L'ÉVÊQUE DE BAYONNE MGR JAUFFRET EN 1892.
François-Antoine Jauffret, né à La Ciotat, le 4 décembre 1833, fut nommé évêque de Bayonne le 30 décembre 1889 par le Pape Léon XIII.
Il fut sacré à la cathédrale d'Auch le dimanche 9 mars 1890 par Monseigneur Gouzot.
Dès qu'il arriva à Bayonne, il releva de ses fonctions le vicaire général l'abbé Inchauspé et
déplaça une dizaine de curés, sanctionnés par le Gouvernement, ce qui provoqua une fronde
dans le clergé basque.
Voici ce que rapporta au sujet de cet évêque le journal Le Matin, dans son édition du 26 janvier
1892 :
"NN. SS. de Bayonne...
Un clergé pas commode - Entre l'enclume et le marteau - Rendu à merci - Un protégé de M. Grévy - Correction politique d'un évêque - Mgr Jauffret.
François-Antoine Jauffret, évêque de Bayonne, touche à la soixantaine. C'est un homme encore jeune, mais un évêque très usé.
La République venait de remporter l'éclatante victoire d'octobre 1889. Le clergé du diocèse bayonnais s'était singulièrement compromis dans la lutte boulangiste. On avait dû supprimer une trentaine de traitements de desservants.
Les prêtres de là-bas se divisent en deux races, les Basques et les Gascons. Les Basques habitent la montagne ; ils portent volontiers le béret ; leurs mœurs sont d'Espagne plutôt que de France, ils portent des noms étranges, d'une saveur toute locale : Irigonegaray, Déharassary, Gorritéjsé, d'Eliceïry, Grosstephan, Eyhérabide, Dithurbide, Hirigoyen, Mendiboure, Etchegaray, Garacotche, Arrambide, Mircateguy, Belaxagar, Oyhamburu, Mendiondo, Etchécopar, Etcheverry, Guichandut, etc., etc. Victor Hugo eût fait une fanfare avec ces noms sonores comme des éclats de trompette, et un poème plein de bruit avec, ces chevaliers du rabat; fiers comme Hernani, sauvages et bronzés comme les Sarrazins de Roncevaux, dont ils gardent le val funèbre. Braves gens, d'ailleurs, mais pas commodes, et réfractaires a tout modernisme.
Les gascons, de la plaine, au contraire, sont subtils et bons vivants, mais, si l'on peut ainsi parler, des gouailleurs dont "la blague" ne tarit jamais.
Imaginez, au-dessus de ces deux races si dissemblables, un chef suprême, le cardinal Lavigerie, qui réunit l'audace sans scrupule d'un Sarrazin et la "blague" d'un Gascon,et derrière lui à Rome, un lieutenant tout gascon, très fin, très astucieux, au nez long et creux, toujours prêt aux aventures, aux entreprise périlleuses : nous avons nommé Mgr Puyol. On se figurera aisément combien le gouvernement de ce riche diocèse est compliqué.
CARDINAL LAVIGERIE BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'est un de ceux qui donnent le plus de tablature aux représentants de l'autorité civile. Quant aux évêques, leur situation est comparable à celle du fer que le marteau forge sur l'enclume.
Encore, Mgr Jauffret n'a-t-il aucune ressemblance avec ce dur métal. Il ne faut pas des coups bien violents pour le tortiller ou le briser.
On sait l'histoire de ses débuts, son entente avec le ministre pour le l'établissement des traitements supprimés après les élections de 1889. Les Basques avaient fait rage en faveur de Boulanger ; les suppressions avaient plu comme grêle sur leur tête. Le nouvel évêque avait essayé de tout arranger au moyen de quelques changements de résidence. On a gardé souvenir de l'appel à Rome, de l'intrigue conduite par le cardinal Lavigerie, seigneur de Cambo, qui aboutit à la disgrâce de Mgr Puyol et acheva d'ahurir le pauvre évêque de Bayonne.
A Marseille, le chanoine Jauffret avait laissé le souvenir d'une tête assez forte. Mais le Marseillais en face du Gascon, c'est le chien en face du chat. Dès le début, Monseigneur de Bayonne se trouva isolé, harcelé de coups de griffes; entouré de hurlements sauvages.
Le cardinal Lavigerie avait réservé ce siège à son secrétaire, Mgr Brincat. C'est un diocèse qu'il regarde comme sa propriété, comme une colonie de Carthage. Sur le refus du ministre des cultes d'accorder, d'emblée, un épiscopat français à un jeune secrétaire de cardinal, le farouche Africain mena contre Mgr Jauffret, regardé comme un intrus, une infernale campagne.
On répandit à profusion des brochures intitulées : Mgr Jauffret, préfet des Basses-Pyrénées. On l'accusa d'être l'humble serviteur du préfet républicain, de trahir l'Eglise, etc. Gascons et Basques se renvoyaient la balle.
L'évêque se trouva tout d'abord abandonné aux coups d'un ennemi intime, d'autant plus effrayant que l'évêque ne pouvait rien contre lui. M. Labourt, chanoine et curé de la cathédrale, inamovible, appuyé sur l'immense majorité du chapitre, a adopté une tactique propre à égarer des raisons plus solides que celle de Mgr Jauffret.
A peine installé, l'évêque entendit un premier prône en sa propre cathédrale ; son propre curé, installé dans la chaire, vis-à-vis du trône épiscopal, avait choisi pour sujet de son allocution du dimanche la flétrissure des pasteurs faibles ou perfides qui livrent aux pouvoirs séculiers les droits de l'Eglise.
Chaque dimanche ramène, presque à coup sûr, cette homélie, lamentable pour celui auquel on l'adresse, Tandis que le curé parle, l'auditoire regarde l'évêque, le chapitre multiplie les signes approbatifs. Les petits séminaristes, eux-mêmes, en leurs blancs surplis, chuchotent, ricanent, et leurs yeux baissés pétillent de malice.
Mgr Jauffret dut, plusieurs fois, au grand scandale des dévotes, répliquer assez vertement à ce curé qui en remontre à son évêque. Mais, le dimanche suivant, l'implacable prône revenait, plus acerbe, avec des allusions plus malignes et plus transparentes.
L'évêque de Bayonne alla demander à Rome assistance et conseil. Mais à Rome, on n'aime pas les affaires. On n'a su aucun gré à Mgr Jauffret d'avoir été la cause involontaire, presque la victime, de l'intrigue des curés basques.
C'est au retour de ces tristes pèlerinages qu'arriva le coup de théâtre de l'altercation avec le jésuite prédicateur.
Le journal local a prêté à l'évêque des propos inconvenants et qu'il n'a pu tenir. Le fait de la protestation publique est certain. Mgr Jauffret s'est défendu de trahir l'Eglise, et il s'est abrité derrière les doctrines du pape.
Depuis ce temps, Mgr Jauffret à renoncé à la lutte contre les Basques et les Gascons. Il s'est, rendu à merci ; il écrit tout ce qu'on veut. Il dépasse en intransigeance les plus farouches prosélytes de M. de Cassagnac. Il adhère à Gouthe-Soulard. Il adhère à n'importe quoi.
PAUL DE CASSAGNAC |
MONSEIGNEUR GOUTHE SOULARD |
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