L'AFFAIRE DES AVORTEMENTS DE BIARRITZ EN 1911.
Avant le 17 janvier 1975 et depuis 1810, l'avortement en France était criminalisé et défini selon les époques de délit ou de crime. Sous le régime de Vichy, en 1942, l'avortement était considéré comme un crime contre l'Etat français et passible de la peine de mort.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Petit Parisien, dans plusieurs éditions, en premier
lieu le 26 mai 1911 :
"Les avortements de Biarritz.
Le Dr Long-Savigny et ses "clientes' devant le jury des Basses-Pyrénées.
Pau, 25 mai.
Le scandale qui éclata, l'hiver dernier, à Biarritz et causa dans tout le pays basque une véritable stupeur aura bientôt son épilogue en justice.
C'est demain vendredi, en effet, que le docteur Long-Savigny et la longue série de jeunes femmes sur lesquelles il aurait pratiqué des manœuvres abortives comparaitront devant la cour d'assises des Basses-Pyrénées, présidée par M. Correch, conseiller à la cour de Pau.
Les accusés seront au nombre de douze un treizième, Mlle Jimenez Mercédès Rodriguez dite "Pepita Pilar", originaire de Madrid, n'a pu être retrouvée.
Voici leurs noms :
En premier lieu, le docteur Georges Long dit Savigny, cinquante-trois ans, médecin à Biarritz ;
Puis :
Pauline Abadie, veuve Dain, trente-trois ans, ménagère à Laluque (Landes) ;
Victorine Rouanet, quarante et un ans, ménagère à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) ;
Gabrielle Poyet, vingt-neuf ans, sans profession, à Biarritz ;
Marie Etcheverry, vingt-six ans, sans profession, à Bayonne ;
Auguste Meynard, trente-trois ans, crémier à Biarritz ;
Marie Hirigoyen, trente-cinq ans, cuisinière à Bayonne ;
Marie Fabre, dix-neuf ans, artiste, à Paris ;
Marthe Labegueyrie, trente et un ans, ménagère, à Biarritz ;
Marguerite Calou, vingt-deux ans, sans profession, à Biarritz ;
La veuve Lassibille, trente-sept ans, logeuse, à Biarritz ;
Enfin, M. Edouard-John Holloway, originaire de Baltimore, cinquante-trois ans, provisoirement à Biarritz.
PLAGE BIARRITZ 1911 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les dénonciations.
A la suite de quelles circonstances les crimes aujourd'hui reprochés à ce praticien furent-ils découverts ? C'est ce que nous allons exposer.
Pendant bien longtemps, le magistrat chargé de l'information se refusa à croire à la culpabilité du docteur Long-Savigny, dont la réputation à Biarritz était des plus solidement établies. Celui-ci était directeur du bureau d'hygiène et de salubrité, médecin de l'état-civil et de l'Assistance publique ; de plus, il avait été adjoint au maire et avait occupé d'autres fonctions.
Ce fut une lettre anonyme adressée au parquet de Bayonne dans les premiers jours du mois de janvier 1910 qui fit éclater le scandale.
Dans ce pli, dont la justice fut obligée de tenir compte, une ménagère de Biarritz, Marthe Farabus, épouse Labegueyrie, était dénoncée comme s'étant fait avorter, cela avec la complicité du docteur Long-Savigny.
L'accusation était grave. Une enquête fut faite avec une extrême réserve. Mandée au parquet, Marthe Labegueyrie fut interrogée. Tout d'abord, elle opposa des dénégations, puis elle se décida à avouer.
Atteinte d'une grossesse qu'elle voulait faire disparaître, elle était allée, déclara-t-elle, consulter le docteur Long-Savigny, qui lui avait été indiqué par plusieurs personnes. Le praticien ne fit aucune difficulté à l'opérer et réclama cinquante francs seulement pour prix de son intervention.
Et elle fournit des détails si précis, si complets, qu'il fut impossible de douter un seul instant de sa sincérité. D'ailleurs, un expert, le docteur Garat, désigné pour l'examiner, confirma ses déclarations après avoir constaté qu'elle portait les signes caractéristiques d'un avortement récent correspondant à une grossesse de trois mois.
En présence de ces faits, le juge d'instruction n'hésita pas à faire venir le docteur Long-Savigny à son cabinet. Le docteur protesta hautement de son innocence. Il reconnut avoir donné ses soins à la femme Labegueyrie, avoir reçu d'elle cinquante francs à titre d'honoraires mais c'était, affirma-t-il, pour toute autre cause que celle indiquée par sa cliente.
Malheureusement pour lui, une lettre bien compromettante avait été saisie au cours d'une perquisition chez Marthe Labegueyrie. Cet envoi, daté du 30 novembre c'est-à-dire antérieurement aux aveux de cette jeune femme, était adressé au docteur Long-Savigny, auquel elle demandait conseil sur l'attitude qu'elle devait prendre devant le magistrat enquêteur.
Cette lettre établissait nettement le lien de complicité entre le médecin et sa cliente. L'information qui se poursuivit sans relâche devait révéler bien d'autres faits à la charge du docteur. Celui-ci fut fréquemment appelé au Palais de justice, ce qui causa un gros émoi, pour y fournir des explications, des justifications. Celles qu'il donna parurent insuffisantes, faut-il croire, car, le 26 décembre dernier, il était définitivement inculpé et finalement mis sous mandat de dépôt.
EGLISE ST CHARLES BIARRITZ 1911 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Tristes faits.
Cette mesure n'avait pas été prise, cependant, on va le voir, sans de sérieux motifs. L'instruction établit, en effet, que le docteur se livrait, depuis bien des années déjà, aux coupables pratiques qui lui sont reprochées. Il était connu dans le demi-monde comme médecin avorteur et sa réputation s'était étendue jusqu'à la classe ouvrière.
Il est même inexplicable que la justice n'ait pas été mise plus tôt en mouvement.
Ainsi que nous le disons plus haut, une série d'autres faits furent révélés au parquet de Bayonne qui, le 1er janvier 1911, lançait à Saint-Sébastien deux mandats d'arrêt, l'un contre une demoiselle Marie Calou, âgée de vingt-deux ans, petite-fille d'un honorable commerçant, l'autre contre l'amant de cette dernière, un riche Américain, M. John Holloway, qui viendront s'asseoir aux côtés du docteur Long-Savigny, sur le banc des assises.
Marie Calou, enceinte de deux mois et désirant cacher son état, avait quitté le domicile de son grand-père pour venir se fixer d'abord dans la commune d'Anglet, puis à Biarritz, où son ami avait loué pour elle un logement sous le faux nom de Mme veuve Bernard.
La santé de Marie Calou avait été excellente jusqu'au 22 novembre, date à laquelle elle reçut, pour la première fois, la visite du docteur Long-Savigny mais, à partir de ce moment, et jusqu'à sa délivrance, qu'elle prit soin de dissimuler, vainement d'ailleurs, aux personnes qui l'approchèrent, elle éprouva les plus horribles souffrances criant la nuit au point que sa logeuse crut devoir lui donner congé.
Le 14 novembre, elle quittait précipitamment et mystérieusement Biarritz dans une automobile louée par son amant et gagnait Irun. C'est dans cette ville qu'elle résidait quand le scandale éclata. Mise au courant des événements, la jeune femme s'empressa de franchir la frontière et alla se fixer à Saint-Sébastien, où elle se croyait, bien à tort, à l'abri des poursuites. Elle fut en effet extradée et ramenée en France.
L'examen médical auquel elle fut soumise, après son incarcération, par les docteurs Vic et Garat, ne laisse aucun doute sur la nature des manœuvres exercées sur elle par le docteur Long-Savigny. Sa fuite précipitée, mystère dont sa courte maladie fut entourée, ses aveux à l'agent de police Jimenez, qui opéra son arrestation et l'offre qu'elle lui fit d'une somme de 5 000 francs pour la laisser fuir, suffisent amplement à démontrer sa culpabilité ainsi que la complicité de son amant, l'Américain Holloway et du docteur Long-Savigny qui, seul, lui donna des soins.
L'ancien adjoint se trouvait définitivement compromis. De nouvelles inculpations furent relevées contre lui.
En réalité, le docteur Long-Sarvigny pratiquait depuis de longues années l'avortement, ainsi qu'en témoigne cette rapide nomenclature.
En 1903, il exerce des manœuvres sur une demi-mondaine, Pauline Abadie, dite Lucie en septembre 1904, sur une femme Catherine Bayle, alors célibataire, aujourd'hui épouse Rouanet (celle-ci a fait des aveux complets), et reçoit 200 francs comme honoraires ; en 1905, au commencement de l'année, sur une jeune artiste d'origine espagnole, Mlle Jimenez Rodriguez, dite "Pepita Pilar", qu'on n'a pu retrouver ; également en 1905, sur Marie Etcheverry. Celle-ci, qui habite Bayonne, était venue, à cet effet, se fixer à Biarritz, villa des Tamaris. Elle fut délivrée, ce qui lui coûta 200 francs ; toujours à la même époque, sur une demoiselle Jane Rabouze, aujourd'hui épouse Poyet, qui, étant en état de grossesse et craignant d'être abandonnée par son amant, avait eu recours à ses soins ; en 1908, sur une dame Ménard, dont le mari tient une crémerie à Biarritz. Moins heureuse que les autres personnes que nous venons de nommer, celle-ci mourut à la suite de l'opération et du traitement que lui fit subir le docteur Long-Savigny. Le docteur Garat, qui eut mission d'instruire la justice sur ce cas particulier, affirme que le décès de la femme Meynard doit être attribué à l'avortement qui le précéda. Le mari de la morte, poursuivi pour complicité, a d'ailleurs reconnu avoir conduit sa femme chez le docteur Long-Savigny. Celle-ci lui aurait dit en sortant de chez le praticien où elle était demeurée assez longtemps "Je viens de faire passer ma grossesse."
En mars 1909, sur la femme Hirigoyen, alors domestique à Biarritz ; en mai 1909, sur Marie Fabre, alors âgée de dix-sept ans. Cette jeune fille fut très malade après l'opération et dut être transportée à l'hôpital ; sur la femme Labegueyrie en octobre 1910, crime qui amena la découverte de tous les autres. Enfin, en octobre 1910, sur Mile Marie Calou.
Ce procès sensationnel nécessitera de longues audiences, six au moins. Cinquante-six témoins ont été cités."
BAINS PORT-VIEUX BIARRITZ 1911 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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