L'ÉMIGRATION BASQUE EN 1914.
Des centaines de milliers de Basques, du Nord et du Sud, ont émigré, partout dans le monde, et en particulier de l'autre côté de l'Atlantique, pendant des décennies, depuis 1830 environ.
Je vous ai déjà parlé de l'émigration Basque dans quatre articles précédents, le 16/08/2018, le
28/09/2018, le 22/11/2018 et le 05/02/2019.
Voici aujourd'hui un cinquième article, publié le 15/02/1914, également dans la Gazette de
Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-De-Luz.
"Le passé et l'avenir de l'Emigration Basque.
L’émigration sud-américaine aboutit ainsi à un déchet, qui inquiète : le 5 du cent réussit dans le projet de retour avec la fortune ; 20 du cent s’établit dans une situation qui leur fait honneur, tout en ne leur permettant pas le retour. Au bout de dix ans, la moitié des émigrants ne donne plus signe de vie.
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Ce déchet est un terrible poids mort qui pèse lourdement sur ceux de nos nationaux qui font honneur à noire pays. Ils ont à aider ceux des leurs qui arrivent sans préparation à la dure existence qui les attend ; ils ont à soutenir ceux qui chancellent ; ils ont à entretenir des hôpitaux, des sociétés de moralisation et de relèvement pour ceux qui ont été brisés par la maladie, par les déchéances. Devant la grandeur de l’œuvre et peut-être aussi parce que les représentants des autres nations font de même, leur générosité et leur dévouement accomplissent des miracles de bienfaisance. L’ "Eskual-Etchia", l’Œuvre des Basques pour les Basques, est un modèle de ce genre.
Mais, par la voix des consuls, ces émigrés heureux font tous entendre le même cri d’alarme pour déclarer "que les personnes sans fortune, sans état manuel, sans une robuste santé et sans instruction, surtout au point de vue des langues, ont tout à perdre en s’expatriant". Les professions libérales ne gagnent pas leur vie ; toutes ces carrières sont encombrées.
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Voici un fuit de cette déchéance. Il est pris entre mille. Un comité s’était constitué pour donner aux rescapés de Courrières les moyens de gagner l’Amérique et d’y tenter la fortune. Ce Comité n’a pas eu à se louer de cette initiative. Les rescapés en arrivèrent, d’expériences en expériences, à vendre pour vivre les souvenirs qui leur avaient été offerts et même la croix des braves qui fut attachée à leur poitrine. Ils ont disparu dans le gouffre des misères américaines, gouffre plus affreux que celui des galeries où circule le grisou.
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Le leurre des concessions.
Mais il y a les concessions ! Les agents assurent qu’il suffit de demander pour obtenir une large parcelle des immensités de terres qui s'étendent dans les Pampas ou dans le Far-West. Actuellement, c’est surtout le Canada qui présente ce miroir... aux alouettes. Ceux qui s’y laissent prendre ne tardent par à revenir de leurs illusions. Nulle part, en Amérique, le décret de concession ne s’obtient de plein gré. Il s’achète. Si, après démarches nombreuses, après force recommandations puissantes, un tel décret est signé, gouverneur, sous-gouverneur ne donnent pas gratuitement leur volonté. Il y a là des trafics qui font scandale et que les journaux locaux ont le courage de dévoiler... quelque fois.
En règle générale, un décret de concession n’est signé que sur la justification d’un capital assurant l’exploitation. Le Canada se réserve de reprendre la concession au bout de trois ans, s’il juge que son exploitation est insuffisante.
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Voici un avis récent donné par un journal de Montréal :
"Jeunes Français sans fortune et sans métier qui ne comptez que sur vos belles manières et sur votre instruction pour parvenir à une situation même modeste, restez chez vous et gardez-vous de songer à émigrer au Canada. La plus brillante perspective qui vous est offerte, et encore est-elle bien précaire, c’est, après avoir mangé des troupeaux de vaches enragées, le moyen de travailler la pelle et la pioche dans les rues, de pelleter la neige après les grosses bordées, ou de laver la vaisselle dans les gargotes. Il n’est pas nécessaire de traverser l’Océan pour atteindre à ces positions sociales.
Les commis de magasins et les jeunes gens de famille, à de très rares exceptions près, ne rencontrent ici que déboires et désillusions. Ne sachant pas la langue anglaise, et souvent peu disposés à l’apprendre, ils se trouvent immédiatement repoussés lorsqu’ils se présentent dans un magasin. Dans le cas même où ils parlent l’anglais, on ne les engage que par suite de circonstances exceptionnelles, ou lorsqu’ils ont acquis dans des situations analogues des connaissances spéciales. Quand ces malheureux ont fait une série de demandes, ils se découragent jusqu’à ce qu’ils aient pu obtenir de la bienveillance d'un particulier ou de l’Etat leur rapatriement.
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Ainsi les concessions sont un trompe-l’œil. Les terres de valeur sont à acheter. Celles qu’on abandonne sont inexploitables par l’éloignement et le prix de la main-d’œuvre."
Un tel tableau, brossé sur place, se passe de commentaire.
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L’émigration des femmes.
Ce n’est guère que depuis dix années que les femmes sont entrées dans le courant émigrateur Mais il a pris rapidement une extension progressive qui, sur les deux versants pyrénéens, devient inquiétante. En Espagne, où le gouvernement considère l’émigration comme une calamité nationale, on a pris des mesures coercitives, auxquelles les femmes de la Navarre et de l’Aragon se dérobent en traversant la frontière pour s’embarquer à Bordeaux. En 1911, l’encombrement du port de Passages fut tel que les agents de navigation percevaient des primes, en dehors du prix de transport, pour permettre l'accès des bateaux. Dans une seule année, il y a eu plus de vingt mille départs de femmes.
La contagion a gagné les campagnes basques-françaises. Jusqu’à ce jour, les œuvres religieuses du diocèse de Bayonne ont été les seules à s’en émouvoir. Cette question est mise à l’étude dans les conférences et congrès catholiques. Il y a deux ans, M. Planté, maire d’Orthez, et le Père Lhande, y apportèrent des documents impressionnants. Le premier a étudié les ravages de l’émigration dans notre pays ; le second a dit ce qu’elle devenait en Amérique : 90 pour cent des jeunes filles expatriées n’ont d’autres moyens de vivre que la prostitution. L’apprentissage dans ce métier se fait sur le bateau même, qui, au second jour de la traversée, est devenu un bouge flottant.
Règle générale, la femme émigrée ne revient jamais. L’exception ne porte que sur celles qui se sont fiancées par correspondance.
Même les unions très intéressées que les jeunes Américains viennent contracter, dans un voyage aller et retour, au pays natal, réservent de fâcheuses surprises aux épousées françaises. Au port, le mari se trouve attendu par une première famille contractée avec une indigène, une créole, union qui va souvent jusqu’à la cérémonie religieuse, considérée là-bas comme suffisante. Cette première femme a des enfants à la main, dans les bras. Parfois même, c’est sa dot qui a permis à l’infidèle d’entreprendre le voyage en France. On devine dans quelles luttes l’épousée française doit retenir celui que la loi lui a donné pour compagnon légitime.
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Au pays natal.
Pour juger du préjudice que l'émigration porte au point de départ, il faut considérer avec une attention réelle les terres très riches qui sont loin d’avoir atteint leur mise en valeur. Les terres en friche gagnent même chaque année en étendue. La dépréciation sur les petites propriétés s’accentue. Les céréales sont délaissées, au profit de l’élevage, qui, grâce aux engrais chimiques entrés en usage, ont doublé l’importance des écuries. Un symptôme très alarmant : le déboisement s’accentue ; le châtaignier est devenu un arbre rare et le chêne, qui faisait l’honneur de ces campagnes, est atteint par le même mal.
Les apparences restent encore bonnes, par le fait des domaines d’Américains et surtout par le nombre de plus en plus grand des hôtes qui, dans les mêmes conditions de la Riviera, se fixent sous ce climat admirable. Autour de Biarritz, les routes s’enfoncent dans une campagne de féerie.
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