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samedi 4 février 2023

JOURNAL D'UN OFFICIER ANGLAIS AU PAYS BASQUE EN 1813 ET 1814 (première partie)

JOURNAL D'UN OFFICIER ANGLAIS EN 1813 ET 1814.


Pendant les guerres napoléoniennes qui se sont passées au Pays Basque Nord et Sud, en 1813 et 1814, des écrits de soldats et officiers anglais qui y ont participé sont parvenus jusqu'à nos jours.




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BATAILLE DE VITORIA-GASTEIZ 21 JUIN 1813
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire La Revue Politique et Littéraire, le 13 août 1892, 

sous la plume de Jacques Normand :



"The Subaltern." 

Journal d’un officier anglais, 1813-1814. 



Les mémoires militaires sont plus que jamais à la mode, surtout ceux du commencement du siècle. Les Mémoires du baron de Marbot ont été un succès de librairie. Peu après, on a publié les Mémoires de Lassalle. Le moment nous semble opportun pour parler d’un ouvrage du même genre, de moindre importance, assurément, mais qui mérite d’être mis en lumière plus qu’il ne l’a été jusqu’ici.



Pendant un récent séjour à Biarritz, je fis, avec un ami, l’ascension de la Rhune, dernière montagne de la chaîne des Pyrénées, du côté du golfe de Gascogne. La course est rarement entreprise par les baigneurs mondains de Biarritz. Le mauvais état des sentiers, remplis de pierres roulantes, la rend quelque peu fatigante. Mais la vue dont on jouit du sommet est admirable.



Au Sud, la frontière montagneuse de l’Espagne, avec la Bidassoa et Fontarabie au premier plan ; à l’Est, le commencement des Pyrénées, dont les croupes s’étagent dans un lointain brumeux ; à l’Ouest, l’Océan aux côtes dentelées ; au Nord enfin, l’immense plaine de France, bien cultivée, toute semée de maisons blanches, Hendaye, Saint-Jean-de-Luz, et, à l’horizon, Bayonne et l’embouchure de l’Adour.



Nous regardions ce superbe panorama, tandis qu’au-dessus de nos têtes une famille de vautours, dérangée par notre présence, planait silencieusement. Et, l’heure avançant, nous nous préparions à descendre, quand notre guide,— un Basque parlant un français presque inintelligible, — nous fit remarquer, à quelques pas, une sorte de petit fortin en ruines.


— Construit pendant l’invasion de I814, baragouina-t-il avec une intonation mystérieuse.



Dans tout ce pays, l’entrée de l’armée alliée et le siège de Bayonne, — le blocus, comme ils disent, — a laissé les plus vivaces souvenirs. On cite quelques très vieilles gens, — notamment le garde du cimetière des Anglais, au plateau de Saint-Étienne, — qui ont assisté à ces luttes héroïques où le maréchal Soult, avec des troupes composées pour la plus grande part de recrues imberbes, sut tenir tête aux forces de Wellington.



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CIMETIERE DES ANGLAIS BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Quoi de plus passionnant pour le touriste que de vivre dans une contrée où des événements intéressant à ce point notre histoire nationale ont si puissamment marqué ? De la cime où nous étions, tous les détails du pays, toutes les positions stratégiques apparaissaient avec la netteté d’une carte d’état-major. La vue de ces quelques pierres sèches, autour desquelles on s’était battu, que le sang humain avait rougies peut-être, éveillait l’image des combats d'alors, où la valeur individuelle tenait une plus grande place, où l’héroïsme et l’exaltation de tous les sentiments de dévouement et d'oubli de soi pouvaient servir d’excuse aux horreurs absurdement désolantes de la guerre. L'imagination aidant, nous croyions apercevoir les voltigeurs français, frêles sous leurs grands shakos à plumets droits, se défendant rageusement contre les soldats anglais, grands, rouges et rigides, foulant d'un pas lourd la terre de France, la terre sacrée...



Revenu à Biarritz tout plein de ces idées, j’eus la bonne fortune de rencontrer un jeune poète de talent et d’avenir, M. Louis Labat. Bayonnais de naissance et de cœur, il comprit l’intérêt que je prenais à ces événements passés. C’est à son obligeance que je dois de connaître le petit volume de mémoires dont je voudrais dire quelques mots.



The Subaltern, tel est son titre. C’est le récit au jour le jour, par un officier subalterne de l’armée anglaise, du siège de Bayonne et des opérations qui l’ont précédé. Ce petit ouvrage, précédé d’une préface, est assez connu en Angleterre. Plusieurs éditions en ont paru. M. Charles Guiard en a donné une excellente traduction française sous ce titre : De Saint-Sébastien à Bayonne, journal de campagne d’un officier subalterne de l’armée de Wellington (1813-1814).


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BAYONNE EN 1814
PAYS BASQUE D'ANTAN

C’est déjà un intérêt à nos yeux, pour des mémoires militaires, d'avoir été écrits non par un Français, mais par un ennemi ; et (cela apparaît dès les premières pages) par un ennemi sans haine et d’une impartialité absolue. Au cours de la publication de ses Mémoires dans le Courrier de Bayonne, le Rév. R. Gleigh existait encore. Entré dans les ordres peu après avoir quitté l’armée, le vénérable vieillard venait, quelques années auparavant, de publier un ouvrage sur des questions religieuses. En 1813, tel du moins qu’il nous apparaît à travers ses Mémoires, c’est un tout jeune homme de dix-sept ans, de bonne famille, d’esprit moyen, mais délicat, sentimental comme on l'était alors, épris de pittoresque, passionné pour son métier, acceptant avec une égale bonne humeur les souffrances et les dangers d’une pénible campagne, rendant pleine justice au courage de ses adversaires qu’il appelle de "nobles ennemis", et capable, à l’occasion, d’une sensibilité généreuse dont son courage n’est pas amoindri.



... C'est par une belle matinée de mai 1813, nous apprend le jeune lieutenant, que le 85e régiment de ligne se rassemble sur le champ de parade de Hythe, prêt à partir pour Douvres, port d’embarquement. Et, dès ces premières pages, se place une anecdote touchante et jetant un jour curieux sur la possibilité qu'avaient à cette époque les femmes des militaires anglais de suivre l'armée, quand le sort leur était favorable.



Un jeune soldat écossais, Duncan, est récemment marié à une jeune femme qu’il adore. Séparée de son époux depuis longtemps, Mary parvient enfin, malgré son état de grossesse avancé, à le rejoindre, quand l’ordre de départ arrive :


Ce malheureux couple était à peine réuni, qu’il allait avoir à se séparer de nouveau. Le nom de la pauvre Mary se trouva parmi celui des femmes qui ne devaient pas suivre le régiment, et le langage ne saurait peindre la scène qui eut lieu. Je n’étais pas là quand les femmes tirèrent leurs billets ; mais M. Intyre me raconta que, quand elle déplia le sien et qu’elle lut les lettres fatales : "Pour rester", elle le regarda, les bras tendus, pendant quelques minutes sans parler ; ses joues, qui tour à tour se couvraient de rougeur et d’une pâleur mortelle, trahissaient seules la profondeur du coup qui la frappait. A la fin, accablée par le sentiment de son malheur, elle froissa le billet entre ses mains et tomba sans connaissance dans les bras d’une femme qui se trouvait à côté d’elle.



La pauvre Mary meurt quelques jours après. Le jeune lieutenant lui donne un souvenir ému. Mais, à l’en croire, et sans vouloir médire des dames anglaises, toutes n’étaient pas aussi sensibles que Mary. Un autre passage du volume le prouve de façon péremptoire. Il s’agit d’une attaque de nuit :


Nos feux étaient éteints ; la lune ne paraissait pas, et les étoiles étaient en grande partie cachées par les nuages ; mais nous formâmes nos rangs instinctivement et dans le plus profond silence. J’ai toujours été frappé dans ces occasions de la grande indifférence des femmes. Rarement un cri d’alarme leur échappait ; elles deviennent, probablement par l’habitude et l’exemple des autres, aussi indifférentes au danger que leurs maris. Je crois aussi qu’une des conséquences de la vie qu’elles mènent, quand elles ont suivi pendant quelque temps l’armée en campagne, est d’en faire une sorte de sexe neutre. Du moins je ne me rappelle pas un seul cas de chagrin réel parmi elles, même pour celles que le destin des combats avait rendues veuves. Soixante femmes seulement ayant la permission d’accompagner un bataillon, elles sont sûres d’avoir autant de maris qu’elles en veulent choisir, et peu d’entre elles restent longtemps veuves, tant cette classe de femmes est favorisée.



A cause des vents contraires, c’est seulement le 18 août, plus de deux mois après le départ, qu’on arrive en vue des côtes d’Espagne, devant Saint-Sébastien, dont l'auteur nous raconte la prise. Il n'y est pas acteur, mais seulement témoin, son régiment n’étant pas engagé. Les alliés repoussés avec pertes à leur premier assaut, quelque temps auparavant, renouvellent leur tentative. Les assiégés résistent avec opiniâtreté ; un moment de plus, et les assaillants vont être encore une fois repoussés, quand une bombe met le feu à une traînée de poudre communiquant avec une mine placée sous la brèche et à laquelle les Français avaient l’intention de mettre le feu dès que l’ennemi aurait pris pied sur le rempart. L’explosion a lieu ; trois cents grenadiers français, l’élite de la garnison, sont projetés en l'air :

L’effet fut tel sur ceux qui assistaient à cette scène que, pendant une demi-minute, pas un coup de feu ne fut tiré de côté ni d’autre. Les deux partis regardaient stupéfaits le ravage produit par l’explosion, et l’on aurait entendu le bruit d’un chuchotement à plusieurs mètres de distance.


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BATAILLE DE ST-SEBASTIEN 1813
PAYS BASQUE D'ANTAN

Cet entracte muet, imposé par l'effroi, n'est-il pas saisissant ?



Plus douce et plus reposante est la description que nous donne notre lieutenant de sa première nuit de bivouac, avec tout l’enthousiasme de ses dix-sept ans :


C’était la première nuit de ma vie que je passais au bivouac, et je me rappelle parfaitement l’impression qu’elle me fit. Le contraste était grand après mon long emprisonnement à bord d’un navire ; la saison était extraordinairement douce, il n’y avait pas un souffle dans l’air, et tout respirait la fraîcheur et l’agrément autour de moi. Être appelé à dormir sous la voûte du ciel, enveloppé dans mon manteau, avec mon sabre suspendu au-dessus de ma tête aux branches d’un arbre et mon chien couché à mes pieds, cela seul suffisait à me faire comprendre que ma vie militaire commençait véritablement. En regardant autour de moi, je voyais les armes en faisceaux, éclairées par la lumière de vingt feux qui jetaient une brillante clarté sur le feuillage qui nous abritait. Les hommes étaient enveloppés dans leur grande capote, étendus ou assis en groupes énergiques autour de ces feux ; j’entendais leur causerie joyeuse, leur rire insouciant et franc, et de temps à autre un lambeau de chanson fredonné par une ou deux voix : tout cela, je m’en souviens, était délicieusement surexcitant. J’appuyai ma tête contre un arbre et, mettant ma pipe à la bouche, je lançai des bouffées de fumée dans un état d’esprit qu’un monarque aurait pu envier et que je ne retrouvai jamais depuis.



Saint-Sébastien pris, incendié et pillé, car la malheureuse ville connut toutes les horreurs de la guerre, les alliés accentuent leur marche en avant. C’est pendant ce mouvement que le jeune officier aperçoit pour la première fois Wellington. L'épisode est joliment raconté, et le portrait du célèbre général d’une exactitude qui s’impose :

Cette marche pénible durait depuis cinq heures lorsque, en arrivant sur le sommet d’une hauteur, nous fûmes rejoints par quatre officiers à cheval, dont l’un tenait la tête du groupe, les autres le suivant sur une même ligne. Celui qui était en avant, maigre, bien fait, de moyenne stature, avait à peine passé le printemps de la vie. Il était vêtu d’un habit gris uni, boutonné jusqu’au menton ; il portait un chapeau à claque recouvert de toile cirée, des pantalons gris avec des bottes bouclées sur le côté et un léger sabre de cavalerie. Quoique je ne le connusse pas, il y avait une clarté dans son œil qui indiquait quelque chose de plus qu’un aide de camp ou un général de brigade. Je ne restai pas longtemps dans le doute ; nous avions dans nos rangs beaucoup de vétérans qui avaient servi dans la Péninsule pendant la première campagne; ils reconnurent aussitôt leur ancien général et se mirent à crier : "Duro ! Duro !" titre familier donné par les soldats au duc de Wellington ; ce cri fut suivi d’acclamations répétées auxquelles il répondit en ôtant son chapeau et en s’inclinant. Après avoir loué l’aspect et la tenue de la colonne et causé un moment avec le commandant, il donna l’ordre de nous faire arrêter là et continua sa route.


Je voyais alors le grand capitaine pour la première fois, et je le regardai avec cette admiration et ce respect qu’un soldat de dix-sept ans, passionné pour sa profession, devait ressentir pour l’homme qui en était à ses yeux la plus belle gloire. Rien en lui ne semblait indiquer une vie dépensée dans les fatigues et les travaux pénibles, et ses traits ne portaient pas l’empreinte du souci ni de l’anxiété. Ses joues, au contraire, quoique brunies par le soleil, brillaient des teintes rosées de la santé, et le sourire de satisfaction qui s’épanouissait autour de sa bouche disait plus clairement que des paroles combien il se sentait parfaitement à l’aise. En le regardant, je fus convaincu qu’une armée commandée par lui ne pouvait être battue.



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DUC DE WELLINGTON
PAR FRANCISCO GOYA

Notre auteur nous apprend plus loin que "Duro" ne se contentait pas d’être le tacticien que chacun sait, mais qu’encore, en véritable Anglais, il se livrait avec ardeur au sport favori de son pays. Cette guerre, — plus lente, sinon moins meurtrière que nos guerres d'aujourd'hui, et que la prudence réfléchie de Wellington rendait plus lente encore, — laissait de nombreux loisirs aux troupes alliées et permettait aux officiers de prendre des distractions et des plaisirs qui eussent été incompatibles avec les exigences d’une campagne rapide. C’est ainsi que Wellington avait fait venir ses lévriers d’Angleterre et chassait régulièrement deux fois par semaine, "comme un habitant du Leicestershire". Si les chevaux n’étaient pas des meilleurs, les chasseurs ne manquaient pas :


On aurait trouvé difficilement un terrain plus fertile en incidents burlesques, et personne ne s’amusait plus joyeusement que le vaillant marquis. Quand les chiens étaient lâchés, ce n’était plus le général en chef de trois armées et le représentant de trois souverains ; c’était un gentilhomme campagnard sans souci, qui galopait de tous côtés et riait plus haut que les autres lorsqu’il tombait ou qu’il assistait à la chute de ses compagnons.



Si le général en chef était le seul qui eût une meute et chassât à courre, les officiers ordinaires occupaient leurs loisirs par la chasse à tir et la pêche. Notre lieutenant contribuait, pour sa part, à varier le menu un peu monotone de la table des officiers en y apportant lièvres, perdreaux et bécasses. Les truites de la Bidassoa et de la Nive étaient aussi fort appréciées par les palais britanniques. Au reste, ainsi que dans tous les récits de campagne sincères, où elle tient, et à juste titre, une très grande place, la préoccupation du boire et du manger, de la "popote" comme on dit aujourd'hui, ne laisse pas que d’être très vive dans l’esprit du narrateur. Le "grog" et le "bref" sont des mots qui reviennent souvent sous sa plume, et voici quelques lignes où l’on sent l’expression d’un bien-être physique et presque animal, très justifié d'ailleurs à la suite d'une journées de fatigue et de dangers :


A peine eûmes-nous échangé nos vêtements mouillés et boueux contre d’autres plus secs, qu’un énorme morceau de roastbeef fumant fut apporté sur la table. Nos fidèles domestiques avaient fait en outre d’amples provisions de vin; une ou deux bouteilles de champagne avec du bordeaux de bonne qualité et une petite bière française claire, légère et d’un arôme agréable, firent admirablement descendre les parties solides du repas. Pour compléter la fête, quelques amis étant entrés quand la nappe fut levée, nous allumâmes nos cigares, et l’atmosphère de l’appartement se trouva bientôt imprégnée de la délicieuse fumée du tabac, que nous envoyions par bouffées au plafond; le silence n’était troublé que par quelques soupirs de satisfaction et par le bruit des verres que nous portions à nos lèvres.

A la fin, cependant, la fatigue de la journée l’emporta : nous avions été sous les armes depuis quatre heures du matin jusqu’à neuf heures du soir, sans manger et sans pouvoir délasser un moment nos corps et nos esprits, et, comme les animaux qui ont jeûné longtemps, nous nous étions ensuite gorgés. La sensation agréable du repas dégénéra peu à peu en langueur et le sommeil nous mit ses doigts de plomb sur les paupières. Je ne crois pas qu’une demi-douzaine de phrases, d’une longueur ordinaire, avaient été placées, quand, vers onze heures, nous bûmes notre dernier verre de vin, et que, nos hôtes s’étant retirés, nous nous jetâmes sur nos paillasses."



A suivre...





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