Libellés

mardi 28 février 2023

L'ENFANT AU PAYS BASQUE EN 1897 (troisième partie)


L'ENFANT AU PAYS BASQUE EN 1897.


A partir de 1895, Mme Virginie d'Abbadie d'Arrast (femme d'Antoine) écrit plusieurs articles sur le Pays Basque dans le journal bimensuel La Femme.




pays basque autrefois enfants labourd
SOCOA 
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet Mme d'Abbadie d'Arrast, dans le journal bimensuel La Femme

le 1er avril 1897 :



"L'enfant dans le Pays Basque.



... Dès que le marmot peut se tenir sur ses bouts de jambes, il s'aventure dehors, passe le seuil de la porte, se glisse sous les pieds du bétail, trotte menu sur la route ou va se rouler dans la prairie. C'est l'être le plus heureux du monde. On est bon pour lui, ses parents l'aiment et lui procurent les choses saines et salubres. Grâces au ciel, le biberon au cognac est inconnu et le lait n'est pas stérilisé ! Sa salle de jeu est installée au sein de la plus belle nature, il s'y meut librement, s'y développe à l'aise et s'instruit par la collection de jouets que la bonne Providence met tous les jours à sa disposition. Jouets animés : vaches et moutons de son père, poules et chiens de la ferme, et le meilleur des amis, le paisible, fraternel porc dans l'intimité duquel il passe à l'ombre les meilleures heures de la journée. Dans cette indépendance, il se développe à pas de géant. Il faut qu'il se tire d'affaire, il se sent un être responsable ; à quatre ans il a déjà pris l'allure déterminée d'un petit homme, il mène le bétail s'abreuver au ruisseau ; il faut voir de quel coeur il tape sur les vaches récalcitrantes à grands coups d'une gaule énorme dont le poids semblerait devoir l'entraîner ; il est hardi comme un page, il dirige l'attelage dans le sillon, l'aiguillon en main, pendant que son père tient la charrue ou la herse.


pays basque autrefois vaches labourd
GYMNASE OEUVRE SAINT PIERRE BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Sa résistance aux intempéries des saisons, à la fatigue, est inouïe. C'est un rude petit gaillard, le plus amusant du inonde. Nu-pieds et tête nue, vêtu de son pantalon et de sa veste de coutil gris, été comme hiver, vers huit ans, on l'envoie sur la montagne pour faire paître les chèvres et garder les brebis. La fillette n'est pas plus empruntée que notre brave moutard. Une jolie marmite à la main, on la voit qui s'en va, petits pieds nus sur les cailloux du chemin, puiser de l'eau à la source pour le ménage. Sa mère ne craint pas de l'expédier seule au village pour faire des commissions. D'ailleurs elle fait tous les matins une longue course pour aller à l'école et tous les soirs pour rentrer chez elle. C'est elle qui achète le pain, qui porte le lait aux pratiques.


pays basque autrefois enfance
ENFANTS
PAYS BASQUE D'ANTAN


Sur les routes, on voit des bambins qui mènent les ânes chargés de bois ; ils s'en vont vendre la provision de fagots. Cette activité forcée trempe les caractères et déroute la paresse native. Les enfants travaillent parce que cela est nécessaire, parce qu'il faut qu'ils aident aux travaux de la ferme et du ménage. Rien ne remplacera la réalité des obligations pour inculquer aux enfants l'habitude du travail.



Quel contraste entre cette vigoureuse existence et la façon dont on élève l'enfant des familles aisées ! Autour du petit bourgeois tout est factice : jouets et conditions d'existence. Sait-il si le feu brûle et si la pierre est dure ? On lui a évité les occasions d'expérimenter le danger et la douleur. Il se voit le centre d'un univers qu'on a créé pour lui ; il se croit un personnage, on l'adule, on le cajole ; il a pour obéir à ses caprices des esclaves qui le servent. Maladroit dès l'enfance, imprévoyant, inexpérimenté, ce sera un égoïste et un obstiné qui pleurera parce que sa mère ne peut lui décrocher la lune. Dans l'âge mûr que deviendrait-il si ce n'est qu'un vieil enfant ? Quelles vertus trouverait-il en soi-même pour surmonter les épreuves ? On ne l'a préparé à lutter ni contre lui-même, ni contre les difficultés de sa carrière terrestre. Quant à l'éducation que donne la rue aux enfants pauvres des grandes villes, inutile d'en rien dire. Oui, l'apostolat des champs très étendu, très généralisé, retremperait la France corps et âme. Ce serait une chose juste et sage.



Deux proverbes, que cite Oihenart dans son recueil des proverbes basques, recommandent aux parents de mettre un peu d'une rudesse toute spartiate dans la façon dont ils élèvent leurs enfants : "Un enfant élevé tendrement vient souvent à périr misérablement." "Un enfant nourri trop délicatement est fainéant, quand il est devenu grand."




pays basque autrefois livre littérature proverbes
LIVRE LES PROVERBES ET LES POESIES BASQUES
D'ARNAULD OIHENART 1657



Nous avons demandé à la jeune improvisatrice, Anna Etchegoyen, dont nous faisions la connaissance l'année passée, nos lecteurs se le rappellent peut-être, d'improviser pour notre petite Femme, sur les enfants du pays basque, quelques quatrains dans sa langue. Elle s'est exécutée de la meilleure grâce du monde, et, très aimable, elle nous a adressé une pièce de vers. En voici la traduction. Notre obligeant traducteur s'est appliqué à respecter la simplicité de la forme et la naïveté de la pensée du manuscrit original :


"Le Basque jeune est toujours gai. 

Avec un coeur doux, je vais chanter

De ma propre inspiration quelques strophes 

Autant que possible pour honorer mon cher pays.


Je voudrais parler à mes jeunes compatriotes 

Pour les engager à honorer nos pères et mères, 

Ils font leur possible pour nous rendre heureux,

Le Seigneur Dieu nous voit du haut du ciel.


Aimons nos pères et mères 

Et aidons-les, les pauvres (gaichona), dans tous leurs besoins, 

Nous n'aurons pas de regrets de les avoir aidés. 

Le Seigneur Dieu nous payera tous un jour.


Les autorités des villages considèrent avec un grand plaisir 

Que le pays basque n'a encore rien à craindre ; 

Que la jeunesse veut y rester ferme 

Dans l'intention d'aider ses parents.


Dans ce monde, il n'y a pas de plus grand plaisir

Qu'une belle santé avec la grâce de Dieu. 

Notre dernier moment arrivera sans nous en douter ; 

Nous devrons quitter notre cher pays basque à tout jamais.


Un fils de laboureur a une grande allégresse

Lorsqu'il conduit de beaux bestiaux sur la place.

Son occupation favorite est de les bien traiter,

Car il trouve encore là un motif pour honorer son pays basque.


Ayons un grand amour pour le pays basque, 

Pour que les braves gens ne nous oublient pas.

Pour ma part, je l'honorerai toujours ; 

Je ne quitterai pas mon pays tant que je vivrai.


Prenez courage, mes chers jeunes compatriotes, 

Sur vous descendront toutes les grâces du Seigneur Dieu.

Nous aiderons nos parents de tout notre pouvoir, 

Et le pays basque ne nous oubliera pas.


Je termine à présent ma composition de vers, 

Parce que j'ai déclaré tout ce que je voulais dire.

J'ai mis peut-être trop de hardiesse ; 

J'ai, néanmoins, messieurs et dames, l'espoir de votre pardon."



Il nous reste à remercier Mlle Anna Etchegoyen de la bonne grâce avec laquelle elle a répondu à notre appel et à exprimer un regret, c'est que nous soyons indigne de lire son improvisation dans le texte original. Nous y perdons beaucoup. Mais que ne perd-on pas à être ignorant !



Il y a une cinquantaine d'années, il n'existait presqu'aucune école primaire dans les villages basques. De vieilles femmes, qui savaient à peine lire, réunissaient dans une chambre les enfants d'un même quartier pour leur apprendre, moyennant quelques sous, les prières et le catéchisme ; si elles le pouvaient, elles leur montraient les lettres de l'alphabet. C'était à ce mince bagage que se réduisaient les connaissances de l'écolier.



S'il existait une école primaire, elle était mixte : filles et garçons s'y rendaient ; l'instituteur faisait asseoir les petites filles à part, sur un banc séparé. Des personnes très sérieuses m'ont affirmé qu'on n'avait jamais signalé d'inconvénients du mélange des garçons et des filles dans la même classe.


pays basque autrefois enseignement garçons filles
MAIRIE ET ECOLES URCUIT
PAYS BASQUE D'ANTAN


Du reste, les enfants étaient trop nécessaires à la maison pour que leur instruction se poursuivît longtemps ; on les retirait de l'école de très bonne heure pour les assujettir aux travaux de la ferme. Dès le début, on mettait une quenouille dans la main de la petite fille ; elle apprenait à filer l'étoupe, c'est à dire la partie grossière du lin ; elle filait dans les veillées du soir, à la lueur d'une petite chandelle de résine, l'unique lumignon qu'on se permît de brûler ; elle filait lorsqu'elle gardait les vaches et les moutons ; elle filait jusqu'à la vieillesse blanche : autant dire qu'elle naissait et mourait une quenouille à la main.



métiers femme pays basque autrefois béarn bigorre fil
FILEUSE
BEARN ET BIGORRE D'ANTAN



Filer n'était pas pénible : le seul inconvénient de la besogne était de nécessiter, pour lier les fils, une constante émission de salive. A la longue, cette salivation abondante fatiguait la poitrine. La lèvre inférieure de la fileuse bleuissait, enflait et s'affaissait graduellement vers le menton. Il y avait de vieilles fileuses, à la lèvre pendante, qui devenaient très laides. Est-ce la crainte de voir apparaître leur figure difforme qui épouvantait les petits lorsque la mère, à bout d'arguments, les menaçait, pour faire cesser leurs cris, d'une apparition effrayante : "Mamou, mamou ". Le "Mamou" est un être d'une vague existence, dont le rôle est actif dans l'éducation du petit Basque, puisqu'à toute occasion, les parents ont recours à son intervention. L'enfant veut-il saisir un charbon ardent, on lui crie : "Mamou." Cela suffit pour qu'il retire sa main avec terreur. Ramasse-t-il des pierres ou de la terre pour les mettre dans la bouche, "Mamou" le décide à l'instant à cracher tout ce qu'il allait avaler. Est-il méchant, désobéissant, le "Mamou" va venir.



Quelle est l'origine de cette curieuse évocation ? L'aimable érudit qu'est le Révérend M. Wentworlh Webster pense que le mot a une histoire. De ses recherches, il conclut qu'il y avait autrefois dans les temps préhistoriques quelque démon ou être surnaturel malfaisant, avec lequel on terrifiait les enfants ; que, dans les temps historiques, ce mot, ce nom a été confondu avec Maymoun, soi-disant dieu des Juifs ; avec Mahom ou Mahoum, idole supposée des Turcs, et enfin, dans le Nord, avec Marlborough — Malbrouk. Qu'ainsi, à cause de ces confusions, le mot a perdu toute signification propre et n'est à présent, et depuis longtemps, qu'une exclamation sans signification."



A suivre...



Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

Plus de 4 800 autres articles vous attendent dans mon blog :

https://paysbasqueavant.blogspot.com/


N'hésitez pas à vous abonner à mon blog, à la page Facebook et à la chaîne YouTube, c'est gratuit !!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire