À SAINT-SÉBASTIEN EN 1900.
Au début du 20ème siècle, tous les étés, la famille royale espagnole prend ses quartiers à Saint-Sébastien (Donostia), en Guipuscoa.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Figaro, le 25 septembre 1900 :
"Figaro à Saint-Sébastien.
Le retour de la famille royale a rendu à Saint-Sébastien toute l'intensité de cette vie politique qui lui faisait défaut depuis près d'un mois et qui est ici une des attractions — et non la moindre — de la saison d'été.
Pauvre saison ! La voilà qui agonise doucement, après avoir brillé d'un assez vif éclat malgré la concurrence de l'Exposition de Paris et malgré le voyage de la Cour sur les côtes de Galice et des Asturies.
Cette excursion maritime n'a été qu'une longue série d'ovations dans tous les ports où la Giralda, aviso royal, a jeté l'ancre. A Bilbao, à Vigo, au Ferrol et à Santander notamment, l'accueil des populations a été enthousiaste. En dépit des recommandations de la Reine régente, des sommes considérables ont été dépensées en l'honneur des augustes voyageurs. Alphonse XIII, malgré l'état de la mer, n'a pas été un seul moment indisposé. Par sa bonne grâce, par les questions intelligentes qu'il a posées aux officiers et aux élèves de l'Ecole navale, au Ferrol, il a conquis dans le monde militaire une gentille popularité.
AVISO ROYAL ESPAGNOL LA GIRALDA |
On a remarqué son émotion quand M. Silvela, après avoir rappelé les anciens jours de gloire de la marine espagnole, a parlé, en termes éloquents, de la nécessité pour l'Espagne de posséder une flotte puissante.
Le Roi a eu le plaisir de retrouver à l'Ecole navale son jeune cousin, S. A. R. le duc de Montpensier, qui y est entré avec le numéro 1.
La Reine régente et la famille royale ont actuellement le bonheur de posséder S. A. I. l'archiduc Charles Etienne, grand-amiral de la marine autrichienne, qui est arrivé à Saint-Sébastien à bord de son yacht Waherens, dont l'équipage se compose de vingt-sept marins et de dix serviteurs. Ce yacht vient de la Rochelle, et avant de regagner Fiume, il se propose de visiter les principaux ports d'Espagne. Heureux de se dérober au cérémonial de la Cour, l'archiduc, en compagnie de sa sœur la Reine régente, du Roi et des infantes, fait en voiture de nombreuses excursions dans les environs de la ville, qui sont ravissants.
MARIE-CHRISTINE D'AUTRICHE REINE REGENTE D'ESPAGNE DU 25 NOVEMBRE 1885 AU 17 MAI 1902 |
PORTRAIT DE CHARLES-ETIENNE DE HABSBOURG-LORRAINE PAR POCHWALSKI |
Il est probable que Son Altesse Impériale restera dans la capitale du Guipuzcoa jusqu'à la fin du mois.
Jeudi, le personnel du palais de Miramar avait revêtu la tenue de gala pour la réception du général Vittorio Canera di Salasco, envoyé extraordinaire de S. M. le roi d'Italie, chargé de notifier à S. M. la Reine régente l'avènement au trône de S. M. Victor-Emmanuel III, et de remettre à Alphonse III le collier de l'Annonciade.
ENTREE DU PALAIS DE MIRAMAR SAINT-SEBASTIEN DONOSTIA GUIPUSCOA 1911 |
Accompagné de M. Gaetanno Zoppi, lieutenant-colonel du 1er régiment de bersagliers, le général a été conduit par l'introducteur des ambassadeurs dans le grand salon blanc du palais où se trouvait la Reine régente, entourée de M. le ministre d'Etat et de sa Cour. Après avoir rempli la première partie de sa mission, le général di Salasco a remis à Alphonse XIII le collier de l'Annonciade, que ses professeurs, MM. Loriga et Castejon, lui ont passé autour du cou. Ce collier est fait d'une chaîne formée de petits cordons et de quatre lettres — F, E. R. T. — qui sont les initiales de la devise d'Amédée IV : Fortitudo ejus Rhodum tenuit. Ces lettres sont encadrées de roses. Au collier est suspendue une image de la Sainte Vierge.
C'est Amédée IV, comte de Savoie, qui, en 1362, institua cet ordre du Collier, dont les statuts portent que, si un chevalier commet une faute contre l'honneur, obligation lui est faite de renvoyer ses insignes, au souverain grand maître et de se présenter devant les autres chevaliers, pour y être jugé. Cent florins étaient laissés par chaque chevalier, après son décès, à l'église de Pierre-Castel, en Bresse, où l'ordre avait été institué. C'est dans ce sanctuaire qu'étaient consacrés le collier, l'étendard et les armes des chevaliers défunts. Depuis la cession de la Bresse à la France, par le traité de 1601, les archives de l'ordre de l'Annonciade sont déposées à Turin.
Cette cérémonie s'est terminée par la remise, que la reine Marie-Christine a faite au général Canera di Salasco, de la grand'croix de Charles-Ill, et au lieutenant-colonel Zoppi de la cravate de commandeur du même ordre.
Après cet échange de politesses, un grand déjeuner a été servi en l'honneur de la mission italienne. Y avaient été également invités : l'archiduc Charles-Etienne, les ministres, d'Etat et de l'intérieur, les comtesses de Sastago et de Mirasol, la marquise de Castelar, le comte Collobiano, ambassadeur d'Italie ; le duc de Sotomayor, les généraux Pacheco et Echaguë, le comte de Pié de Concha, etc.
Contrairement aux usages, eu égard au deuil de la Cour d'Italie, la musique militaire ne se fit pas entendre pendant le repas.
On ignore encore le jour exact du retour de la famille royale à Madrid. Ce sera probablement vers le 10 octobre.
La période des vacances, qui, par suite des chaleurs, commence ici plus tôt qu'en France, est déjà close en Espagne. Aussi Saint-Sébastien s'est-il vidé en grande partie.
Les familles de l'aristocratie, qui ne veulent pas rentrer à Madrid avant la Cour, sont ou dans leurs châteaux, ou à Biarritz dont la saison d'automne est surtout renommée.
De ce fait, les distractions sont devenues rares. On annonce cependant un concert qui aura lieu demain au Casino, dans lequel Sarasate se fera entendre. Aimé et admiré pour son merveilleux talent par les musiciens de tous les pays, Sarasate, qui est Navarrais, est idolâtré par ses compatriotes. Il est aussi question d'une garden-party que donnerait la Reine régente le jour de la fête de la Vierge de las Mercédès, patronne de la princesse des Asturies.
VIOLONISTE PABLO DE SARASATE |
La dernière cérémonie publique à laquelle figurera la famille royale sera l'inauguration du fort de Guadalupe, qui domine la vieille cité de Fontarabie et dont les canons — je suis bien forcé de le dire — pourront battre le territoire français, d'Hendaye à Saint-Jean-de-Luz. Nos aimables voisins ont décidément de l'argent à gaspiller ! Le général Azcarraga, ministre de la guerre, viendra tout spécialement de Madrid pour cette inauguration.
Au moment où je vais fermer cette lettre, une triste nouvelle circule dans Saint-Sébastien, où elle cause une énorme émotion qui se répercutera dans toute l'Espagne. Dimanche, à dix heures du matin, le maréchal Martinez Campos est mort à Zarauz. Depuis plusieurs jours, on savait que l'état du maréchal était grave, mais on ne s'attendait pas à un dénouement aussi proche.
MARECHAL ARSENIO MARTINEZ CAMPOS |
Dans le courant de la semaine dernière, le docteur Moynac, célèbre chirurgien français appelé auprès du malade, avait déclaré une opération indispensable. L'aggravation du mal a empêché le transport du maréchal à Madrid, où cette opération devait être pratiquée.
Avant de perdre connaissance, l'illustre soldat s'est confessé à l'archevêque de Santiago, qui lui a aussi donné l'extrême-onction.
La Reine régente était à Pasajes, avec l'archiduc Charles-Etienne, quand elle a reçu la triste nouvelle.
Sa Majesté a été très impressionnée. Elle a envoyé aussitôt à Zarauz le général Pacheco porter à la famille Martinez Campos l'expression de ses regrets. Malgré la volonté du défunt, les troupes venues de Saint-Sébastien assisteront aux obsèques qui seront présidées par M. Silvela. Le corps sera provisoirement inhumé au cimetière de Zarauz, en attendant son transfert à Madrid, après deux ans seulement, comme l'exige la loi.
Zarauz, où est mort le maréchal, est une petite station de bains de mer située à 25 kilomètres de Saint-Sébastien et fréquentée par l'aristocratie madrilène. C'est à Zarauz que se trouvait la reine Isabelle quand éclata la révolution qui la détrôna. C'est à Zarauz que, pendant la dernière guerre carliste, Bismarck fit débarquer les marins des canonnières Nautilus et Albatros, pour protester contre l'exécution d'un journaliste allemand qui avait été pris et fusillé par les soldats de don Carlos, sur le champ de bataille d'Abarzuza."
TABLEAU BATAILLE D'ABARZUZA MONTEMURO 1874 PAR JOAQUIN AGRASOT Y JUAN PAYS BASQUE D'ANTAN |
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