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jeudi 24 mai 2018

LES FÊTES DE SAINT-ÉTIENNE-DE-BAÏGORRY EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN AOÛT 1937

LES FÊTES DE BAÏGORRY EN 1937.


A quelques kilomètres d'une guerre civile effroyable, la vie continue "presque normalement" de l'autre côté de la frontière Navarraise.

saint etienne de baïgorry autrefois
FRONTON BAIGORRY
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta Le Journal, dans son édition du 23 août 1937, sous la plume d'Auguste 

Villeroy :


"Aux frontières de la guerre.


Fêtes basques.



Au coin de la rue, une plaque indicatrice porte une flèche avec cette inscription: "Route du col d'Ispéguy. Frontière : 8 kilomètres". Huit kilomètres de circuits en épingles à cheveux, c'est-à-dire quatre à vol d'oiseau. Dominant le paysage vers le sud, les crêtes des Pyrénées barrent l'horizon comme un mur. Derrière ces crêtes, c'est la guerre.



Ici nous sommes à Saint-Etienne-de-Baïgorry, dont c'est la fête en ce moment.




baigorry 1900
VIEUX PONT BAIGORRY
PAYS BASQUE D'ANTAN

Il semblerait que, si près de l'Espagne, les gens de Saint-Etienne, ainsi que ceux de tant d'autres points limitrophes, vécussent dans la hantise du drame qui se joue à leurs portes. L'incendie est derrière le mur, et ceux dont la terre brûle sont aussi des Basques.



La vérité est qu'un Parisien, brusquement transplanté dans les Pyrénées, semble être plus loin de la guerre que s'il était demeuré chez lui.



D'abord, pendant la fête, qui dure trois jours pleins, du dimanche au mardi inclus, les danses, les chants, les jeux locaux abolissent toute autre préoccupation, d'autant que ces trois jours sont les seuls que l'usage accorde ici aux divertissements. Tout le reste de l'année, aucune autre occasion de détente, car la vie de montagne est sévère. La petite cité frontière, propre et nette, toute fleurie de ces sobres et amples maisons basques aux murs blancs, aux longs toits bruns débordants, aux balcons de bois ajouré, — pour qui Biarritz est le nord et Bordeaux l'extrême nord, — ne donne pas du tout l'impression d'être un coin perdu. Une gaieté lumineuse, qui semble le rebondissement même des rayons du soleil, l'emplit de rires et de chansons. Chansons d'un rythme mélancolique, comme beaucoup de mélopées montagnardes, mais que l'explosion de la fête rend allègres. Aucune vulgarité d'ailleurs dans cette allégresse. On ne voit ici ni tonitruants manèges de cochons, ni balançoires, ni bastringues.


baigorry autrefois
NOUVEAU QUARTIER BAIGORRY
PAYS BASQUE D'ANTAN

Le paysan basque répugne d'instinct aux distractions canailles. Son béret crânement posé sur la tête, sa veste gaillardement accrochée à l'épaule, sa chemise large ouverte sur le torse, son rire clair contrastant avec son regard distant, chargé de rêve, l'allure de son pas souple dans ses blanches sandales, tout cela lui confère un air d'indépendance, une dignité spéciale qui fait songer à de très lointaines civilisations.



baigorry avant
ENFANTS RUE DE LA GARE BAIGORRY
PAYS BASQUE D'ANTAN

La grande distraction du pays, on peut dire sa raison d'être et de vibrer, c'est la pelote basque, et il y eut à Saint-Etienne, comme de juste, une grande séance de pelote basque. Chacun apporte au jeu traditionnel non seulement toute la nerveuse souplesse de son corps, mais toutes les saines énergies de son esprit. Le moindre village possède son fronton. Quelquefois, il en compte plusieurs. Tout mur, pour le Basque, devient fronton. J'ai vu, dans une localité, cette candide interdiction affichée au chevet d'une église :


"Défense de peloter contre ce mur."



Les enfants commencent à jouer à la pelote avant même de savoir marcher : c'est dans le sang. Chaque mioche qu'on rencontre, même porté dans les bras, tient une pelote à la main. Une pelote, non pas une balle. La balle, c'est amusement nordique, et la pelote est expression de race. Un vieux Basque nous disait, non sans une certaine superbe méridionale :


" La pelote, c'est le tennis des géants !"



Un petit être maigre, aux yeux clairs et guetteurs, aux déclenchements d'éclair, qui vire comme une toupie, se ramasse comme un chat, se détend comme un ressort, c'est Urruty, le champion du lieu. Urruty et son partenaire Lemoine ont gagné à Baïgorry une partie rude et serrée contre deux adversaires de beau style. Trois ou quatre mille spectateurs, entassés autour de l'immense rectangle où sifflaient les pelotes, encourageaient du geste et du cri les quatre joueurs blancs déchaînés, deux fleuris d'un ruban rouge, à l'épaule, les deux autres d'un ruban vert.



pelote basque autrefois
URRUTY ET LEMOINE PELOTARIS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Rouges et verts s'évertuèrent deux heures durant au soleil contre l'impassible fronton qui faisait songer par instants à la majesté du mur d'Orange. Pendant deux heures, on entendit le claquement de la balle contre la pierre. Claquement sec comme un coup de fusil. L'engin partait, rebondissait, traversait vertigineusement toute l'arène. Quelquefois les joueurs la cueillaient au vol, en plein ciel. Quelquefois, c'est presque au ras de terre, au moment où l'on croyait tout perdu, qu'ils la rattrapaient, avec des renversements de reins qui les couchaient à plat sur le dos. Une chute ? Non, une détente. L'homme se retrouvait debout, harmonieux et précis, et la pelote reprenait sa trajectoire dans le soleil. Et c'étaient alors des élans, des trépignements de joie chez la foule enthousiaste et participante.




"Ça, au moins, c'est du sport !" cria une voix chantante auprès de nous. Du sport, oui, et du vrai, parce que, contrairement à beaucoup d'autres, le déploiement de force et l'endurance qu'exige celui-ci n'en altèrent point la beauté.




La région basque, on le sait, est très catholique. Elle compte de nombreux prêtres. Au cours de ces trois jours de fête, on les voyait déambuler en bandes par les rues, riant et s'entretenant familièrement avec les habitants. Les plus jeunes d'entre eux, après la grande séance où ils avaient acclamé le champion, ne résistèrent pas à la tentation d'en mettre un coup, eux aussi. Ainsi faisait le curé de "Ramuntcho". Soutane au vent, béret au front ou tête nue, bondissant comme des chèvres noires, ils ébauchèrent une partie de pelote à leur tour, et cela sans que personne autour d'eux s'avisât de sourire, de trouver l'exhibition choquante ou simplement déplacée. Il est vrai que c'étaient des enfants du pays !




saint etienne de baïgorry autrefois
PARTIE DE PELOTE AVEC UN CURE BAÏGORRY
PAYS BASQUE D'ANTAN

Tout est grave et mesuré, même la gaieté, dans ces libres espaces balayés de grand air et couronnés de hauts sommets. Il semble que le Basque voie plus loin que les plaisirs immédiats qu'il se donne. Ses fêtes sont des solennités qu'il célèbre pieusement, à l'antique. La fête annuelle de Baïgorry est, chaque fois, l'occasion d'une grande messe solennelle célébrée à la mémoire des morts, et l'église, ce jour-là, refuse du monde, comme le stade. Tous les hommes y assistent. Après la messe, c'est la traditionnelle visite au cimetière. Grave visite collective qui agenouille autour des tombes tous les recueillements et qui fait participer les morts à la fête. C'est peut-être la pensée des morts qui empêche les réjouissances des vivants d'incliner vers la grossièreté. 



Dira-t-on que les gens d'ici sont manœuvrés par leurs prêtres ? La question, je crois, est beaucoup plus haute. Les Basques, d'abord, sont loin d'être des sots ou des ignorants. Il suffit de s'entretenir quelques instants avec les plus humbles d'entre eux pour constater qu'ils ne manquent ni de culture, ni d'esprit critique, ni de jugement personnel. Ils n'ignorent pas ce qui se passe dans le monde autour d'eux et ils savent regarder au delà du proche horizon. Seulement ce sont des sages. Croyants par tradition et réalistes par instinct, ils s'en tiennent à l'idéal pratique que leur ont légué leurs ancêtres.



Ils sont Basques et ils sont Français. C'est ce qui fait qu'ils gardent leur bel équilibre et que les fantasmagories humanitaires qui troublent par ailleurs tant de cervelles ne les éblouissent pas. Leur scepticisme à cet égard est encore un acte de foi."



Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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