PIERRE LOTI CHEZ LES BASQUES EN 1897.
C'est en 1891 que Julien Viaud, plus connu sous le nom de Pierre Loti, découvre le Pays Basque, lorsqu'il est nommé pour commander le Javelot, canonnière stationnée à Hendaye.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, le 21 mars 1897, sous la plume de Gaston
Deschamps :
"La vie littéraire.
Pierre Loti chez les Basques.
Ramuntcho par Pierre Loti, de l’Académie française, ...gr. in-18, Paris, Calmann Lévy, 1897.
... Pluie dans la montagne. Les nuages sont descendus si bas qu’ils enveloppent les pacages de mi-côte, s'appesantissent en traînées lourdes jusqu’au fond des combes et semblent amasser un poids de tristesse sur le toit des maisons, sur la tête des hommes, sur l’âme obscure des bêtes. La bourrasque d’automne s’annonce par une demi-obscurité qui brouille l’aspect des choses, et, par de brusques coups de vent qui font frissonner les arbres. La nature semble se recueillir, attendre. "Et les premières gouttes d'eau commencent à tomber, larges, espacées, lourdes, s’étalant, avec un bruit monotone sur la jonchée des feuilles mortes. Les courlis, messagers de tempêtes, fuient vers la haute mer. Le vent, plus fort, secoue les branches. L'eau, plus drue, ruisselle à travers les herbes couchées, les chemins ravinés et les roches dénudées. Les montagnes semblent emprisonnées, comme dans un réseau, par les raies innombrables, continues, de l’averse. Et, pendant des heures et des heures, la Biscaye est noyée, glacée par l’ondée refroidissante, avant que l'hiver vienne tuer les germes, arrêter les sèves, alanguir les cœurs..."
Effets de nuit...,C’est dans les montagnes que la nuit, nourricière de fantômes, évocatrice de rêves, source obscure des terreurs, a gardé le plus cette puissance des ténèbres, qui, dans les temps anciens, faisait chanceler de vertige et d’effroi l’âme religieuse de notre race.
Aurores d’avril, si magnifiques et si douces, qu’on ne sait, en vérité, quelle puissance méchante a voulu, par le perpétuel rajeunissement du printemps merveilleux, rendre plus sensibles à notre cœur, plus inconcevables à notre esprit, plus implacables à notre chair les atteintes de la décrépitude, le mystère décevant de l’amour, l’aiguillon de la douleur et de la mort.
Loti, en Biscaye, s’effrayait de ces formidables antithèses, dont la hantise a poursuivi, dans les cinq parties du monde, son âme longuement songeuse et vite amusée. Il n’y a pas de coin de terre, si petit qu’il soit, où nous ne puissions apercevoir l’infinité de notre misère. Et partout aussi nous pouvons espérer de trouver un peu de ce réconfort précaire, que Pascal appelait le "divertissement".
L’auteur de Mon frère Yves s’est "diverti" en regardant les Basques. Il aime ces montagnards chaussés d'espadrilles, parce qu’ils sont lestes et forts, résignés et braves. Attiré par l’inconnu, il se plaît à interroger l’énigme insoluble qui fait hésiter la science devant le problème de leurs origines. Je ne sais s'il comprend cette langue "euskarienne", qui a dérouté tant de philologues. Mais j’incline à croire qu’il sait l'irrintzina, le grand cri basque, signe de joie, de ralliement ou de détresse, appel des contrebandiers, si fort qu’il domine le tonnerre des gaves, si perçant que les pêcheurs l’entendent malgré le vent et les vagues, si terrible que les carabiniers d’Espagne et les douaniers de France pâlissent en l’écoutant. A l’appel de Loti, les Basques sont venus à travers la montagne. Tous, beaux garçons et belles filles, vieillards et enfants, mendiants, buveurs de cidre, bouviers sans sous ni maille ou notables villageois enrichis par des migrations vers l’Amérique du Sud, tous sont venus, d’un pas dégagé, le béret sur l’oreille, la jambe serrée par les lanières des souliers de corde. Et, dans le décor arrangé par le sortilège du magicien qui les assemble, ils se souviennent de leurs aïeux, ils font les gestes héréditaires.
D’abord, la contrebande. C’est très amusant, surtout par les nuits d’hiver, par grand vent et pluie fouettante, lorsque les rudes gars descendent vers la Bidassoa et remontent péniblement, les pieds enfoncés dans la vase, à cause de la lourdeur des caisses et des ballots. Gare au bateau-ronde, qui promène chaque nuit les gabelous d’Espagne ! Il faut alors ruser comme des Peaux-Rouges, faire le guet, se tapir contre les barques de pêche, veiller, l’oreille tendue, sous le ruissellement de la pluie. Quelle joie, lorsqu’on peut arriver, avec la cargaison, à la petite auberge de Zitzarry. C’est alors qu’on pousse à pleins poumons le terrible cri : l’irrintzina !
Ensuite, les parties de pelote, après vêpres, le dimanche. Ils sont là six beaux garçons, six pelotaris, en tenue de combat, le torse libre dans une chemise de cotonnade rose ou moulé par un maillot de fil — sauf les curés qui, dans ce pays sont aussi enragés que les autres, et veulent lancer la balle, malgré l’entrave de leur robe noire. Etchezar est le centre des bons joueurs, le "conservatoire de la pelote", célèbre en Espagne et jusqu’en Amérique. La "pelote" est une petite balle de corde, serrée et recouverte en peau de mouton, et dure comme une boule de bois. On la saisit, on la lance avec un gant d’osier, fabriqué en France par un vannier unique du village d’Ascain... Le pelotari vainqueur est acclamé en Biscaye, comme en Castille le toréador. Les filles, dont le joli chignon est noué d’un foulard de soie, sourient en le voyant venir.
Le dimanche soir, au clair de lune, on danse le fandango sur des airs de valse ancienne. Le fandango tourne et oscille... Tous les bras, tendus et levés, s’agitent en l’air, montent ou descendent avec de jolis mouvements cadencés, suivant les oscillations du corps. C’est une danse silencieuse, car les espadrilles légères effleurent à peine le sol. Le froufrou des robes se mêle, comme un bruissement indistinct, au petit claquement sec des doigts, imitant un bruit de castagnette. "Avec une grâce espagnole, les filles, dont les manches s’éploient comme des ailes, dandinent leurs tailles serrées, au-dessus de leurs hanches vigoureuses et souples..."
DANSE DU FANDANGO PAYS BASQUE D'ANTAN |
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