LES FÊTES DE BAÏGORRY EN 1937.
A quelques kilomètres d'une guerre civile effroyable, la vie continue "presque normalement" de l'autre côté de la frontière Navarraise.
Voici ce que rapporta Le Journal, dans son édition du 23 août 1937, sous la plume d'Auguste
Villeroy :
"Aux frontières de la guerre.
Fêtes basques.
Au coin de la rue, une plaque indicatrice porte une flèche avec cette inscription: "Route du col d'Ispéguy. Frontière : 8 kilomètres". Huit kilomètres de circuits en épingles à cheveux, c'est-à-dire quatre à vol d'oiseau. Dominant le paysage vers le sud, les crêtes des Pyrénées barrent l'horizon comme un mur. Derrière ces crêtes, c'est la guerre.
Ici nous sommes à Saint-Etienne-de-Baïgorry, dont c'est la fête en ce moment.
VIEUX PONT BAIGORRY PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il semblerait que, si près de l'Espagne, les gens de Saint-Etienne, ainsi que ceux de tant d'autres points limitrophes, vécussent dans la hantise du drame qui se joue à leurs portes. L'incendie est derrière le mur, et ceux dont la terre brûle sont aussi des Basques.
La vérité est qu'un Parisien, brusquement transplanté dans les Pyrénées, semble être plus loin de la guerre que s'il était demeuré chez lui.
D'abord, pendant la fête, qui dure trois jours pleins, du dimanche au mardi inclus, les danses, les chants, les jeux locaux abolissent toute autre préoccupation, d'autant que ces trois jours sont les seuls que l'usage accorde ici aux divertissements. Tout le reste de l'année, aucune autre occasion de détente, car la vie de montagne est sévère. La petite cité frontière, propre et nette, toute fleurie de ces sobres et amples maisons basques aux murs blancs, aux longs toits bruns débordants, aux balcons de bois ajouré, — pour qui Biarritz est le nord et Bordeaux l'extrême nord, — ne donne pas du tout l'impression d'être un coin perdu. Une gaieté lumineuse, qui semble le rebondissement même des rayons du soleil, l'emplit de rires et de chansons. Chansons d'un rythme mélancolique, comme beaucoup de mélopées montagnardes, mais que l'explosion de la fête rend allègres. Aucune vulgarité d'ailleurs dans cette allégresse. On ne voit ici ni tonitruants manèges de cochons, ni balançoires, ni bastringues.
NOUVEAU QUARTIER BAIGORRY PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le paysan basque répugne d'instinct aux distractions canailles. Son béret crânement posé sur la tête, sa veste gaillardement accrochée à l'épaule, sa chemise large ouverte sur le torse, son rire clair contrastant avec son regard distant, chargé de rêve, l'allure de son pas souple dans ses blanches sandales, tout cela lui confère un air d'indépendance, une dignité spéciale qui fait songer à de très lointaines civilisations.
ENFANTS RUE DE LA GARE BAIGORRY PAYS BASQUE D'ANTAN |
La grande distraction du pays, on peut dire sa raison d'être et de vibrer, c'est la pelote basque, et il y eut à Saint-Etienne, comme de juste, une grande séance de pelote basque. Chacun apporte au jeu traditionnel non seulement toute la nerveuse souplesse de son corps, mais toutes les saines énergies de son esprit. Le moindre village possède son fronton. Quelquefois, il en compte plusieurs. Tout mur, pour le Basque, devient fronton. J'ai vu, dans une localité, cette candide interdiction affichée au chevet d'une église :
"Défense de peloter contre ce mur."
Les enfants commencent à jouer à la pelote avant même de savoir marcher : c'est dans le sang. Chaque mioche qu'on rencontre, même porté dans les bras, tient une pelote à la main. Une pelote, non pas une balle. La balle, c'est amusement nordique, et la pelote est expression de race. Un vieux Basque nous disait, non sans une certaine superbe méridionale :
" La pelote, c'est le tennis des géants !"
Un petit être maigre, aux yeux clairs et guetteurs, aux déclenchements d'éclair, qui vire comme une toupie, se ramasse comme un chat, se détend comme un ressort, c'est Urruty, le champion du lieu. Urruty et son partenaire Lemoine ont gagné à Baïgorry une partie rude et serrée contre deux adversaires de beau style. Trois ou quatre mille spectateurs, entassés autour de l'immense rectangle où sifflaient les pelotes, encourageaient du geste et du cri les quatre joueurs blancs déchaînés, deux fleuris d'un ruban rouge, à l'épaule, les deux autres d'un ruban vert.
URRUTY ET LEMOINE PELOTARIS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Rouges et verts s'évertuèrent deux heures durant au soleil contre l'impassible fronton qui faisait songer par instants à la majesté du mur d'Orange. Pendant deux heures, on entendit le claquement de la balle contre la pierre. Claquement sec comme un coup de fusil. L'engin partait, rebondissait, traversait vertigineusement toute l'arène. Quelquefois les joueurs la cueillaient au vol, en plein ciel. Quelquefois, c'est presque au ras de terre, au moment où l'on croyait tout perdu, qu'ils la rattrapaient, avec des renversements de reins qui les couchaient à plat sur le dos. Une chute ? Non, une détente. L'homme se retrouvait debout, harmonieux et précis, et la pelote reprenait sa trajectoire dans le soleil. Et c'étaient alors des élans, des trépignements de joie chez la foule enthousiaste et participante.
"Ça, au moins, c'est du sport !" cria une voix chantante auprès de nous. Du sport, oui, et du vrai, parce que, contrairement à beaucoup d'autres, le déploiement de force et l'endurance qu'exige celui-ci n'en altèrent point la beauté.
La région basque, on le sait, est très catholique. Elle compte de nombreux prêtres. Au cours de ces trois jours de fête, on les voyait déambuler en bandes par les rues, riant et s'entretenant familièrement avec les habitants. Les plus jeunes d'entre eux, après la grande séance où ils avaient acclamé le champion, ne résistèrent pas à la tentation d'en mettre un coup, eux aussi. Ainsi faisait le curé de "Ramuntcho". Soutane au vent, béret au front ou tête nue, bondissant comme des chèvres noires, ils ébauchèrent une partie de pelote à leur tour, et cela sans que personne autour d'eux s'avisât de sourire, de trouver l'exhibition choquante ou simplement déplacée. Il est vrai que c'étaient des enfants du pays !
PARTIE DE PELOTE AVEC UN CURE BAÏGORRY PAYS BASQUE D'ANTAN |
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