LE PONT TRANSBORDEUR DE PORTUGALETE.
Le pont de Biscaye est un pont transbordeur construit de 1888 à 1893, reliant les deux villes de Portugalete et Getxo (Las Arenas), situées de part et d'autre du Nervion, à l'entrée du port de Bilbao.
Il s'agit du pont transbordeur le plus grand du monde, inscrit depuis 2006 sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Petite Gironde, le 27 janvier 1894, sous la plume
d'E. Lalanne :
"Chronique scientifique.
Les Ponts à Transbordeur.
Si le hasard des voyages ou la nécessité des affaires vous amène quelque jour par mer à Bilbao, à peine entré dans la "Concha" (la baie), vous apercevrez de loin, profilant ses lignes élégantes et légères sur l’azur du ciel, un pont suspendu d’une élévation et d’une hardiesse inusitées, jeté par-dessus l’embouchure du Nervion. Mais tout de suite une chose vous intriguera, si vous n'êtes point prévenu : ce pont semble ne mener à rien : aux deux bouts, le tablier finit brusquement, dans le vide, à une vertigineuse hauteur : ni à droite ni à gauche, aucune rampe d’accès.
Attendez un peu, l’énigme va s’éclaircir ; à un moment, vous voyez se détacher d’une des rives et gagner l’autre bord une sorte de nacelle que de longs fils ténus — du moins ils vous semblent tels — suspendent au tablier du pont.
Maintenant vous avez compris, on ne monte pas tout là-haut pour passer la rivière ; on entre tranquillement, de plain-pied, dans ce véhicule d’un nouveau genre, qui, bien sûr, suit le mouvement de quelque chariot roulant à une quarantaine de mètres au-dessus de lui.
PONT TRANSBORDEUR PORTUGALETE BISCAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Comment et pourquoi ? Comment ? nous l’allons voir tout à l’heure. Pourquoi, vous le direz vous-même pour peu que vous restiez quelques heures en promenade sur les quais du Nervion, depuis son embouchure dans la Concha, à Portugalete, jusqu’à Bilbao, à dix ou onze kilomètres de là. C’est un continuel mouvement de navires : ils apportent de la houille, des provisions, des machines ; ils emportent, en quantités infiniment plus fortes, l’excellent minerai de fer extrait en masse dans la région environnante, et qui s’en va, pour la grosse part, alimenter les hauts-fourneaux anglais ou qui vient beaucoup plus près chez nous, aux Forges de l'Adour admirablement placées pour le recevoir à bon compte.
A ces nombreux navires —- quelque chose comme dix mille par an, car Bilbao, avec ses annexes, est le troisième ou peut-être même le second port de l’Espagne — à ces nombreux navires, dis-je, il faut l’entrée et la sortie libres à toute heure et à tout moment. D’autre part, Portugalete et la rive opposée avaient aussi un très grand besoin de communications faciles : de part et d'autre du Nervion la population est très dense, le commerce très actif, les quais très occupés, les industries nombreuses. On ne pouvait indéfiniment se résoudre à aller faire le tour par les ponts de Bilbao. En outre, par une emprise sur le fond de la "Concha" on est en train de créer un grand port supplémentaire à l’embouchure du Nervion : par ce fait, et d’ici peu, le mouvement d’une rive à l’autre ne peut manquer d’augmenter beaucoup ; un moyen commode de communication, déjà très utile, sera dès lors indispensable.
PONT TRANSBORDEUR PORTUGALETE BISCAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le problème se posait donc ainsi : établir à l’embouchure du Nervion un moyen de passage facile et à grand débit, mais avec cette condition, qui primait tout le reste, de n’entraver en rien la circulation des navires.
Par cela même, un pont avec travée mobile n’était pas acceptable, comme imposant des pertes de temps et réduisant le passage à la portée, nécessairement assez réduit, de la travée mobile. En outre le système comprend des organes très lourds et très coûteux.
On pouvait encore avoir recours au tunnel, aux bacs à vapeur, ou bien au pont fixe, à tablier très élevé : ici, les navires auraient eu toute satisfaction, à condition de trouver pour leurs mâtures une hauteur libre de 40 ou 45 mètres. Mais voitures et piétons auraient dû s’élever d’une hauteur égaie pour aborder le tablier, puis descendre d’autant à l'autre extrémité du pont. On était donc conduit soit à faire des rampes très longues, allant fort loin du quai chercher leur origine, soit à construire sur chaque rive des ascenseurs de grande puissance. Dans tous les cas, beaucoup d’énergie mécanique dépensée en pure perte et beaucoup de temps perdu.
MM. de Palacio, architecte espagnol, et Arnaudin, ingénieur français, constructeur de ponts suspendus, ont conçu et mis à exécution un système nouveau, le pont à transbordeur, qui offre à la navigation les avantages du pont à grande hauteur, sans pile intermédiaire, et qui supprime rampes et ascenseurs, avec l’incommodité et le gaspillage de travail mécanique correspondants.
Le pont à transbordeur présente tout à fait, comme je le disais plus haut, l’apparence d’un pont suspendu dont le tablier et les piles auraient une exceptionnelle élévation. Mais au lieu d’offrir une surface propre à la circulation des voitures, le tablier est simplement constitué par une voie ferrée que portent les organes habituels de suspension, câbles principaux, tirants et poutrelles. Sur la voie roule un chariot qui soutient et entraîne dans son mouvement, par l’intermédiaire de longues tiges métalliques, le transbordeur proprement dit, lié à lui comme la nacelle au ballon. Seulement, ici la liaison est rendue très rigide, afin d'éviter les balancements. Le transbordeur fait la navette entre les deux rives, à hauteur de quais, et reçoit véhicules et passagers.
L’embarquement se fait de plain-pied, au bord du quai ; et comme transbordeur et chariot-moteur se déplacent parallèlement, suivant l’horizontale, le travail mécanique se trouve réduit à un minimum, alors que l’ascension des rampes ou l’élévation verticale par ascenseurs exigeraient au contraire une dépense de force considérable.
Un autre avantage du transbordeur, c’est qu’il est entièrement soustrait à l'action des vagues ou du courant, et que les brouillards ne gênent guère son service.
Vu les très grandes hauteurs à atteindre, les pylônes métalliques sont les plus indiqués pour les ponts à transbordeur. Ils sont élégants et légers, parfaitement solides, et donnent peu de peine au vent qui passe sans résistance entre leurs mailles. A ce propos, une petite anecdote trouvera place ici : tandis qu'on construisait le pont de Portugalete, les Espagnols voyant monter si haut des piles si minces, aux membrures si ténues qu’elles semblent une fine dentelée d'acier, n'avaient qu'une foi très limitée dans leur résistance. Mais un jour survint dans la Concha de Bilbao un furieux coup de vent, assez fort pour renverser une des colossales grues "Titan" employées dans les travaux du port à lever des blocs de cent tonnes. Cependant, les hautes piles n'avaient pas bronché, malgré leur apparence faiblesse. De ce jour, on commença à admettre comme très probable le succès du nouveau pont.
PONT TRANSBORDEUR PORTUGALETE BISCAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sa portée est de 160 mètres et les quatre piles de soutien atteignent une hauteur de 60 mètres, déterminée par 1a hauteur libre dont on avait besoin sous le tablier : celle-ci est de 45 mètres au-dessus des plus hautes mers équinoxiales, en sorte que de grands voiliers, la mâture haute, trouvent en tout temps libre passage. La différence entre le niveau du pont et le sommet des piles correspond à la flèche de l'arc à grande courbure que doivent nécessairement décrire les câbles principaux et qui, d'ailleurs, contribue à donner leur élégance aux ponts suspendus.
Du chariot roulant, porté par 24 roues, partent les longs tirants d'acier qui soutiennent la plate-forme du transbordeur. Les tirants sont disposés en triangulation, c’est-à-dire entrecroisés pour empêcher tout balancement.
A Portugalete, la traction du chariot, et par suite le déplacement du transbordeur, s'opère au moyen d'un câble sans fin actionné par une machine à vapeur logée dans une des piles. On est d'ailleurs libre de choisir tout autre moteur mieux approprié aux circonstances locales et le câble de traction pourrait être commandé tout aussi bien par un moteur à gaz, par l'eau sous pression, par l’air comprimé. De même, si le pont se trouvait à portée d’une distribution d'énergie électrique, le chariot roulant pourrait se transformer en une petite voiture électrique automobile, puisant le courant, comme une voiture de tramway, dans un conducteur posé au-dessus de la voie. En ce cas, le chariot serait pourvu d'un électro-moteur et il y aurait peut-être lieu, pour suppléer à son adhérence insuffisante, de le pourvoir de roues dentées roulant sur un rail-crémaillère.
PONT TRANSBORDEUR PORTUGALETE BISCAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Par un moyen ou par l'autre, on peut facilement atteindre une bonne vitesse de translation : les 160 mètres de la traversée du Nervion sont franchis en une minute, et il serait facile de le faire en moins. Le transbordeur pouvant prendre 150 passagers à chaque voyage, on voit que la capacité de transport du système est considérable. Pour une plus large traversée et des besoins de circulation très intenses, le pont à transbordeur pourrait être établi à double voie.
Le système, paraît-il, doit être proposé pour la seconde traversée de la Garonne, à établir devant Bordeaux, vers les Chartrons, et pour laquelle il faut chercher avant toute chose de laisser la passe entièrement libre à la navigation. On aurait ici une portée de 500 mètres et peut être une pile intermédiaire serait-elle utile ; non pas que 500 mètres soient une portée interdite à un pont suspendu, mais parce que les très grandes portées, exigeant des organes de soutien beaucoup plus forts, des piles beaucoup plus hautes, élèvent beaucoup le prix des constructions.
PONT TRANSBORDEUR PORTUGALETE BISCAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire