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vendredi 4 mai 2018

SUR LES TRACES DU VOYAGE DE VICTOR HUGO AU PAYS BASQUE EN 1843 (deuxième et dernière partie)


VICTOR HUGO AU PAYS BASQUE SUD EN 1843.


Victor Hugo, durant l'été 1853, visite le Pays Basque Sud, et s'arrête  en particulier à Pasajes, en Guipuscoa.



pais vasco antes
MAISON OU SEJOURNA VICTOR HUGO A PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Après un premier article que j'ai publié sur le voyage de Victor Hugo en 1843, voici 

aujourd'hui un second article.

Durant ce voyage et aussi après ce voyage, Victor Hugo a eu des paroles très fortes et  positives 

en faveur du peuple Basque et de sa langue :

"... J’ajoute qu’ici un lien secret et profond, et que rien n’a pu rompre, unit, même en dépit des traités, ces frontières diplomatiques, même en dépit des Pyrénées, ces frontières naturelles, tous les membres de la mystérieuse famille basque. Le vieux mot Navarre n’est pas un mot. On naît basque, on parle basque, on vit basque et l’on meurt basque. La langue basque est une patrie, j’ai presque dit une religion. Dites un mot basque à un montagnard dans la montagne ; avant ce mot, vous étiez à peine un homme pour lui ; ce mot prononcé, vous voilà son frère. La langue espagnole est ici une étrangère comme la langue française."


Voici ce que raconta au sujet du voyage de Victor Hugo la presse, et en particulier le Journal 

des Débats Politiques et Littéraires, dans son édition du 19 août 1902 :


"Saint-Jean-de-Luz, le 15 août :

Laveuses qui, dès l'heure où l'Orient se dore, 

Chantez, battant du linge aux fontaines d'Andorre, 

Et qui faites blanchir des toiles sous le ciel, 

Chevriers, qui roulez sur le Jaïzquivel, 

Sous les nuages gris, votre hutte isolée ; 

Muletiers, qui poussez, de vallée en vallée, 

Vos mules sur des ponts que César éleva, 

Sait-on ce que là-bas le vieux mont Corcova 

Regarde par-dessus l'épaule des collines ?



Je ne sais trop où est "le vieux mont Corcova", ni ce qu'il regarde ; mais ce que, hier, le Jaïzquivel, la longue montagne qui ferme l'horizon des baigneurs de Biarritz, du côté de l'Espagne, pouvait contempler avec complaisance, c'était quelques centaines de Français et d'Espagnols réunis, sur un ressaut de son versant occidental, pour honorer le poète qui s'est souvenu de lui, qui a fait entrer son nom étrange dans un couplet du Petit Roi de Galice



Dans l'été de 1843, Victor Hugo avait entrepris un voyage dans le nord de l'Espagne ; il avait voulu retrouver et réveiller ses souvenirs d'enfance, en même temps qu'il faisait, sur place, une nouvelle provision de ces beaux vocables dont il aimait les sonorités claires, qu'il avait déjà fait retentir avec éclat dans Hernani et dans Ruy Blas, qu'il devait enfin mêler, plus nombreux encore et plus bruyants, aux vers épiques de la Légende des Siècles. Au cours de cette promenade, il s'établit, pendant une semaine ou deux, dans un village de pêcheurs et de marins, Pasages, qui est situé entre Irun et Saint-Sébastien. Là se trouve le seul port naturel que l'on rencontre sur la côte cantabrique, entre l'embouchure de la Bidassoa et celle de la rivière de Bilbao. C'est comme une sorte de fjord qui, ne communiquant avec la mer que par un goulet étroit et sinueux, se prolonge assez loin dans l'intérieur des terres, vers Lezo et Renteria. Il est, dans toute son étendue, protégé contre les vents du large par les contreforts de la montagne, et le spacieux bassin qui en forme la partie antérieure a assez d'eau pour les plus grands navires. On a reconnu dans le bourg de Pasages l'héritier de l'Oiasso des géographes romains, de l'Ophiussa des Grecs. C'est là que devaient relâcher les escadres phéniciennes quand, après avoir contourné les côtes de l'Espagne, elles attendaient une saison et des brises favorables pour cingler vers le Nord, vers les Sorlingues et la pointe de la Cornouaille. 




pays basque 1900
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le chemin de fer passe maintenant à Pasages et, autour de la gare, il s'est construit de lourdes et laides bâtisses de quatre à cinq étages. Tout près, sur la route de Renteria, il s'est établi des usines, usines espagnoles, usines fondées par des maisons françaises de Bordeaux, où celles-ci, gênées par notre absurde tarif douanier, fabriquent maintenant sur place les denrées qu'elles exportaient autrefois de France en Espagne. Dans ces conditions, l'aspect du pays se transforme rapidement. Mais, en 1843, l'industrie qui, depuis une trentaine d'années, s'est si merveilleusement développée dans les provinces du Nord, n'existait encore nulle part. Pasages ne se composait que de deux quartiers, posés l'un à droite et l'autre à gauche du port, San-Pedro et San-Juan ; chacun de ces groupes ne comportait qu'une rue, serrée entre l'eau et les escarpements du roc, et encore y avait-il des endroits où l'espace manquait pour que deux habitations pussent se faire vis-à-vis. Les bateaux à vapeur ne fréquentaient pas encore ce mouillage, et les guerres du premier Empire avaient tué le commerce que Pasages faisait, au siècle dernier, avec l'Amérique. C'est tout au plus s'il s'y équipait encore quelques bateaux pour la pêche de la morue ou de la baleine; on n'y faisait plus guère que de la pêche côtière et un cabotage où la contrebande jouait un grand rôle.




pays basque 1900
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Pendant qu'il résidait à Saint-Sébastien, le poète eut l'idée d'aller voir Pasages, qui n'en est qu'à cinq kilomètres. Le site lui parut si pittoresque, qu'il se décida à y faire une sorte de retraite ; c'est ce qu'il raconte avec beaucoup de charme dans quelques-unes des meilleures pages du recueil d'articles qui a pour titre : Alpes et Pyrénées. Il y a deux ans, je visitais pour la première fois Pasages avec M. Gaston Deschamps, qui venait de lire ce livre. D'après les indications que donne Victor Hugo sur la place de la maison ainsi que sur les armoiries qui surmontent, en guise de chapiteau, deux pilastres dressés à gauche de la porte, M. Deschamps me dit : "Voilà probablement la maison que Victor Hugo a jadis habitée". Je la regardai avec respect ; mais nous n'essayâmes pas d'y pénétrer. Nous avions fait une longe course avant d'arriver à Pasajes et nous nous hâtions vers le restaurant hospitalier où, sous une épaisse tonnelle de vigne, en face de rentrée du goulet, on se régale, en regardant entrer et sortir les barques chargées de soles, d'huîtres ou de langoustes. 



pais vasco antes
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


D'autres visiteurs, à qui la politique a fait des loisirs que nous n'avions pas se sont, cette année, pose la question qui avait un moment piqué notre curiosité. Ils sont venus à Pasages, le livre en main; ils se sont informés du nom des anciens propriétaires et ils sont arrivés à une pleine certitude. La maison, à première vue, n'a rien qui la distingue des autres. Du côté de la rue, elle a une toiture très saillante, qui déborde sur la façade et verse l'ombre aux passants. Sur la mer elle a, à chaque étage (il n'y en a que deux en tout), un large balcon où le poète a dû passer bien des heures. A la construction très soignée du logis et aux armoiries qui en décorent la façade principale, sur une petite place, on devine qu'il a dû appartenir à quelque rico hombre, à l'une des premières familles du pays ; les murs en sont bâtis en grand appareil, d'une belle pierre de taille. 



Promue au rang de monument historique, cette demeure attirera désormais les yeux de quiconque viendra faire un tour dans le golfe, dût-il même n'y pas mettre pied à-terre. Du canot qui nous amenait, bien avant d'aborder, nous apercevions, au-dessus de la draperie aux couleurs espagnoles qui était attachée pour aujourd'hui à la balustrade du balcon, cette inscription, dont les lettres d'or se détachaient sur une plaque de marbre noir : 


CASA DE VICTOR HUGO 


pais vasco antes
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Une fois débarqués, nous lisons, au-dessus de la porte et gravée de la même façon, une autre inscription, un peu plus développée, que voici avec sa disposition : 


EN 1843 AQUI VIVO - ICI VECUT + ENEN BIZI ZAN VICTOR HUGO HOMMAGE DE DEUX- FRANÇAIS EN 1902 


Ces deux Français qui se sont abstenus d'écrire leur nom, comme ils en auraient eu le droit, au-dessous de celui du poète auquel ils avaient rendu cet hommage, c'est, est-il besoin de le dire ? MM. Déroulède et Marcel Habert. Les plaques ont été apposées là, par leurs soins, il y a quelques semaines. Ce n'était donc pas elles que l'on inaugurait hier ; c'était un grand médaillon de Victor Hugo qui a été appliqué sur le roc, au delà de San-Juan, à l'entrée d'un ravin sauvage où il aimait, raconte-t-il, à se promener, et sur le chemin d'une fontaine, située un peu plus loin, d'où l'on domine la mer et auprès de laquelle il allait souvent s'asseoir. Des invitations avaient été envoyées, pour cette fête, à Saint-Jean-de-Luz, à Biarritz et à Bayonne. On y est venu de France et d'Espagne ; on y serait venu davantage encore si les journaux avaient annoncé l'heure où elle se célébrerait et fait pressentir le caractère tout littéraire que l'on a su lui garder. 



pays basque d antan
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN



pays basque autrefois
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Comme tous les cortèges officiels, celui qui doit monter vers l'emplacement choisi est lent à se former. En attendant, nous visitons le premier étage de la maison, qui est ouvert au public. C'est le même aspect à la fois noble et sordide que dans le reste du bourg. L'escalier, dont la rampe a de gros balustres, est vermoulu ; dans les trois ou quatre petites pièces où le poète a demeuré, les boiseries sont délabrées. Blanchis à la chaux, les murs sont déjà couverts d'inscriptions tracées au crayon noir par les visiteurs ; elles n'ont pas le tour lapidaire de celles que nous avons citées. Tout ce qui rappelle ici le poète, c'est un beau portrait de lui qui a été offert par MM. Déroulède et Habert. Que fera-t-on de ce local ? Nous l'ignorons. Pour qu'il donnât l'illusion du passé, il faudrait y replacer le mobilier très simple que décrit Victor Hugo et défendre la muraille contre la niaiserie des graffiti. Ce qui serait bien vu, ce serait de mettre ici un exemplaire des Alpes et Pyrénées à la disposition des visiteurs, pour qu'ils relussent sur place les chapitres consacrés à Pasages ; mais je craindrais qu'il ne fallût souvent renouveler le volume. 




pays basque autrefois
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Enfin, vers quatre heures et demie, nous sommes avertis, par le bruit de la fanfare, que le cortège va se mettre en marche. On part de la mairie. En tête, s'avance, derrière la musique, M. Yseta, maire de Pasages ; puis, à côté de lui, M. Congy, député de la Seine, et M. Le Menuet, vice-président du Conseil municipal de Paris. Tous deux ont leurs écharpes. Le chapeau haute forme du conseiller fait sensation. D'lrun à Saint-Sébastien, il est, ce jour-là, le seul de son espèce qui ait reçu le soleil de l'Espagne. Derrière, mêlés à la foule, marchent les organisateurs de cette solennité. M. Déroulède, très élégant et même très jeune d'allures sous son large panama, en longue redingote ouverte, en pantalon et gilet blanc, parait très gai ; il est très populaire à Pasages; il sourit et donne des poignées de main à beaucoup de gens du village. M. Marcel Habert est très affairé ; il va, revient, presse le pas du cortège ou le ralentit ; il indique aux gens leur place. C'est lui qui se donne le plus de mal. 




pays basque avant
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

On s'arrête à l'entrée du ravin. Il y a là, dressée contre la pente du mont, une petite tribune en planches avec drapeaux aux couleurs espagnoles et françaises. En face, un parquet, entouré de feuillages, avec des chaises et des bancs destinés aux invités. La foule se masse entre cette enceinte et la tribune ; elle s'est surtout répandue sur les deux flancs du ravin. Là, il y a des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants, assis, debout, couchés dans la bruyère en fleurs et parmi les fougères, où les roses tabliers des fillettes et les corsages rouges des femmes tranchent sur la verdure. D'autres spectateurs sont debout sur la saillie du roc. C'est un coup d'œil varié, charmant, tout à fait imprévu. La forêt de pins, qui couronne le haut des pentes, forme le cadre du tableau. Près du médaillon, se tiennent, avec des palmes et des gerbes de fleurs, des Basquaises blondes, qui ont un faux air d'Alsaciennes.



pays basque avant
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


M. Yseta ouvre la série des discours par quelques paroles sensées et modestes, il présente ensuite les divers orateurs qui se succèdent pendant près d'une heure. Que vous dirai-je des discours ? Il y en a eu beaucoup, peut-être trop, comme dans toutes les cérémonies de ce genre. Il y en a eu en français, il y en a eu en espagnol ; il y a eu des chants basques ; nous sommes dans le Guipuzcoa. Tous les orateurs s'excusaient de parler, n'ayant, proclamaient-ils, en commençant, rien à dire qui n'eût été déjà dit et qui fût digne de la grandeur du génie auquel on était venu rendre hommage. Alors, pourquoi ouvrir la bouche ? Dans tout ce que j'ai entendu là, je n'ai saisi qu'un mot qui fût vraiment juste et en situation. C'est le senor alcade qui l'a prononcé. Il a, sans d'ailleurs y insister, appelé Victor Hugo " le plus espagnol des poètes français". C'était là ce que l'on aurait pu et dû développer en ce jour et en ce lieu. Le thème était tout indiqué. Au lieu de s'en aviser, on nous a parlé surtout de Victor Hugo humanitaire, apôtre de la paix et de la fraternité, révélateur de l'avenir. Rien n'appelait ici ces vieux refrains sur lesquels nous a un peu blasés le centenaire de février. 



pais vasco antes
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Il y a eu aussi des morceaux chantés en français et en espagnol par un baryton de qui la voix puissante a enthousiasmé la foule ; il y a eu des poésies inédites, une adresse d'un étudiant de Paris, etc. J'ai remarqué avec quelque chagrin que tous les Français lisaient, tandis que les Espagnols parlaient d'abondance. On n'accoutume pas assez nos jeunes gens à la parole libre et vivante. Ce qu'il y aurait eu de plus curieux, si nous avions compris, c'étaient les chants améboes des improvisateurs basques. Un premier, autant que nous avons pu en juger par les quelques noms propres que nous saisissions au vol, donnait le thème ; un autre le reprenait, puis un troisième. C'étaient, à ce qu'il nous semblait, de courtes strophes, chantées sur trois ou quatre notes. Celui des chanteurs qui paraissait le plus goûté était un vieux paysan, à gilet déboutonné, à veste usée; chacun de ses couplets soulevait une tempête de rires et d'applaudissements. Pourquoi ne nous a-t-on pas appris le basque au collège ? On y viendra peut être, pour remplacer le grec, maintenant que les langues vivantes sont si fort en honneur. 




pais vasco antes
PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Une dernière réflexion, qui est toute à l'honneur des promoteurs de la cérémonie. Tous les discours se terminaient par le cri : "Vive la | France ! Vive l'Espagne !" Il a été parlé de l'entente des deux nations; mais il n'a pas été dit un mot de la politique intérieure française; il n'a même pas été fait allusion aux circonstances qui ont amené MM. Déroulède et Marcel Habert à faire ou à refaire la découverte que l'on célébrait hier. On n'a pas prononcé leurs noms et ni l'un ni l'autre n'a parlé. Ce sont eux, sans doute, qui avaient recommandé, qui avaient imposé à leurs amis cette discrétion. Nous ne saurions trop leur en faire compliment. En ne prenant pas les étrangers pour témoins de nos divisions intestines et pour confidents des griefs que nous croyons avoir les uns contre les autres, ils ont montré du tact et du goût."







(Source : http://www.bilketa.eus/fr/)



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