on peut voir ces jours-ci, à deux cents mètres de l'Arenal, un promontoire rocheux exploité comme carrière et de là les pierres montées à tête d'homme jusqu'à une construction qui s'élève sur un palier supérieur ; au centre même de la ville, les gares de Portugalete, de Santander et du Norte sont étagées immédiatement l'une au-dessus de l'autre et, naturellement, sans communication entre elles !
L'ARENAL DEPUIS LA GARE DE PORTUGALETE BILBAO 1903 |
Le progrès de Bilbao, qui a été foudroyant, est celui des mines de fer de la province de Biscaye ; ces mines sont connues depuis une haute antiquité, mais l'exploitation n'est devenue intensive que pendant la seconde moitié du dix-neuvième siècle ; en 1856 il y eut tout le long de la ria, une violente et unanime protestation contre un entrepreneur, don Francisco Alberdi, qui avait osé demander la concession d'un chemin de fer sur la rive gauche ; que deviendraient les braves gens qui vivaient du charroi par bœufs des quelques centaines de tonnes extraites alors ? Malgré l'appui qu'il trouva à Madrid, don Francisco ne put réussir à tirer parti de la concession enfin obtenue, mais la Députacion provincial, tout en le combattant comme étranger au pays, avait compris son idée, et c'est elle qui finit par construire le premier chemin de fer des mines (en 1865), non sans avoir affronté d'interminables procès. Ce chemin de fer a été complété depuis, et toujours après des exploits de haute lutte, par divers tronçons ; un grand nombre de petites ou moyennes exploitations progressèrent dès lors rapidement, et la production de minerai dépassa 1 million de tonnes en 1877.
Dans ces débuts, nul ne pensait à ménager les mines ; on n'exploitait que par des procédés rudimentaires, enlevant les "venas dulces", vidant les poches, attaquant à l'aventure, sans méthode ; les hauts fourneaux n'acceptaient alors que du minerai très riche ; mais petit à petit on se mit à travailler de plus près, en même temps que les progrès de la métallurgie permettaient aux usiniers d'utiliser une plus grande variété de minerais ; des Sociétés étrangères firent prospecter le district de Bilbao, même la guerre carliste, en promenant des troupes dans toute la province, permit aux ingénieurs, intéressés par des découvertes imprévues, des recherches qui démontrèrent l'incomparable richesse du pays ; dans les années qui suivent le rétablissement de la paix, la production du minerai bondit de 1 200 000 tonnes (1879) à 3 800 000 (1882) ; elle est aujourd'hui de plus de 6 millions. La population s'est accrue à proportion, passant de 20 000 à 90 000 habitants en vingt ans ; il est venu des émigrants, non seulement de l'Espagne entière, mais d'Italie, d'Allemagne, de France. La direction du mouvement a été donnée en même temps par des étrangers et par des Biscayens, hommes d'initiative et de progrès, dont l'esprit a peu à peu triomphé des routines indigènes les plus obstinées ; ceux-là constituent, dans le meilleur sens du mot, une aristocratie, instruite et laborieuse, digne des fortunes qu'elle a su conquérir ; nombre de ces riches mineurs ont le goût des longs voyages hors d'Espagne, ils s'entourent de tous les raffinements du confort et prennent volontiers leurs vacances sur nos plages françaises les plus mondaines : Biarritz jouit de leur faveur particulière.
HAUTS FOURNAUX BARAKALDO BISCAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Lorsque ces grandes Sociétés sont entrées en scène, Bilbao a dû transformer son outillage, resté longtemps très fruste : on a d'abord amélioré la navigation sur le Nervion ; le chenal est maintenu à profondeur constante, avec un minimum de 5 m. 50 à marée basse ; sur le banc rocheux qui coupe la rivière à Portugalete ; des appontements munis de voies ferrées ont été construits au débouché des mines principales ; des bassins ont été creusés auprès, pour permettre aux navires de recevoir là même leur pleine charge, sauf à ne s'engager dans le chenal qu'à la marée haute. Une taxe de 0 pes. 30 à 0,40 par tonne de minerai exporté a gagé les immenses travaux du port extérieur, dont les digues protègent l'embouchure du Nervion et pourraient abriter, en eau calme, des centaines de navires. On se demande si des docks ne seraient pas à leur place autour de ce merveilleux port artificiel, car la ville en manque et ne saurait où les loger ; malgré les protestations inévitables de quelques intérêts particuliers, il paraît urgent de dégorger l'agglomération centrale ; la croissance trop rapide de la population a doublé en quinze ans le prix de la vie ; d'innombrables familles s'entassent dans des bâtisses malsaines, l'eau potable n'est distribuée qu'avec parcimonie, et pour tous les usages domestiques, on doit se servir de l'eau du Nervion, chargée d'impuretés au point que les canalisations s'engorgent et que la municipalité, en ce moment, plaide contre les propriétaires de mines pour la désinfection de sa rivière. Il serait évidemment utile qu'en fondant une cité de travail, autour des docks du port extérieur, on rendît un peu d'air à Bilbao, qui étouffe.
INDUSTRIE DU FER NERVION BILBAO BISCAYE D'ANTAN |
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