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mercredi 8 février 2023

LES ANIMAUX DOMESTIQUES AU PAYS BASQUE EN 1898 (première partie)

LES "HÔTES DE LA MAISON BASQUE" EN 1898.


Au début du 20ème siècle, les animaux domestiques occupent une grande place, dans le monde rural, et en particulier au Pays Basque.




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BOULANGERE ET SON ÂNE




Voici ce que rapporta à ce sujet la revue bimensuelle La Femme, le 1er avril 1898, sous la plume 

de Mme d'Abbadie d'Arrast :


"Les "hôtes de la Maison Basque".



Dans le village, il y a environ cinquante ans, tout le monde connaissait Catalina Urutchikia. Cette vieille femme était le type achevé de la vieille basquaise. Ridée, parcheminée comme une momie, un grand nez pointu, le nez des gens de sa race, elle était par surcroît affligée d'un son de voix aigre et d'une surdité complète. Le travail, les privations de toutes sortes l'avaient usée jusqu'à la corde. Cependant, sorte de juif-errant en jupon, elle courait les routes, sans paix ni trêve. Comment aurait-elle pu se reposer ? On ne connaissait pas dans le pays cette sorte d'institution qu'on appelle des asiles de vieillards. Pour vivre, pour manger, il fallait marcher. Les anciens se la rappellent encore. Son grand foulard, vieux et passé de couleur, noué sous le menton ; son parapluie antédiluvien attaché en bandoulière sur le dos, elle s'en allait accompagnée d'un petit âne gris et faisait les commissions pour les bourgeois du canton. L'âne était pelé, osseux, château branlant comme elle : ensemble, l'âne et la femme avaient signé, un pacte avec bonhomme Misère, Phétiri Sant, chez les Basques. Mais qu'ils étaient donc honnêtes tous les deux ! Sobres, durs à la fatigue, insensibles aux pluies, à la neige, aux orages, si simples d'esprit et si braves. Rien de compliqué ne leur allait : la maîtresse ne savait ni lire ni écrire, l'âne était trop affaibli par l'âge et les jeûnes pour se charger de lourds fardeaux.



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VIELLE FEMME ET SON ÂNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Pour tout bât, il portait son paquet de haillons, ce que l'on garde dans toutes les maisons basquaises sous le nom de loques de l'âne. Astuaren Phildac, et que l'on attache autour du corps par une grosse corde de laine. L'installation de ce bât était incommode pour les objets fragiles et les denrées qui craignent l'humidité. Le lundi, ils rapportaient du marché de Saint-Jean-Pied-de-Port, des volailles, et dans la saison, des plants de piments, des oignons, des plantons de choux. Rarement on les payait en argent, le plus souvent ils recevaient pour leur peine du pain, du maïs, du jambon, du vin.



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RETOUR DU MARCHE 
SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT



Catalina habitait sur le chemin qui monte dans la montagne, vers la frontière espagnole, une masure délabrée dont aujourd'hui il ne reste plus une pierre. Comme son âne et elle marchaient lentement, ils revenaient tard de leurs courses : il faisait nuit lorsqu'ils traversaient le village, quelquefois dix heures avaient déjà, sonné au clocher de l'église, la pluie tombait à torrents. Tout le monde était au lit. Elle criait après l'âne et lui trottait menu de ses sabots contre les pierres. On les entendait. Ou ne se dérangeait pas ; on se disait : "Voici la vieille Urutchikia qui revient bien tard du marché ; ils ne sont sans doute pas trop secs par ce chien de temps." Elle n'arrivait chez elle que très avant dans la nuit.



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ATTELAGE ET FERME 
PAYS BASQUE D'ANTAN



Une nombreuse société l'attendait et cette perspective de se retrouver enfin au milieu de son monde lui donnait du coeur et des jambes. L'obscurité, la pluie, le froid, la fatigue glissaient sur elle, car il lui tardait d'être au port, sachant qu'on guettait son retour, qu'on avait faim et soif, qu'on s'agitait, qu'on s'impatientait parce qu'elle n'était pas encore là. Se savoir indispensable à quelqu'un, à quelque chose, à des êtres aimants, que l'on aime, c'est le tout de la vie, pour elle c'était son étoile consolatrice dont les rayons la conduisaient lorsque ses pauvres yeux ne distinguaient plus les cailloux et les fossés. Aussi l'âne et elle hâtaient le pas autant qu'ils en étaient capables. 



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DE RETOUR DU MARCHE A BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Une unique pièce composait sa demeure. Elle n'éprouvait, aucune envie d'avoir une seconde chambre, tant l'intimité qui régnait entre elle et ses hôtes était cordiale. Et dès qu'elle avait ouvert la porte, quels joyeux concerts, quelles exclamations, quels bonds pour atteindre jusqu'à ses vieux, doigts raidis, transis par le froid, les couvrir de baisers chauds et réconfortants et de coups de langue ! Elle allumait un feu de branches sèches et une claire flambée illuminait la chambre ; elle s'asseyait auprès de l'âtre ; ses compagnons se serraient autour d'elle, lui grimpaient sur les genoux, sur les épaules, la mordillaient, poussaient de petits cris, se roulaient sur le bord de ses jupes ; l'âne, allongeait sa grosse tête au milieu du cercle, il cherchait sa part à la chaleur du foyer. Alors Catalina sortait de son sac de toile grise les vivres qu'elle avait recueillis en route. Ses chats, son roquet jaunâtre, sa chèvre, son petit porc, ses deux poules, toute la fidèle compagnie qui pendant la journée avait miaulé, pleuré, gémi sur son absence, prenait place au festin. Chaque bouche en recevait une portion, peu lorsqu'il y avait peu, davantage lorsqu'il y avait beaucoup, et elle-même qui servait les autres, ne se servait ni mieux que ses bêtes ni la première, elle faisait sa distribution avec un esprit d'équité admirable ! Tout en mangeant, elle jacassait très fort, elle parlait à ses chats, interrogeait son chien, disait des mots de caresses à ses poules, et interpellait son porc, racontant à tous ce qu'elle avait fait, les chances ou les malheurs qu'elle avait rencontrés ; prenant l'âne à témoin, rapportant à ses compagnons les nouvelles de la ville. Elle riait et chantait en même temps et ceux qui passaient, venant d'Espagne ou s'en retournant, contrebandiers, douaniers, muletiers et trafiquants, entendaient de gais propos et des éclats de voix. Ils pensaient : "Voilà de bons vivants, qui passent cette nuit en bombance." Ils jetaient sur la pauvre demeure un regard d'envie el se prenaient à faire cette réflexion banale qu'il n'y a pas de masure et de misère qui tiennent lorsque la belle humeur y est.



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DEUX FEMMES SE RENDANT AU MARCHE AVEC LEURS ÂNES
PAYS BASQUE D'ANTAN



De ce lointain souvenir il ne faut pas conclure que parmi les Basques on soit disposé à témoigner aux bêtes une affection peu commune. Catalina Urutchikia était au milieu des siens une exception. Si elle avait eu de la fortune, il y a gros à parier que ses héritiers eussent été choisis parmi ses chats et ses autres quadrupèdes. Son pauvre âne aurait bien mérité qu'on lui fit des rentes, mais ce bonheur n'a pas été pour lui, son alliance avec Phétiri Sant était à la vie et à la mort.



Le paysan basque se montre plutôt indifférent pour les animaux de sa ferme, il les abandonne à eux-mêmes, ce qui les rend sauvages et d'une indépendance excessive. Aussi est-ce à dessein et contrairement à l'usage général que nous ne les avons pas appelés "domestiques" ces fidèles et utiles serviteurs ; désirant nous occuper d'eux pendant quelques instants, nous avons intitulé notre étude : Les Hôtes de la Maison Basque. Il nous a semblé que le nom d'hôte était celui qui leur convenait le mieux à cause de la liberté qu'on leur laisse. Nous ne disons pas qu'ils soient des étrangers, des nouveaux venus ; cette question de leur origine regarde les érudits qui l'ont étudiée de près et savent d'où viennent les races du pays. Nous nous bornerons, sans être affirmative au delà de notre connaissance, à chercher quelques traits de moeurs et à noter les dissemblances avec les autres populations. C'est un intérêt un peu sentimental, quelque peu ethnographique, qui nous excusera, nous l'espérons, auprès de nos lecteurs, de venir leur parler d'un sujet un peu différent de celui dont nous nous sommes récemment occupée : La Femme et l'Enfant au pays Basque. Bravement nous dégringolons nombre d'échelons jusqu'au bas de l'échelle auprès de la gent emplumée, au milieu de nos frères et de nos soeurs à quatre pattes. Invoquons un grand patron don! personne n'a jamais songé à rire, saint François d'Assise, qui suivait du regard dans l'azur des deux une délicate hirondelle et qui appelait la gracieuse bestiole "sa soeur".



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FEMMES REVENANT DU MARCHE DE BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Chez les Basques, les animaux domestiques prennent leur revanche de la servitude étroite où ils vivent partout ailleurs. La servitude ôte l'initiative ; l'indépendance développe la sagacité et même chez les bêtes met de l'esprit jusqu'au bout des ongles. Ici, les bêtes savent se conduire seules et souvent ce sont elles qui conduisent leurs maîtres. Elles y apportent une entente, une supériorité qui vous saute aux yeux et vous émerveille.



Dans beaucoup d'habitations paysannes, le rez-de-chaussée appartient aux bestiaux, la porte de la maison reste ouverte tout le jour ; les Basques n'aiment pas les portes fermées ; ils sentent si peu le besoin de se clore que très souvent ils ont pour fenêtre un simple contrevent qu'ils ne peuvent fermer sans être plongés dans l'obscurité. Les bêtes entrent et sortent selon leur fantaisie et les affaires qu'elles ont en tête, personne ne s'inquiète de leur absence, de leurs allées et de leurs venues. Pour gagner le pied de l'escalier, pour pénétrer dans la cuisine, le paysan passe forcément par chez elles ; on patauge jusqu'à la cheville dans la litière. S'il pleut, cela devient un marécage et tous les jours on verse pieusement les eaux ménagères, les immondices de la maison sur ce fumier, soi-disant pour l'améliorer. Les émanations du rez-de-chaussée montent dans les chambres où l'on couche et cela devient une infection. Cette infection donne naissance à de fréquentes maladies. La maison que la fièvre typhoïde a envahie est sur la montagne, dans le plus beau des sites, abreuvée par un ruisseau limpide, mais elle porte le mal dans ses flancs. On conserve le foyer malsain, malgré les ravages répétés de l'épidémie, parce que l'on est insouciant, parce qu'on est trop pauvre pour bâtir une étable et une porcherie, et enfin, nous l'avons souvent entendu dire, parce qu'il ne faut, pas trop de propreté, cela nuirait. Le préjugé contre la propreté est enraciné ; pour écarter le danger des contagions, on introduit au milieu des autres bêtes un bouc puant dont l'odeur intolérable se répand non seulement dans la maison, mais au dehors. Voilà comment on applique, à notre époque, dans les campagnes reculées, les notions les plus élémentaires de l'hygiène. Les victimes de cette barbarie ne sont que trop nombreuses, surtout, parmi les jeunes mères et les nouveaux-nés.


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FERME A URRUGNE
DESSIN DE FLOUTIER


De tous les animaux domestiques le cheval et l'âne sont les plus indépendants. Nous n'avons pas grand chose à dire du cheval que le Basque n'aime pas et ne comprend pas, il le regarde comme un animal de peu de rapport et presque de luxe. Les charrois, les labourages, les travaux de toutes sortes sont faits par les attelages de vaches. Le cheval que l'on ne soigne pas, disgracié du sort, erre le long des routes à la recherche d'une pâture ; il rentre le soir, passant à travers le village, il hume l'air pour retrouver son étable, personne ne prend garde à son petit galop de retour. C'est lui qui évite, en passant, de renverser les petits enfants que l'on laisse jouer clans la rue.



Quant à l'âne, c'est un élève endurci de l'école buissonnière, qui ne songe même pas à rentrer le soir à la maison ; il est amateur du clair de lune, et profite des heures de la nuit pour franchir les haies par quelque défaut qu'il a su découvrir et souper dans un beau champ de blé. Le maître est complice de ses larcins ; lorsque le champ du voisin ou le pré sont pourvus d'une herbe appétissante, le maître ouvre lui-même la barrière. Malheureusement, on connaît la mauvaise habitude de Martin de braire pour manifester sa joie ; il se vend et trahit son maître qui le roue d'autant plus de coups de bâton que les suites de l'indiscrétion sont plus fâcheuses. Une existence de maraudeur a rendu notre âne têtu et rusé, il a tourné son esprit vers la malfaisance, personne ne l'aime et n'a pitié de lui. On ne lui accorde jamais, pour le réconforter, un modeste picotin ni une brassée de foin sec ; il faut qu'il se débrouille et c'est merveilleux de voir comme cet animal qu'on accuse de stupidité sait se tirer d'affaire. Du reste, la meilleure preuve que l'on compte sur sa lucidité, c'est que l'on a recours à ses services dans des circonstances difficiles. Une vache est-elle récalcitrante, ce qui ne manque pas d'arriver aux vaches comme à bien d'autres ; on l'attache par les cornes et on passe la corde au cou de l'âne. On confie à l'âne la conduite de la rebelle : il s'acquitte de sa mission d'un air entendu, moitié tirant sur la corde, moitié usant de persuasion. On le voit également sérieux, tout à sa besogne, servir d'entraîneur aux attelages de chevaux ou de vaches. On l'attelle sur le côté ou en arbalète, et il marche, traînant de tout son coeur et indiquant la voie. Eh bien ! malgré son incontestable utilité, malgré l'adresse qu'il déploie pour passer, grâce à son petit sabot montagnard, par les plus mauvais chemins, descendre et côtoyer les précipices, il reste le souffre-douleur. Le proverbe basque dit fort justement : "L'âne porte le vin et boit l'eau." On lui impose les corvées les plus variées ; il est dur à la fatigue, insensible aux intempéries, très robuste sous son poil bourru. Un vieux proverbe rend hommage à ses vertus : "Quand il lui plaira, celui qui a le bast et iasne en sa mangeoire, ira à la foire." Tout chétif qu'il paraisse, il porte de lourdes charges. Sur son échine prend place, sans vergogne, la maîtresse grande et forte, les paniers remplis de fruits et d'oeufs attachés sur les côtés du bât. On lui passe autour du cou un simple licol. Pour le conduire, la bride et le mors ne serviraient de rien ; quoi qu'on tente, il n'en fait qu'à sa tête. S'il lui prend fantaisie de suivre un chemin de traverse, ou de faire halte, il sait offrir une belle défense. Perrette n'a qu'à se bien tenir et à déployer son agilité ; qu'elle saute à terre et sauve ses paniers. Si elle entame la lutte, maître Aliboron aura la dernière riposte et notre dame et ses précieuses denrées rouleront de compagnie dans le fossé.




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FEMMES AVEC ÂNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



En Navarre, on a une belle race de grands ânes ; en pays basque français, l'espèce est misérable. Cet enfant dégénéré de l'Afrique, dont la valeur moyenne n'est guère que de 18 à 20 francs, est voué à une vie de dénuement et d'humbles travaux. Le pauvre méprisé a servi de tout temps aux coutumes infamantes. C'était sur son dos que l'on condamnait de malheureuses femmes à être promenées au milieu d'une foule de curieux et d'insulteurs, "le visage tourné vers la queue, suivant le supplice ordinaire". Cette dégradante promenade, si fréquente au moyen âge et que l'on prolongeait jusque dans l'intérieur de l'église, fut infligée encore à Paris, peu d'années avant la Révolution et peut-être pour la dernière fois, à la fameuse femme Gourdan, dite "la Comtesse", dont la boutique de curiosités et chinoiseries était rue des Deux-Portes-Saint-Sauveur. (Cabinet du duc d'Aumont, Aubry, Paris, 1860.)"



A suivre...



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