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lundi 15 février 2021

LA CONFÉRENCE DE BIARRITZ EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN JUIN 1881 (deuxième et dernière partie)

 

LA CONFÉRENCE DE BIARRITZ EN 1881.


En juin 1881, se tient à la villa De Wecker, à Biarritz, pendant 4 jours, un congrès des Républicains espagnols.



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VILLA DE WECKER BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, le 18 juin 1881 :



"Lettres d'Espagne. 



Lundi. 13 juin



Je n’avais pas encore expédié ma lettre, quand je fus mené par un de nos confrères madrilènes à la Villa Wecker. M. Ruiz Zorrilla nous accueillit avec beaucoup de courtoisie, et, sans effleurer le sujet de la conférence de Biarritz, il parla des "cosas de España" avec un accent de sincérité et une énergie qui me semblent révéler un homme d’action, jugeant les choses et les- hommes de son pays avec un rare bon sens et une modération assez grande quand on se rappelle qu’il est en exil , depuis près de sept ans. M. Ruiz Zorrilla a près de 50 ans. Son visage est empreint d'une énergie peu commune. Sa parole est brève, concise, franche et il a une rondeur d'expression très commune chez les habitants de la Vieille-Castille. Il n'est sévère dans ses jugements sur les événements de son pays, et il ne s'exprime pas avec l’optimisme qui d'ordinaire caractérise les exilés. Bien au contraire, je fus surpris de l'entendre constater que M. Sagasta et son ministère appliquaient avec sincérité les principes du libéralisme. M. Zorrilla croit du reste que ces principes sont incompatibles avec le fond même des institutions actuelles. M. Zorrilla ne cache pas qu'il est absolument sceptique à l’endroit du triomphe, futur de la démocratie péninsulaire, si elle se résigne aux lentes évolutions que M. Castelar préfère. Il envisage avec sang-froid les éventualités que le triomphe de la démocratie pourrait amener en Espagne. Par exemple, il n’hésite pas le moins du monde à avouer qu’il ne serait pas impossible que la démocratie provoquât en Espagne une résurrection du carlisme qui, selon lui, n’est qu’assoupi dans les campagnes, et qui ralliera "toujours et à jamais" les éléments de- réaction réfractaires au progrès et à la Révolution. Mais il admet en même temps que l'Espagne libérale, ses gouvernements et ses généraux vaincront le carlisme "quand ils le voudront, comme la Révolution française vainquit la Vendée, c’est-à-dire le-jour où la volonté de vaincre coûte que coûte existera chez les gouvernements et les généraux du libéralisme espagnol". 


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MANUEL RUIZ ZORRILLA


Biarritz, 14 juin



La conférence démocratique s’est terminée hier soir à une heure fort avancée. Les hommes d’Etat du nouveau parti républicain espagnol étaient résolus à mettre un terme à leurs délibérations, parce que plusieurs d’entre eux avaient absolument besoin de rentrer à Madrid. Au reste, ils étaient tombés d’accord sur une formule de conciliation qui, tout en confirmant le manifeste du 1er avril 1880, donnait à leurs amis la plus large liberté d’action, quant aux alliances à conclure en vue des prochaines élections. 



Quand on sut dans l’entourage des hommes d’Etat réunis à la villa Becker que les décisions prises ne tarderaient pas à être connues, tout le monde resta sur pied à peu près toute la nuit. Il y eut même, parmi nos infatigables confrères madrilènes, des intrépides qui tentèrent de persuader à vos bureaux télégraphiques qu’un service de nuit ne serait peut-être pas chose trop inutile dans une ville aussi importante que Bayonne. Il y en eut d’autres qui franchirent la Bidassoa aux premières heures de l’aube pour porter à Irun leur texte de la formule démocratique. Je dois constater que les amis de MM. Ruiz Zorrilla et Martos laissaient percer une certaine surprise en avouant qu’ils s’attendaient à plus que cette formule de conciliation.


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CRISTINO MARTOS Y BALBI


Vers dix heures et demie, tous les membres de la conférence se réunirent dans la superbe salle à manger de l’hôtel d’Angleterre à Biarritz, pour déjeuner avec M. Ruiz Zorrilla. Il présidait en quelque sorte cette dernière réunion, où l’on ne prononça pas un mot de politique. Il avait près de lui M. Laureano de Figuerola, ce ministre des finances de la révolution, qui fit faire à son pays les premiers pas dans la voie du libre échange par des réformes de tarifs qui ont triplé en dix ans les chiffres de son commerce extérieur. Un peu plus loin était M. Martos, ancien ministre d’Etat, ancien président des Cortès et du conseil des ministres, et aujourd’hui un des plus redoutables orateurs de l’opposition antidynastique aux Cortès où il représente Valence. Auprès de M. Martos était M. Sainz de Rueda et M. Chao, anciens ministres de l’époque révolutionnaire. En face on voyait M. Nicolas Salmeron, ancien président de la République, qui quitta le pouvoir plutôt que de mentir à ses convictions très arrêtées contre la peine de mort. Tout près de M. Salmeron était M. Azcarate, professeur très brillant de l’Université et de l’Institut, orateur fort applaudi à l’Athénée et aux meetings abolitionistes de la capitale. M. Fernando Gonzalez est un ancien champion des idées démocratiques en Espagne. M. Montforte, très connu dans l’ancien parti progressiste, complétait le cadre des membres de la conférence. M. Montero-Rios, ancien ministre des gouvernements de la révolution avait du partir lundi pour Madrid où il avait à plaider une affaire devant la cour d’appel. 


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LAUREANO FIGUEROLA BALLESTER


Etant donné de pareils chefs, on pouvait croire qu’il leur serait très facile de définir leur programme et leur attitude ; mais il n’en a point été ainsi. Ceux d’entre eux que les nécessités de la politique ou les devoirs professionnels appellent à rentrer eu Espagne gardent une réserve très naturelle, car ils ne peuvent se servir qu’avec une excessive prudence de mots d’ordre parfaitement reçus en France par exemple. C'est pourquoi il faut chercher surtout dans la brusque franchise de M. Ruiz Zorrilla le but et les intentions du parti qui s’est constitué au 1er avril 1880 par sou manifeste et qui a confirmé ce manifeste dans la conférence de Biarritz. 



Aux yeux de la majorité des Espagnols, M. Martos retourne en Espagne pour diriger un des trois groupes qui existent dans la démocratie péninsulaire, et M. Martos, les déclarations de à la main, pourra toujours affirmer au gouvernement de son pays que le but de la campagne qu’il dirige est uniquement la réorganisation des comités de son parti, la reconstitution sur de larges bases des éléments fédéralistes et progressistes, la lutte électorale avec des alliances qui permettront le succès de candidats éminents, pris dans les deux nuances de la coalition. Tout au plus M. Martos sera-t-il obligé d’avouer que le but ultérieur de sa campagne électorale et de la réorganisation des éléments avancés de la démocratie est la propagande et le triomphe des principes essentiellement avancés qui sont inscrits dans le manifeste du 1er avril 1880. Dans ces conditions, l'attitude du parti opportuniste espagnol est fort correcte, et, s’il n'avait d’autres motifs de défiance, M. Sagasta ne trouverait là aucun motif pour barrer le chemin aux candidatures des amis de MM. Martos et Ruiz Zorrilla dans les élections de 1881. 



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PRAXEDES MATEO SAGASTA



M. Ruiz Zorrilla en restant en France n’aurait, selon ses amis, obéi qu’à un scrupule de délicatesse et il hésiterait à accepter la fameuse ordonnance royale qui lui ouvre les frontières de sa patrie, non pas parce qu’il murmure tout bas le Timeo Danaos et dona ferentes, mais bien parce qu’il lui répugne de franchir la Bidassoa aussi longtemps, qu’il y aura de ses amis politiques et des agents de sa propagande dans les bagnes et les forteresses de la péninsule. Il y a, paraît-il, une trentaine de militaires et environ le même nombre d’hommes politiques dans cette triste situation. M. Ruiz Zorrilla est du reste convaincu que sa présence à l’étranger est plus utile à la démocratie que sa présence-même dans les Cortès futures. Il est difficile de dire ce qui l’emporte chez M. Ruiz Zorrilla, du sentiment antidynastique ou de l’optimisme qui lui fait fonder les plus grandes espérances sur les idées démocratiques qui se sont déjà répandues parmi la jeunesse et la bourgeoisie de son pays. M. Ruiz Zorrilla croit avec toute la ferveur d’un proscrit que la semence jetée par la révolution de septembre fructifiera tôt ou tard dans le sol où des circonstances adverses ont jusqu’ici paralysé son essor. Il a des accents d’une énergie extraordinaire quand il parle de l'avenir de la démocratie, et il ne révèle de l'impatience qu’en faisant allusion aux idées défendues par M. Castelar. M. Ruiz Zorrilla est jeté dans un moule bien différent, et il est rare de voir deux natures aussi peu semblables que ces deux chefs de la démocratie conservatrice et radicale en Espagne. 


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VILLA DE WECKER BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


C’est l’homme d'action qui domine chez Ruiz Zorrilla, et il ne croit pas à l’évolution lente du possibilisme castillan. Il se plaît à en appeler aux exemples historiques, même en Angleterre et en France, pour affirmer que les démocraties ne naissent que des révolutions plus ou moins pacifiques. Maintenant on ne saurait entendre causer M. Ruiz Zorrilla pendant dix minutes, et cela surtout quand on vient de passer des années au milieu des partis politiques espagnols, sans s’apercevoir immédiatement que M. Zorrilla a vécu depuis sept ans en France. Je ne sais même si l’influence du milieu sur ce tempérament énergique et sur cette intelligence active n’a pas eu pour résultat de faire que M. Ruiz Zorilla pense, juge, apprécie les "Cosas de España" à peu près comme le ferait un républicain de vos Assemblées, un membre de votre gauche républicaine. Dans sa manière d’envisager les réformes profondes dont son pays a besoin autant dans le domaine des mœurs que dans celui de la politique pure, M. Zorrilla m’a paru pouvoir donner d’excellentes conseils à ses coreligionnaires ; mais est-il bien sûr qu’il leur parle selon les instincts et les habitudes enracinés chez les hommes de tous les partis de la péninsule ? Quand il s’exprime sur les conséquences du triomphe de la démocratie, quand il avoue qu'il croit à une renaissance du carlisme le jour où la révolution s’établirait à Madrid, quand il applaudit à l'idée de l'union ibérique faite comme les Portugais eux-mêmes voudraient en effet les conditions et à l’heure qu’ils jugeraient convenable, oh ! alors je crois que M. Ruiz Zorrilla pense et parle comme s’il n’avait point quitté son pays.



Son erreur est peut-être, au dire même de ses concitoyens et de ses coreligionnaires, d’avoir marché trop vite. De là son isolement et l'opportunité de son exil volontaire en ce moment. Au reste, M. Ruiz Zorrilla se défend par instant de tout excès d’illusion et de toute impatience exagérée, car il disait avec une certaine amertume à ses amis que, s’il avait passé sept ans en exil, il ne croyait pas son odyssée terminée encore, et, se tournant avec émotion vers le magnifique panorama des montagnes du Guipuzcoa, que l’on découvre à l'horizon, il disait : "Je ne me fais point d'illusions et je n’irai pas encore là-bas, "en nuestra España". 



En terminant, je dois vous dire que M. Ruiz Zorrilla professe pour la France et pour vos hommes d’Etat les plus éminents une haute estime. Il dit qu’il a eu beaucoup à se louer des égards qu’on lui a montrés, des amitiés qu’il a trouvées même aux heures les plus dures de son exil. Il croit qu’aucun homme sensé en Espagne ne peut douter de la nécessité de l’amitié et de l’alliance de la France, la sœur aînée de l’Espagne dans la démocratie et dans la voie des conquêtes du libéralisme moderne chez les peuples latins."




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