LA DIVISION DE BAYONNE À CRAONNE.
La 36ème division d'infanterie est une division d'infanterie de l'armée de terre française qui a participé à la Première et à la Seconde Guerre mondiale.
MONUMENT AUX BASQUES A LA GLOIRE DE LA 36EME D.I. |
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 1er juin
1928 :
"La Division de Bayonne à Craonne.
Le 25 Janvier 1915 (Suite).
... Un combat de nuit présentait pour la 36e D. I. des avantages incontestables. La supériorité de l’armement ennemi pouvait moins s’y affirmer ; nos troupes connaissant bien le terrain sauraient l’utiliser mieux que les Allemands. Aussi les combattants avaient-ils demandé la continuation immédiate des contre-attaques ; qu’on mit entre leurs mains quelque renfort, et la situation eût été sinon tout à fait rétablie, du moins très améliorée. Mais la lenteur des transmissions et l’éloignement des postes de commandement fit perdre du temps précieux. Tandis qu’il y avait intérêt à harceler un ennemi harassé et désorienté, l’ordre arriva d’attendre. Attendre quoi ? Une préparation d’artillerie ? Depuis le 12 octobre on savait que ce n’était qu’un nom, une illusion de bombardement. Ces quelques heures de répit au début de la nuit furent utilisées par les Allemands à relever leurs troupes, à amener des mitrailleuses, à approvisionner la ligne en munitions, même à creuser des boyaux et à placer du barbelé.
Lorsque le 155 court de Moulins et quelques batteries du bois de Beaurieux et de Jumigny eurent lancé leurs inoffensives rafales les contre-attaques recommencèrent. Elles se multiplièrent, soit à gauche, dans le bois de Foulon et le plateau de Paissy, effectuées par le 18e et le 12e. Il est impossible d’en retracer l’histoire. Ce furent des bonds dans la nuit, dans la boue, dans la mort ; des folies d'abnégation, des démences de sacrifice, des écrasements fatals contre des murailles de feu. En effet, dès que des capotes se dressaient au-dessus du sol fangeux, les mitrailleuses fauchaient, les grenades pleuvaient, les hommes tombaient, se couchaient, rampaient, s’accrochaient et mouraient. A Hurtebise, cependant, l’ennemi fut fixé et perdit l’espoir de descendre dans la vallée. Au bois Foulon, grâce aux taillis on avança, on avança sans cesse jusqu’au matin ; le bois entier pouvait être entre nos mains avant le jour. Mais sur le plateau de Paissy nos contre-attaques étaient arrêtées net. Aussi, craignant de ne pouvoir tenir un saillant si prononcé, le commandement ramena notre ligne du bois à cent mètres en arrière.
02 HURTEBISE PREMIERE GUERRE MONDIALE 1914-1918 |
Le jour se leva lentement, tristement. La bataille allait-elle reprendre ? Farouchement, le fantassin l’attendait, les dents serrées, accroupi dans ses nouvelles tranchées, fossés étroits et boueux rasés à tout instant par les balles. Pendant deux jours, il continua ce guet angoissant, car le bombardement se poursuivait, violent, formidable, à peine contre-battu par nos 75 impuissants ; pendant deux jours il séjourna dans ces cloaques glacés, sans repos, sans abri, grelottant sous sa capote en mince drap bleu effiloché, ses chaussures crevées buvant la boue ; il avalait à la hâte un morceau de viande coriace, un peu de riz gelé qu’il arrosait d’un quart de thé sans sucre ; il ne dormait pas.
Le second jour des officiers du 101e parurent dans les boyaux. Etait-ce la relève, la relève bénie ? Oh ! quitter cet enfer glacial ! Non ! Les troupes amenées en arrière du front d’attaque étaient destinées uniquement à parer une nouvelle offensive.
Les dépôts de Mont-de-Marsan, Bayonne, Tarbes et Pau envoyèrent des renforts ; les vides furent comblés à la hâte et la "séance continua", dans son affreuse monotonie et sa misère inéluctable. Les rescapés de la tempête du 25 janvier recommencèrent dans le même cadre, dans la même boue, sous le même ciel bas, dans les mêmes dangers, les mêmes corvées, les mêmes veillées, la même existence torturée, le même Calvaire !
Mais, une fois de plus, la division de Bayonne avait barré la route à l'ennemi et conservé la position de Craonne. L’ennemi avait lancé contre elle une trombe de feu ; avec ses colonnes serrées de fantassins hérissées de grenades et de mitrailleuses, il avait assené un coup de massue formidable contre le mur de nos lignes ; celui-ci fut broyé sur un point, mais il tint bon. La brèche elle-même devint tout de suite impraticable, l’épée du Kaiser s’y brisa. En effet la victoire qui eut les honneurs du communiqué, ne lui avait donné que des pentes inutilisables, soumises au tir de plein fouet de nos canons et de nos mitrailleuses. Les soldats allemands qui, au matin du 26 janvier, se risquèrent à y circuler, durent en fuir aussitôt.
02 OULCHES-LA-VALLEE-FOULON PREMIERE GUERRE MONDIALE 1914-1918 |
L’ennemi prétendit avoir enfoncé le front de cinq régiments d’infanterie, il n’avait eu, cependant, en face de lui que trois bataillons ! Un journal suisse quelques semaines après, reproduisit la photographie d’un coin du champ de bataille ; il était jonché de plusieurs centaines de cadavres allemands.
De cette victoire incontestée, la 36e division ne songeait pas à se réjouir. Tristement, elle regroupait les débris de ses bataillons. Le communiqué allemand annonçait de nombreux prisonniers, mais il n’osa pas en fixer le chiffre ; l’héroïque soixantaine des assiégés de la Creute qui résistèrent jusqu’à deux heures du matin, une partie de la compagnie de Redan, quelques blessés, le service de santé d’un bataillon, et c’était tout. Par contre, les morts étaient nombreux, gisant sur les pentes de la Creute et de Hurtebise, alignés aux abords de la tranchée des Zouaves, couchés face contre terre dans les fourrés du bois, échelonnés en vagues parallèles sur le plateau de Paissy au milieu des feuilles de betteraves, hachées par les balles. Et des soldats mouraient encore, après la bataille, dans les caves de Vassognes et de Oulches, aux ambulances de Beaurieux et de Glennes. La liste funèbre était si longue qu’elle ne put jamais être achevée !
MONUMENT A HURTEBISE AISNE |
La liste glorieuse des nombreux héros de ces combats ne fut jamais demandée non plus. Des héros ? oui, de sublimes héros, jamais récompensés. Y a-t-il un seul survivant de cette journée qui ne puisse citer un exploit remarquable ? C’est un capitaine qui seul, dans un boyau, en barre l’accès, décharge son revolver sur les assaillants et lance l’arme vide à la tête du dernier avant de tomber transpercé de coups. C’est un soldat qui, sorti de la tranchée, à plat ventre "sur le billard", fracasse, une à une toutes les têtes d’Allemands qui émergent, approvisionnant avec calme son fusil, poursuit ce tir à la cible pendant une heure, jusqu’à ce qu’une grenade le cloue à côté de son dernier paquet de cartouches. C’est un sergent qui reçoit l’ordre d’attaquer une tranchée défendue par un réseau barbelé intact et qui, voyant hésiter ses hommes, se lance le premier vers un massacre qu’il sait inutile. C’est un caporal qui, le lieutenant et le sergent tués, prend le commandement de la section, galvanise ses camarades qui le suivent aveuglément, fait reculer des groupes ennemis par son impétuosité et, blessé, ne consent à se laisser panser qu’après le combat. Et ce chef de bataillon qui, les ordres donnés, va faire le coup de feu avec ses soldats et malgré une blessure continue à commander sa troupe ? Et ce sous-lieutenant qui, voyant un allemand viser le chef de bataillon, sort du boyau qui l’abritait, attire sur lui, par son sabre brandi inutilement le coup de feu du mauser et, par sa mort, sauve son chef. Ils sont trop... ils sont trop... pour continuer la liste.
Quelques rares citations individuelles, le 34e furent les seules récompenses une citation à l’ordre de l’armée pour de ces prodiges héroïques. Les seules ? non, car, en regardant du nouveau parapet ces quelques centaines de mètres si chèrement défendus, en voyant l’énorme crevasse de la Creute, au flanc du coteau comme un lugubre sépulcre, le poilu de "l’hiver rouge" de Craonne se sentit souvent le cœur serré ; à la pensée de ses amis disparus, sanglants dans la boue, ses yeux de guetteur se troublaient et, du revers de la manche, il essuya plus d’une larme. Si le jeune "classe 14" nouveau venu au front, s’étonnait, du doigt, sans mot dire, le briscard montrait à quelques mètres, roulés dans leurs capotes, à demi enlisés, les camarades qui dormaient entre les deux armées, au milieu des éclairs, des fumées, des grondements de l’orage qui ne cesserait pas de longtemps.
FERME LA CREUTE AISNE JANVIER 1915 |
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