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dimanche 5 février 2023

PIERRE LOTI "CHEZ LES BASQUES" EN 1897 (deuxième et dernière partie)

 

PIERRE LOTI CHEZ LES BASQUES EN 1897.


C'est en 1891 que Julien Viaud, plus connu sous le nom de Pierre Loti, découvre le Pays Basque, lorsqu'il est nommé pour commander le Javelot, canonnière stationnée à Hendaye.



hendaye autrefois pays basque écrivain ramuntcho
PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, le 21 mars 1897, sous la plume de Gaston 

Deschamps :



"La vie littéraire.

Pierre Loti chez les Basques.

Ramuntcho par Pierre Loti, de l’Académie française, ...gr. in-18, Paris, Calmann Lévy, 1897. 



... Pluie dans la montagne. Les nuages sont descendus si bas qu’ils enveloppent les pacages de mi-côte, s'appesantissent en traînées lourdes jusqu’au fond des combes et semblent amasser un poids de tristesse sur le toit des maisons, sur la tête des hommes, sur l’âme obscure des bêtes. La bourrasque d’automne s’annonce par une demi-obscurité qui brouille l’aspect des choses, et, par de brusques coups de vent qui font frissonner les arbres. La nature semble se recueillir, attendre. "Et les premières gouttes d'eau commencent à tomber, larges, espacées, lourdes, s’étalant, avec un bruit monotone sur la jonchée des feuilles mortes. Les courlis, messagers de tempêtes, fuient vers la haute mer. Le vent, plus fort, secoue les branches. L'eau, plus drue, ruisselle à travers les herbes couchées, les chemins ravinés et les roches dénudées. Les montagnes semblent emprisonnées, comme dans un réseau, par les raies innombrables, continues, de l’averse. Et, pendant des heures et des heures, la Biscaye est noyée, glacée par l’ondée refroidissante, avant que l'hiver vienne tuer les germes, arrêter les sèves, alanguir les cœurs..."



Effets de nuit...,C’est dans les montagnes que la nuit, nourricière de fantômes, évocatrice de rêves, source obscure des terreurs, a gardé le plus cette puissance des ténèbres, qui, dans les temps anciens, faisait chanceler de vertige et d’effroi l’âme religieuse de notre race. 



Aurores d’avril, si magnifiques et si douces, qu’on ne sait, en vérité, quelle puissance méchante a voulu, par le perpétuel rajeunissement du printemps merveilleux, rendre plus sensibles à notre cœur, plus inconcevables à notre esprit, plus implacables à notre chair les atteintes de la décrépitude, le mystère décevant de l’amour, l’aiguillon de la douleur et de la mort.



Loti, en Biscaye, s’effrayait de ces formidables antithèses, dont la hantise a poursuivi, dans les cinq parties du monde, son âme longuement songeuse et vite amusée. Il n’y a pas de coin de terre, si petit qu’il soit, où nous ne puissions apercevoir l’infinité de notre misère. Et partout aussi nous pouvons espérer de trouver un peu de ce réconfort précaire, que Pascal appelait le "divertissement". 



L’auteur de Mon frère Yves s’est "diverti" en regardant les Basques. Il aime ces montagnards chaussés d'espadrilles, parce qu’ils sont lestes et forts, résignés et braves. Attiré par l’inconnu, il se plaît à interroger l’énigme insoluble qui fait hésiter la science devant le problème de leurs origines. Je ne sais s'il comprend cette langue "euskarienne", qui a dérouté tant de philologues. Mais j’incline à croire qu’il sait l'irrintzina, le grand cri basque, signe de joie, de ralliement ou de détresse, appel des contrebandiers, si fort qu’il domine le tonnerre des gaves, si perçant que les pêcheurs l’entendent malgré le vent et les vagues, si terrible que les carabiniers d’Espagne et les douaniers de France pâlissent en l’écoutant. A l’appel de Loti, les Basques sont venus à travers la montagne. Tous, beaux garçons et belles filles, vieillards et enfants, mendiants, buveurs de cidre, bouviers sans sous ni maille ou notables villageois enrichis par des migrations vers l’Amérique du Sud, tous sont venus, d’un pas dégagé, le béret sur l’oreille, la jambe serrée par les lanières des souliers de corde. Et, dans le décor arrangé par le sortilège du magicien qui les assemble, ils se souviennent de leurs aïeux, ils font les gestes héréditaires. 



D’abord, la contrebande. C’est très amusant, surtout par les nuits d’hiver, par grand vent et pluie fouettante, lorsque les rudes gars descendent vers la Bidassoa et remontent péniblement, les pieds enfoncés dans la vase, à cause de la lourdeur des caisses et des ballots. Gare au bateau-ronde, qui promène chaque nuit les gabelous d’Espagne ! Il faut alors ruser comme des Peaux-Rouges, faire le guet, se tapir contre les barques de pêche, veiller, l’oreille tendue, sous le ruissellement de la pluie. Quelle joie, lorsqu’on peut arriver, avec la cargaison, à la petite auberge de Zitzarry. C’est alors qu’on pousse à pleins poumons le terrible cri : l’irrintzina



Ensuite, les parties de pelote, après vêpres, le dimanche. Ils sont là six beaux garçons, six pelotaris, en tenue de combat, le torse libre dans une chemise de cotonnade rose ou moulé par un maillot de fil — sauf les curés qui, dans ce pays sont aussi enragés que les autres, et veulent lancer la balle, malgré l’entrave de leur robe noire. Etchezar est le centre des bons joueurs, le "conservatoire de la pelote", célèbre en Espagne et jusqu’en Amérique. La "pelote" est une petite balle de corde, serrée et recouverte en peau de mouton, et dure comme une boule de bois. On la saisit, on la lance avec un gant d’osier, fabriqué en France par un vannier unique du village d’Ascain... Le pelotari vainqueur est acclamé en Biscaye, comme en Castille le toréador. Les filles, dont le joli chignon est noué d’un foulard de soie, sourient en le voyant venir.  



Le dimanche soir, au clair de lune, on danse le fandango sur des airs de valse ancienne. Le fandango tourne et oscille... Tous les bras, tendus et levés, s’agitent en l’air, montent ou descendent avec de jolis mouvements cadencés, suivant les oscillations du corps. C’est une danse silencieuse, car les espadrilles légères effleurent à peine le sol. Le froufrou des robes se mêle, comme un bruissement indistinct, au petit claquement sec des doigts, imitant un bruit de castagnette. "Avec une grâce espagnole, les filles, dont les manches s’éploient comme des ailes, dandinent leurs tailles serrées, au-dessus de leurs hanches vigoureuses et souples..." 



DANSE DU FANDANGO
PAYS BASQUE D'ANTAN



Et, pendant la semaine, la vie habituelle reprend, dure et vaillante. Par les chemins étroits, les charrettes aux roues de bois, sans rayons et sans jantes, passent, en grinçant, traînées par des bœufs qu’active la mélopée des anciennes chansons. 



Ainsi, par le caprice tout-puissant de Loti, la Biscaye ressuscite à peu près telle qu’elle pouvait être, au temps de cet Alain, sire d’Albret, dont M. Achille Luchaire a narré les aventures. On oublie qu’il y a maintenant, dans cette province, un chef-lieu d’arrondissement, des chefs-lieux de canton, des percepteurs, des maîtres d’école, des modistes, des politiciens et des agents électoraux. Le touriste profanateur a disparu. C’est une Biscaye nettoyée, purifiée, faite à souhait pour encadrer les amours sauvages et fières de Ramuntcho et de Gracieuse. 



Ramuntcho (autrement dit le petit Raymond) est le plus fin contrebandier d’Etchezar, le plus vigoureux pelotari des Pyrénées, le plus fin danseur de fandango, qui ait jamais tourné sur la place de l’église, durant les soirs d’été, tandis que la lune écornait son croissant aux cimes abruptes de la Gizune. Plus raffiné que la plupart de ses compagnons, il est Basque par sa mère Franchita (une grande femme sérieuse, pâle et droite sous ses vêtements noirs) ; mais son père est un étranger, qui est venu dans le pays jadis et qui est reparti vers les villes. 



Gracieuse est la sœur d’un garçon nommé Arrochkoa, lequel est camarade d’enfance, le rival au jeu de Ramuntcho. Qu’elle est jolie, cette Gracieuse, et qu’on aime à la regarder, soit qu’elle entre à l’église, embéguinée de noir, ses cheveux blonds serrés par l’étroite mantille des cérémonies, soit que la guitare et le tambourin basque, sonnant la seguidille espagnole, égayent d’un rire clair la fraîcheur de ses quinze ans, soit que, sous les platanes, après le fandango, en s’en allant parmi les herbes longues et les scabieuses, elle se retourne pour sourire à son ami et lui envoyer, de la main, un gentil adios !



Ramuntcho aime Gracieuse. Elle est pour lui une fiancée toujours présente, même lorsqu’elle est loin. Toutes ses bonnes pensées, il les lui dédie, comme à une image de la Vierge tutélaire et consolatrice. Toutes ces prouesses, tous ces exploits qui rendent jaloux les autres jeunes gens, il les lui offre en secret. Quand ils se promènent, au bras l’un de l’autre, ils parlent d’avenir, d’espérance, d’immortel amour. Ils songent au foyer entrevu, au bonheur espéré, à ce plus tard dont se berce et se leurre éternellement la fragilité de nos pensées... Et je ne résumerai point ces dialogues. Ils sont charmants. Je ne vois que Loti qui sache faire parler ainsi les lèvres vermeilles, les yeux adolescents et les âmes en fleur. 



Amours divines, que traverse et torture, comme toujours, la survenue des intérêts humains, et cette question de "convenance", qui est pour les familles, même en Biscaye, une sorte de raison d’Etat. 



Ramuntcho n’épousera pas Gracieuse. Cela serait trop beau, trop conforme à la loi sacrée. C’est pourquoi des gens s’y opposent. 



Il quitte le pays, pour son service militaire. Quant à elle, afin de la guérir de son mal, on l’enferme dans un couvent. Trois ans après, bruni par des campagnes au soleil, très loin, dans les colonies, il revient au village natal, et il apprend que sa fiancée s’est faite religieuse. Que ceux qui ont connu quelque part, dans l’univers, un coin béni et douloureux, qui fut plein du souvenir de l’adorée, et qui, par son absence, est devenu désert, que ceux-là relisent l’histoire de ce retour. Oh ! ici, toute l’ironie mauvaise dont nous sommes saturés ne peut duper notre esprit ni désabuser notre cœur. Cela est beau, d’une beauté primitive et cependant contemporaine de tous les âges, d’une beauté déchirante, comme tout ce qui touche le fond de nos joies rapides et de nos longues misères. 



Avant toutes choses, avant de savoir ce qu’il fera ou ne fera pas, le malheureux veut suivre, en un lent pèlerinage, tous les chemins où il marchait jadis avec elle, chemins fleuris, alors, chemins de paradis, et maintenant si âpres, malgré l’image enfuie, dont la grâce flotte encore sur leur solitude. 



Mais à sou âge, on ne souffre pas sans révolte. Avant de renoncer au bonheur, on veut le conquérir de haute lutte. Lisez, dans cet admirable poème (décidément impossible à résumer), lisez comment Ramuntcho essaya de lutter contre sa destinée et comment il fut vaincu... La scène de la rencontre, dans le couvent, est un des drames les plus magnifiques et les plus poignants que je connaisse. Et avec des moyens si simples ! Je vous préviens que cela finit très mal, comme la plupart des nobles romans et comme beaucoup d’histoires qui sont arrivées."



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