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mardi 13 octobre 2020

AU "PAYS DE RAMUNTCHO" EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1900 (troisième partie)

AU PAYS DE "RAMUNTCHO" EN 1900.


"Ramuntcho" est un roman français de Pierre Loti. Publié pour la première fois en 1897, il a connu une vingtaine de rééditions françaises jusqu'en 1994. C'est un des ouvrages les plus connus de Pierre Loti, et un de ses principaux succès d'édition.


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ASCAIN 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, dans son édition du 23 septembre 1900, 

sous la plume de Gaston Deschamps :



"Au pays de Ramuntcho". 



...J’ai le culte des lieux prédestinés où a passé le souffle de l’esprit humain. Je crois volontiers qu’ils ont gardé, de ce contact fugitif, une noblesse permanente, une vertu d’édification et de réconfort. J’ai voulu revenir, une dernière fois, aux fenêtres d’où le regard d’un grand écrivain s’est emparé de ce paysage, désormais embaumé de poésie. J’ai revu les montagnes, l’église, le mur de pelote, le décor où s’aventurent les pâtres et les contrebandiers, l’oratoire où se maintiennent les rites héréditaires, la palestre des jeux libres et forts — toute la vie du peuple basque. 



En face de l’hôtel de la Rhune, au centre du bourg d’Ascain, je vois la maison de l’homme tout-puissant, du dominateur obéi, qui seul a le pouvoir d’apprivoiser l’âme, fière de cette race. Au-dessus de la porte, au bas d’une niche, teintée d’azur, où sourit l’effigie de la Vierge, je lis cette inscription mystérieuse : Erretor etchea


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PLACE ET PRESBYTERE ASCAIN
PAYS BASQUE D'ANTAN


— Qu’est-ce que cela veut dire ? 


— Cela veut dire : "Maison du curé". 



C’est le presbytère. 



Sur la Rhune, 19 septembre



En route. On sort d’Ascain par un chemin malaisé, qui monte, dans la lumière, vers les sommets. Il est deux heures de l’après-midi. Le ciel est d’une pureté ravissante. La beauté de la campagne est sans cesse rajeunie, renouvelée par cet été de Biscaye, qui se confond avec l’automne, et prolonge la joie des feuillages et la grâce des fleurs, jusqu’aux approches de l’hiver. 



Ailleurs, le vent glacé de l’équinoxe a déjà dépouillé les arbres. Je songe aux peupliers de Bretagne, qui frissonnent, penchés sur le bord des étangs. Je me rappelle près des falaises de Normandie, la tristesse des sentiers, jonchés de feuilles mortes... 



Ici, la douceur, du climat, le voisinage de la mer, le tiède vent du Sud, effluve bienfaisante du siroco d’Afrique, entretiennent une température égale qui encourage les germes à éclore et les rameaux à reverdir. 



Aux premières rampes de la Rhune, quand on a dépassé deux ou trois fermes dont les noms ont une étrange sonorité préhistorique, Ascoubea, Cheruenborda, Haranederrea, le chemin s’amincit, devient un sentier raboteux, se dévide en spirales, autour des flancs âpres de la montagne. Dans ce ruisseau de cailloux, les Basques, commodément chaussés d’alpargates, marchent, courent et sautent, avec une légèreté que nous interdisent nos vilains souliers de forme, citadine, durs aux pieds, mal adaptés aux accidents du sol. Mon guide, un jeune garçon d’Ascain, sautille de pierre en pierre, comme un moineau franc. Ses aïeux, je crois, ne lui ont laissé, en héritage, que la souplesse de ses jarrets nerveux. Cela suffit, pour le moment, à le rendre aussi gai qu’un pinson. 


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MANOIR ASCOUBEA ASCAIN
PAYS BASQUE D'ANTAN


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PENSION HARANEDERREA ASCAIN
PAYS BASQUE D'ANTAN



Il faut venir chez ces hardis paysans de Biscaye pour voir des attelages de bœufs monter et descendre le long des précipices. J’entends un carillon de sonnailles, un grincement de roues, le cri guttural d’un bouvier qui stimule ses bêtes, par un véhément discours, proféré en langue euskarienne. Et je vois dévaler, à travers les escarpements du sentier presque à pic, une paire de bœufs trapus, bas sur pattes râblés et têtus. Ces honnêtes animaux, obstinés à l’ouvrage, sont coiffés, chacun, d’une peau de mouton, dont la toison s’étale, entre les cornes, jusqu’aux yeux. Cet étrange capuchon, que je n’ai observé ailleurs nulle part, dépayse l’es prit, ouvre des perspectives vers les images pastorales des anciens âges, lorsque les troupeaux, autour de la hutte ancestrale, prodiguaient à la famille primitive le lait, la viande, les vêtements... La montagne est conservatrice du passé. Cette charrette à bœufs, longue, étroite, avec ses ridelles de bois, son essieu qui grince, ses roues pleines, sans rayons ni jantes, bousculée de cahots en cahots par les ressauts de la pente ravinée, est contemporaine des siècles lointains. Si Charlemagne avait su dessiner, lorsqu’il chevaucha, suivi de ses gens d’armes, à travers les rochers et les bruyères des Pyrénées, il nous aurait laissé des croquis dont notre expérience quotidienne nous ferait reconnaître aisément les modèles. Il a vu, lui aussi, ces charretées de fougères, que les métayers de Biscaye s’en vont faucher sur les hauteurs, en la saison de l’automne, afin d’avoir, pendant l’hiver, des litières pour les étables. 



L’homme se ressemble à lui-même, lorsqu’il reprend sa figure ancienne et qu’il n’est pas déformé, défiguré par les travestissements inévitables qui, sans doute, sont la marque fatale de l’évolution et la rançon du progrès. Ce bouvier en béret, dont l’aiguillon de frêne pique les bœufs domptés par le joug, je l’ai vu en d’autres contrées. C’était là-bas, très loin, du côté où le soleil se lève et d’où est venu, en longs exodes, le mouvement infatigable des migrations humaines. Là-bas, le faucheur d’herbes fraîches portait un turban de couleur claire et une large ceinture où brillait le manche damasquiné d’un couteau. Mais sa marche, en descendant du Latmus ou des montagnes de Lycie, était rythmée par la même cadence qui règle l’allure des montagnards de la Rhune. Sa carriole s’appelait araba. Mais c’étaient les mêmes ridelles de bois, les mêmes roues, sans rayons ni jantes, sautant cahin-caha sur des quartiers de schiste, ou de quartz. Et qui sait si le bouvier des routes d’Asie n’était pas un retardataire, un traînard, laissé en route, par ces tribus des Basques, des Ibères et des Cantabres dont la course ne s’arrêta que dans les vallons des Pyrénées, devant l’immensité de l’Océan?... 



Halte dans un petit bois de chênes, près d’une bergerie à demi-ruinée. Quelques moutons, clairsemés, se reposent. Debout sur leurs pattes grêles, à l’ombre des arbres, le nez entre les pieds de devant, ils sont immobiles, comme empaillés. C’est à l’heure où la chaleur du jour accable les bêtes, moins résistantes que l'homme, plus obéissantes aux forces immuables de la nature.



Une heure d’ascension, tantôt sur la pierraille des sentiers, tantôt dans la broussaille, parmi les floraisons roses des bruyères. Le gave d’Uhacca dégringole en cascades scintillantes, à travers le mont Ihicelhaya, qui est un contrefort de la Rhune. Un gros rocher, que connaissent bien les contrebandiers et les pâtres, marque la moitié du chemin. Cette borne indicatrice, plantée là par le hasard, est un bloc de cet agrégat que les géologues appellent d’un nom disgracieux, poudingue. C’est une agglomération de cailloux de mer, réunis et cimentés par un colmatage d’argile. Des cailloux de mer sur ce plateau ! Par quels flots ces galets ont-ils été polis, arrondis, lissés ? De quel millénaire date le déluge qui apporta jusqu’ici ces épaves marines ? L’intelligence humaine se perd dans l’obscurité des temps. Le vertige qui nous saisit devant la profondeur des ravins et des précipices n’est rien, si on le compare à l’épouvante de l’esprit, penché, sur l'abîme sans fond où flotte le fantôme des siècles morts. 


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CHALUPA HARRI LA RHUNE 
PAYS BASQUE D'ANTAN



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IZI CELAY LA RHUNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Nouvelle halte, près d’une fontaine. Saveur délicieuse de l’eau fraîche, après les fatigues de la montée haletante. Joie de voir les gouttes cristallines, distillées et perlées, à travers les cailloux et la mousse, en ruisselets de diamants liquides. D’ici, par delà les champs de fougères qui alternent avec les éboulements de roches, on découvre déjà une vaste étendue de terre et de mer, la campagne verte, les routes blanches, les rivières bleues... Une fontaine, à mi-côte, quelle aubaine ! On a envie de chanter, de danser, comme autrefois les éclaireurs de la caravane humaine, lorsqu’ils trouvaient, au bout d’une pénible étape, l'ombre et le frais d’une oasis. On comprend que la jeunesse de l’humanité, émerveillée par "la nouveauté fleurie du monde", ait entrevu, au penchant des montagnes, au déclin des vallées, toutes sortes de divinités charmantes, les nymphes des bois, les naïades des sources... 



Suis-je le jouet d’un mirage mythologique ? J’aperçois deux jeunes femmes, sveltes et agiles, qui, du haut de la Rhune, descendent vers l’en droit où je suis. Est-ce que ces voyageuses sont de simples mortelles ? Ou faut-il croire que le piédestal des Pyrénées sert encore de socle aux effigies divines ? 



Mon guide, ne voulant pas, apparemment, que je cède davantage à l’attrait de l’illusion, me dit, avec un vif accent de langue d’oc : 


— Ce sont des dames et des messieurs de Biarritz. Ils ont déjeuné, ce matin, à Ascain. Ils ont pris des chevaux et trois mulets. Un de ces chevaux est à mon père. 



Voilà des renseignements précis. J’entends, en effet, les sabots des chevaux et des mulets sonner contre les pierres. Les quatre montures, la selle vide, les étriers pendants, cheminent, en buttant quelquefois, en trébuchant et en renâclant sur la caillasse qui roule et sur les plaques de schiste qui glissent. Je ne vois pas les messieurs de Biarritz dont a parlé, mon guide. Mais je me console, en admirant, de tout mon cœur, les deux jeunes femmes qui, vaillamment, ont renoncé au bât dès bêtes de somme et parcourent la montagne à pied, comme les déesses d’antan."



A suivre...



(Source : Wikipedia)



 


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