L'ANNIVERSAIRE DE VICTOR HUGO PAR ROSTAND EN 1910.
En février 1910, Edmond Rostand rend hommage à Victor Hugo, avec une représentation d'Hernani, à la Comédie-Française.
ALBERT LAMBERT FILS DANS HERNANI COMEDIE-FRANCAISE |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales Politiques et Littéraires, le 27 février 1910,
sous la plume d'Edmond Rostand de l'Académie Française :
"L'Anniversaire de Victor Hugo.
V
Les voitures
Passent sous la visière énorme des toitures
Dans cette rue étrange où je monte en rêvant.
Ah ! c'est l'Espagne, enfin !
Je sais bien qu'au-devant
De celui qui sera son poète, l'Espagne
Avait mandé sa grâce à travers la montagne,
Qu'elle avait détaché vers lui quelques splendeurs,
— Vieux clochers chambellans, moulins ambassadeurs !
Chargés de l'accueillir au seuil de la Biscaye
D'un peu de majesté, de morgue, et d'antiquaille !
Je sais bien qu'au-devant de celui qui venait
Elle avait envoyé le soleil, le genêt,
Le vent du Sud chantant son grand air de bravoure ;
Que déjà cette reine, aux portes de Ciboure,
Avait fait de sa part saluer cet Infant
Par un vieux mendiant de rouge se coiffant ;
Mais c'est à Hernani — noir village, je t'aime !
Qu'elle avait résolu de l'attendre elle-même.
Et tous les murs étaient pavoisés de haillons !
25 FEVRIER 1830 TABLEAU A BESNARD PREMIERE REPRESENTATION HERNANI AU THEÂTRE FRANCAIS |
Depuis qu'on parcourait les âpres régions
Pour la première fois le convoi faisait halte ;
De sorte que ce fut vraiment — et je m'exalte,
Je parle seul tout haut, je ris ! — ce fut ici
Que la rencontre eut lieu. Noir village, merci !...
... O rapide frisson des âmes enfantines !
Aussitôt qu'il eut vu, l'enfant des Feuillantines,
L'orgueil silencieux qui ronge ces maisons
Et leur sort sur la face en énormes blasons ;
Ces fers forgés, ces bois sculptés, ces hommes pâles
Qui, sur de pauvres seuils, se drapent dans des châles ;
Les caprices pointus de ce pavé grimpant
Sous le balcon qui tombe et la loque qui pend ;
Aussitôt qu'il eut vu ce clocher à grillage
Où les cloches ont l'air d'oiseaux de bronze en cage ;
Aussitôt que, passant la poterne, il eut vu
Les longs veloutements de ce vallon perdu ;
Ces chênes bas, taillés d'une façon si drôle
Qu'ils ont la grosse tête à perruque du saule ;
Aussitôt qu'il eut vu marcher dans les sentiers
Des joueurs de pelote et des contrebandiers ;
Sous les arbres trapus, tout enthyrsés de lierres,
Rire des muletiers avec des sandalières ;
Des mules trois par trois traîner ces grands berceaux
Dont la toile au soleil tremble sur deux arceaux ;
La broussaille dresser son piège qui chuchote ;
Les moulins avoir l'air d'attendre Don Quichotte ;
Et les maïs bouger leur barbe et leurs plumets ;
Et les feux s'allumer soudain sur les sommets ;
Et le linge sécher à travers les campagnes,
Il fut plus Espagnol que toutes les Espagnes !
HERNANI GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il a reçu le coup de soleil, c'est fini.
Quand sa mère aura peur, — plus loin que Hernani, —
Il rira. — Le buisson où s'embusque la haine
Elle le connaît trop, la maman vendéenne !
Elle dit à son fils : "Rentrez la tête un peu !"
Mais une vitre éclate ! On vient de faire feu !
— "C'est gentil, l'ennemi qui m'envoie une bille !",
Dit l'enfant. Car ce brave aux longs cheveux de fille
Est déjà tellement du pays où l'on est
Qu'il a mis du panache à son petit bonnet.
VI
O mystère charmant et profond de l'enfance !
Quoi ! cet être joyeux d'enfreindre une défense,
Qui rit, qui parle seul, qui joue, et qui, soudain,
Semble pris pour ses jeux d'un immense dédain,
Et rêve, dédaignant l'image ou la praline,
Dans le plus sombre coin de la vieille berline ;
Qui montrait, tout à l'heure, un golfe avec son doigt
En demandant : "Quel est ce gros saphir qu'on voit !"
Ce garçonnet ravi d'abîmer son costume,
C'est celui qui mettra son siècle sur l'enclume,
Quoi ! cet enfant, c'est lui par qui nous apprenons
Que tous ces voyageurs croyaient avoir des noms.
Et c'est lui l'éternel parmi ces éphémères !
Quoi ! c'est le grand Hugo, ce petit Victor !
Mères,
Qu'il y ait du respect, parfois, dans la douceur
Du baiser mis au front de votre enfant rêveur ;
Que vos lèvres, parfois, en écartant des boucles
Aient peur de se brûler à quelques escarboucles ;
Frissonnez au milieu d'un rire ; effrayez-vous
De prendre l'avenir, ainsi, sur vos genoux ;
Et dites-vous, avec une ivresse inquiète,
Lorsque vous saisissez une petite tête
Pour essayer de voir au fond des yeux gamins,
Que vous tenez peut-être un monde entre vos mains !
— Sait-on à quel moment, au juste, le dieu passe ?
Songez à la minute émouvante de grâce
Où, dans la vieille rue, au son d'un fandango
Que rythme un claquement de fouet, Madame Hugo
Sort du carrosse vert dont l'attelage souffle
Et, prenant dans ses bras l'enfant qu'elle emmitoufle,
Distraite, d'une voix qui sommeille à demi,
Lui dit légèrement : "Tu vois, c'est Hernani."
HERNANI GUIPUSCOA 1907 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun éclair n'a lui dans la ruelle noire ;
Nul n'a senti tomber cette graine de gloire ;
Et lui-même l'enfant n'est pas resté songeur.
On se bouscule, on crie, on jure ; un voyageur
Chante... Et le germe obscur descend au fond de l'âme.
"C'est Hernani, tu vois", a murmuré Madame
La générale Hugo, d'une distraite voix.
Et l'enfant regardait. "C'est Hernani, tu vois",
Dit cette mère. Et tout, pendant cette minute,
Tout : Don Ruy, Don Carlos, le grand vers dont la flûte
Soupire, le bandit, l'amour, le collier d'or,
La bataille de mil-huit-cent-trente, le cor,
Mademoiselle Mars, la salle qui trépide,
Tout : le lion superbe et le vieillard stupide,
Oui, tout fut, au-dessus de ce village fier,
Pendant cette minute, en puissance, dans l'air !
HERNANI GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cette minute-là fut grosse du chef-d'oeuvre.
— Et, faisant de son fouet zigzaguer la couleuvre,
Un jeune postillon, sur un seuil, étalait
Le rouge fatidique et vif de son gilet.
Le Rêve dans l'esprit des grands amants du Verbe
Abonde avec amour autour d'un nom superbe ;
Il suspend, en secret, son cristal doux et lent
Au nom qui s'alourdit d'un poids étincelant ;
Et quand, plus tard, cherchant dans cette ombre où tout reste,
Hugo retirera de son coeur, d'un seul geste,
Le nom qui s'y enfonce en tremblant aujourd'hui,
Ce nom ramènera tout un drame avec lui !
VII
... Mais la nuit m'a surpris près d'un portail de pierre..
Alors, je me souviens qu'il aimait la prière ;
Qu'il a divinement murmuré : "Va prier..."
Je songe que le soir du vingt-six février,
Hernani, ton église est bien selon mon âme,
Puisque je ne peux pas aller à Notre-Dame !
PORTE PRINCIPALE HERNANI GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
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