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mercredi 2 février 2022

LA SOULE AU PAYS BASQUE EN 1881 (cinquième partie)


LA SOULE EN 1881.


La Soule est la plus petite des 7 provinces du Pays Basque. Située dans les Pyrénées-Atlantiques, elle est peuplée d'environ 15 000 habitants et a pour capitale Mauléon-Licharre (Maule).




pays basque soule 1843
VALLEE DE TARDETS SOULE 1843




Voici ce que rapporta Paul Perret dans son livre "les Pyrénées françaises" en 1881 :



"Le pays de la Soule



... Quand je disais que cette vieille race basque était encore toute pleine de la peur des maléfices de des sortilèges ! De son berceau mystérieux au fond de l'Orient, elle a rapporté ces superstitions avec sa langue. Beaux, vigoureux, braves, alertes, laborieux, souvent artistes, ces Basques passent devant devant nos yeux comme des livres fermés. C'est leur langue qu'il faudrait étudier pour les bien connaître. Quelques vrais curieux en ont eu le loisir et la patience : un prince, et naguère un simple garde général des forêts, sans parler de M. Francisque Michel. Ce garde général est devenu, me dit-on, professeur à l'Ecole des Langues orientales.



Une nuit réparatrice dans la bonne auberge de Tardets, et nous voilà dispos. La voiture nous attend ; nous allons courir vers Larrau, laissant à gauche la route d'Oloron. A droite, s'ouvre celle de Lannes, qui conduit au pic d'Anie, touchant au premier village béarnais, assis sur des contreforts de la montagne ; nous sommes à la frontière du pays basque, mais ne nous proposons point d'en sortir. La route court au-dessus du Saison, traverse un village qui fait face à un autre placé sur le bord opposé : c'est Laguinge et Lichans. Le Gave, assez large, encaissé entre deux hautes berges vertes, entre bientôt dans un défilé, où il reçoit l'Uhaixta, un orageux petit tributaire. Nous suivons la rive gauche, logeant des escarpements encore verdoyants à plaisir. Des bandes de prés s'allongent sur les pentes ; dans les parties les plus basses, et par conséquent les plus humides, des mauves gigantesques bercent leurs fleurs roses. La rive droite n'est pas moins abrupte, mais très boisée ; des saules énormes, aux feuilles longues et menues comme celles de l'olivier, se penchent sur l'eau. Parfois, le mont s'entr'ouvre, et dans d'étroits vallons sont nichées des cabanes de bûcherons ; des feux y sont allumés pour la préparation d'un repas sans doute assez maigre, la fumée bleue monte sur ce fond sombre des rochers et des feuillages. Le chemin, cependant, surplombe le torrent, il décrit d'effrayants détours à pic au-dessus d'une chute d'eau bruyante et profonde. Le cocher se retourne et nous fait des signes que nous ne comprenons point. Enfin le fracas s'apaise, et ce bon compagnon peut se faire entendre. Il avait hâte de nous apprendre que, l'année précédente, à cet endroit-là, le conducteur d'une voiture - en tout semblable à la nôtre - il précisait - l'avait culbutée dans le Gave. - Il y avait deux voyageurs, ajouta-t-il. Deux et lui ça fit trois morts. - Tout comme nous aujourd'hui, si vous nous versiez, lui dis-je en riant. - Mon Dieu, oui ! là, tout comme nous. - Merci, mon ami.



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ROUTE DE LARRAU ROCHER ET PONT D UGARE



La gorge s'écarte, la vallée s'élargit. Au-devant nous, un petit pic qui ne porte pas un nom basque : c'est Bimbalette. Le chemin s'élève sur des pentes si raides qu'assis au fond de la voiture nous voyons la croupe des chevaux en ligne verticale au-dessus de nos têtes. On nous avait juré à Tardets que le chemin était "carrossable". Il l'est à la condition que le carrosse monte de son côté et les touristes du leur sur leurs propres jambes. Mettre pied à terre est le meilleur parti à prendre, et nous le prenons. Ce sentier - ce n'est plus autre chose - est très ombreux ; sur l'autre bord du Gave, les montagnes n'offrent guère que de maigres tapis d'herbe rase, et le plus souvent la roche est nue. Pourtant, dans les plis verts, je découvre des habitations humaines. La neige, l'hiver, ne demeure point sur ces versants rapides. La chair de l'isard et du lièvre défraie la table ; les peaux de renards fournissent de quoi y mettre le pain et le vin.




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PIC DE BIMBALETA SOULE



A l'est, voici les Cinq-Monts ; les cinq doigts de Roland ont l'air de nous menacer d'un effroyable soufflet. Nous ne sommes pas Sarrasins ; mais Dieu nous garde ! Dans la même direction, en inclinant vers le sud, un groupe de montagnes ferme l'horizon. C'est le massif de Sainte-Engrace, dominé par le pic d'Anie. On ne découvre que Larrau à l'ouest, le pic d'Orrhy et les monts d'Ahusquy au nord. Nous gravissons le flanc méridional de l'Arpune, d'où sort un Gave du même nom ; nous venons de le traverser à son confluent avec l'Olhadu, qui descend au pied d'un autre mont . C'est l'Arpune que nous allons remonter jusqu'à Larrau, vrai village de montagne. Point de courrier, et, quoi qu'en disent les gens du pays, pas de chemin. - En débarquant à l'hôtellerie, j'y trouve des habitants de Pau en villégiature. Ceux-ci sont endurcis à la montagne ; mais pour des Parisiens, c'est un lieu de plaisance que je ne saurais leur recommander honnêtement ; il est très différent d'Enghien.




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TOURISTES ET HÔTEL DESPOUEY-SAGASPE LARRAU
PAYS BASQUE D'ANTAN



Larrau est juché sur une sorte de plateau, entre la forêt des pics. Toutes sortes de projets ont été conçus et même présentés au Conseil général du département pour mettre ce nid d'aigle en communication avec le monde ; mais voilà ! le climat à Larrau est intermittent. Après trois hivers sans frimas, les habitants ont cessé de considérer la nécessité d'un chemin, et ne réclament plus ; le quatrième hiver, ils demeurent trois mois sous la neige, car cette haute terrasse la retient ; alors ils gémissent. Mais bast ! les choses recommenceront d'aller comme elles vont depuis un siècle. Larrau n'a pas de chemin, c'est entendu ; Larrau n'en est pas moins un lieu de passage, puisque tout près est le "port", qui a le même nom que la bourgade - à moins qu'on n'y préfère le nom basque, - Marinalichona ; - il n'a que quatre syllabes de plus. C'est là qu'on entre en Espagne. - La rue principale de Larrau est précisément encombrée par plus de cent mules que mènent vingt muletiers ; - bêtes et gens, tous espagnols.





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LARRAU CHAPELLE ST JOSEPH PELERINS EGARES



Il n'est pas aisé de se frayer la route à travers cette cohue de quadripèdes et de bipèdes ; cependant il le faut pour arriver à l'église. Un ruisseau traverse le village ; sur le petit pont à franchir, voici un nouvel encombrement  ; tous les porcs de Larrau s'y seraient-ils donné rendez-vous ? Il sont propres et souvent coquets, les villages basques, même à cette hauteur dans la montagne, et on n'y laisse pas moins vaguer les pourceaux. Chose horrible à dire ! on a été obligé cependant de prendre des précautions contre eux pour les morts. La faible barrière qui défend l'entrée du cimetière est précédée d'une grille posée à plat sur un fossé. Si la bête immonde approche, elle s'engage les pieds entre les barreaux ; la voilà prise. Ne dites point que les petits enfants peuvent aussi bien s'y casser les jambes ! On n'a pas songé aux enfants.




Il est fort curieux ce cimetière ; la terre au-dessus des tombes y est relevée et disposée en éminences et en sillons, comme un champ de labour. Presque point de pierres funéraires ; à la tête de ces petits timuli, les disques ou des croix de fer peintes en blanc. La visite de ce champ de repos si correct ne peut causer de tristesse qu'aux étrangers ; quant aux gens du village, ils y puisent de flatteuses espérances. Je lis les courtes inscriptions attachées aux croix, et qui donnent l'âge des défunts. - Mes amis, allons tous à Larrau, si nous voulons durer, ce qui paraît à beaucoup plus précieux que de vivre.



Elles sont éloquentes, ces inscriptions de tombes : quatre octogénaires. Le plus jeune de ces respectables défunts au moment du grand, de son unique voyage peut-être, avait soixante et treize ans. Outre les sépultures de petits enfants presque mort-nés, je n'en découvre qu'une renfermant les restes d'un jeune homme. Il n'était point de Larrau : c'était le curé.



L'église est neuve et pourtant vieille. La paroisse de Larrau paraît remonter au XIème siècle. Le premier édifice religieux ne fut qu'une chapelle, succursale apparemment de cette grande abbaye de Sauvelade ont été seigneurs de tout ce pays jusqu'à la Révolution. L'église du village fut agrandie au XVIIème siècle par l'abbé Boyer, ainsi qu'en fait foi une curieuse inscription gravée sur la muraille.



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EGLISE LARRAU
PAYS BASQUE D'ANTAN



En 1854, l'église a été restaurée sous la direction de M. l'abbé Onnaïnty, curé actuel de la paroisse. On n'a conservé de l'ancien édifice qu'une voûte assez belle, et l'on a ajouté au monument rajeuni deux élégantes chapelles latérales. Un joli clocher monté sur un porche a été construit en 1873. L'intérieur de l'église, bien que Larrau soit en pleine Soule, n'offre point la disposition des sanctuaires basques. Pas de tribunes ; et dans la nef, une centaine de prie-Dieu rangés. Si l'on juge de la piété des paroissiens par le curieux état d'usure où sont ces prie-Dieu, il faut qu'elle soit vive.



Du pied de l'église, la vue est fort belle. Le pic d'Anie, qui porte encore quelques neiges au mois d'août, se dresse au-dessus d'une chaîne aux croupes puissantes. Le mont Orhy dépasse deux mille mètres. Nos yeux, fatigués d'un spectacle si vaste, reviennent comme naturellement le long du Gave, jusqu'à la ravine profonde que domine la terrasse du bourg. Sur la rive droite de l'Arpune, un joli village est assis au bord des eaux, tout paré de verdure fraiche, à l'ombre de rampes formidables. On le découvre sous un autre aspect du coude que forme le chemin à l'entrée de Larrau. Mon compagnon dessine ; je tire de son étui ma lorgnette de voyage. A l'instant, une nuée de fillettes qui se tenaient curieusement posées au bord du chemin, comme des pies, prennent leur vol ; et c'est pour s'abattre tout autour de moi, curieuses et bavardes comme les emplumées, leur image. - Elles sont une douzaine pour le moins ; une seule parle français ; et ce n'est pas le bon.  Je lui demande pourquoi elle nous regardait si attentivement tout à l'heure en tête de son escadron. Elle me répond : Je regarde toujours ceusses qui passent. - Bon ! lui dis-je ; passe-t-il donc beaucoup de monde ? - Pas du monde comme vous. - Elle ne m'apprenait rien. Je savais déjà que les touristes à Larrau sont plus rares que les muletiers.




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MONT ORHY SOULE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Pendant ce temps, une autre fillette vient effrontément poser sa main sur ma jumelle et me supplie en espagnol de la laisser voir dans ma lunette. Je la lui donne, elle la prend à l'envers, regarde par le petit bout et me la rend toute penaude. Il fallut lui apprendre à s'en servir ; les autres, jalouses, essayaient de la lui arracher, se suspendant à ses bras ; elle en portait ainsi toute une grappe, qui pépiait en basque, et cria bientôt de m'abasourdir. Je continuais pourtant d'interroger ma savante, celle qui baragouinait un français tout à fait digne de la banlieue parisienne. Elle me conta l'histoire de ses parents : son père était allé en France, et il en avait ramené au pays une femme qui était morte. Pour elle, jamais elle n'en était sortie qu'aux dernières Pâques ; le père l'avait alors conduite à Tardets. - Et lui, demandai-je, descend-il souvent en vallée ? - Elle leva les épaules : Pas seulement une fois l'an. - Et les autres gens du pays ? - Les autres non plus. - Je bornai là mon interrogatoire, qui causait une vive impatience à la petite commère. Elle voulait à son tour avoir la lorgnette."



A suivre...






(Source : Bimbaleta - Txardeka (jpdugene.com)






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