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samedi 20 février 2021

UN CHARIVARI À HASPARREN EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN JUIN 1950 (quatrième et dernière partie)

 

CHARIVARI À HASPARREN EN 1950.


Le charivari est une démarche symbolique et bruyante des membres d'une communauté villageoise, une démonstration empreinte de violence morale et parfois physique visant à sanctionner des personnes ayant enfreint les valeurs morales et (ou) les traditions de cette communauté.


pays basque autrefois charivari
LES EPOUX ELISSETCHE HASPARREN 1950



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Qui ?, dans son édition du 12 juin 1950, sous la plume 

de Léo Vergez :


"...Un esprit ébranlé.



Agarra rentra chez lui le jeudi 25 mai, vers 20 heures. Il s'arrêta au café d’Hasparren. Il avait l’air inquiet, sombre, désespéré. A sa mère, il déclara que les policiers l’avaient soumis à un interrogatoire sans ménagements.


pays basque autrefois charivari
J-B AGARRA CHARIVARI HASPARREN 1950
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le lendemain, vendredi 26 mai, vers 10 h. 30, il aperçut une automobile arrêtée dans le hameau. Brusquement, il s’éloigna et disparut vers la campagne. Lorsque, quelques heures plus tard, on se rendit compte de sa disparition, on se mit à sa recherche. Pendant une journée, on chercha en vain Agarra dans les environs... 



Quand son beau-père le découvrit, dans l’après-midi du samedi 27 mai, on sut que le charivari d’Eliçaberry avait fait une quatrième victime : dans les hautes branches d’un chêne, au milieu d’un bois, à dix mètres au-dessus du sol, le malheureux s’était pendu...



Le corps ne fut dépendu que le lendemain, dimanche matin, après avoir été veillé toute la nuit. L'autopsie révéla qu’il portait des éraflures et des ecchymoses suspectes.



Aussitôt l'opinion publique se passionna. Car, tandis que, pour certains, et notamment pour les enquêteurs, ce suicide signait l’aveu de la culpabilité d’Agarra dans le guet-apens du 6 mai, pour beaucoup d’autres, c’était la preuve du désarroi où la méthode d’interrogatoire violent, encore usitée par certains policiers, peut plonger un innocent.



Qui croire ? Impartial comme toujours, Détective se doit d'exposer le pour et le contre...



Une partie des habitants d’Hasparren fait valoir qu’Agarra a craint d’être arrêté en voyant une automobile, inconnue de lui, s’arrêter dans son hameau. Ils font ressortir qu’il n’a fait état de soi-disant brutalités policières ni au juge d’instruction, ni aux gens qu’il a rencontrés au café d’Hasparren, avant son retour chez lui.



Un autre clan affirme que ce n’est pas la crainte de l’arrestation, mais seulement d’être "interrogé" de certaine façon, qui a acculé Agarra au suicide. Et, à la suite des constatations de l’autopsie, Me Simonet, du barreau de Bayonne, a déposé contre X... une plainte avec constitution de partie civile, plainte dont l’instruction est en cours.



Bagarre dans l'église.



Qu’il fût celui de l’auteur ou d’une nouvelle victime du drame, ce cadavre n’était pas refroidi que d’autres incidents, moins sanglants, mais tout aussi horribles, venaient apporter dans ce coin du Pays Basque un surcroît de malédiction. Et, comme il arrive dans les drames de Shakespeare — fidèles reflets de la vie — le comique se mêle par moment au macabre pour en souligner l’atroce ironie.



Car, par une poignante coïncidence, les obsèques d’Agarra, après autopsie, eurent lieu le lendemain de la fête annuelle de Labiry. Et M. Béhéran, le plus proche voisin d’Agarra et aussi son plus intime ami, eut à s’occuper en même temps de recevoir ses parents et ses relations, invités depuis longtemps pour la fête, et d’assurer des funérailles décentes à celui qu'il aimait comme un frère.



Ce dernier point était délicat. Agarra était un suicidé, et l’Eglise se refuse à absoudre le "crime" de désespoir. La pensée que son ami le plus cher pourrait partir au cimetière comme une charogne va au fumier, sans prêtre et sans prière, désolait le cœur de Béhéran. Disons tout de suite que ce dernier, excellent homme, ayant passé sa jeunesse dans le Nouveau Monde, était particulièrement estimé dans toute la contrée où il passait pour très serviable et d'excellent conseil. Selon la coutume de cette province si traditionnellement catholique, c’est à lui qu’incombait, comme premier voisin, le soin d’aller chercher la croix qui précède les cortèges funèbres. A l’église d’Hasparren, on lui refusa cette croix !



Toute la journée du dimanche, dans le village en fête, Béhéran se montra tourmenté à l’extrême. Le lundi, les obsèques eurent lieu à Espelette, dont le curé, plus cor préventif sans doute, avait ouvert la porte à la bière, ce qui s’explique par la considération qu’après tout rien ne prouvait qu’Agarra n’eût pas agi dans un moment de subite démence.


pays basque autrefois charivari
M ET MME BEHERAN HASPARREN 1950
PAYS BASQUE D'ANTAN


L’office suivait son cours quand, soudain, Béhéran se dressa, son chapelet au poing, hurlant :


— Voyez, voyez, il a la Croix ! Venez, venez prier pour l’âme d’Agarra !



Ce fut un douloureux scandale, car, comme on tentait de le faire rasseoir, Béhéran, devenu furieux, se mit à frapper indistinctement autour de lui. Spectacle navrant et risible : l’un des bons amis du forcené, et qui n’a plus d’illusion sur la fidélité de sa femme, lança, après un magistral coup de poing, cette apostrophe digne de Courteline :


— Je suis cocu, et on me bat ! Sur quoi, les gendarmes, appelés, intervinrent, maîtrisèrent le malheureux non sans peine, et l’emmenèrent dans une clinique psychiatrique d’Anglet. Il y est encore. Il avait fallu le ligoter et l’anesthésier pour l’y transporter !



Autre exemple cocasse de l'acharnement du destin : l’aîné des quatre enfants de Béhéran, solide gaillard de dix-sept ans, faillit s’étrangler le lendemain avec un os de poulet, et une intervention rapide du médecin le sauva de justesse !



On conçoit qu’une telle succession d’événements dramatiques, dans un coin tranquille où, parfois, un quart de siècle s’écoule sans incident, fasse parler d’on ne sait quels en envoûtements, sortilèges ou malédictions. Ce que l’on conçoit moins, c’est que l’opinion ne soit pas plus sévère pour les auteurs de ces plaisanteries rétrogrades, génératrices de drames.



Charivari ou jonchée, c'est tout un : c’est une sorte de lettre anonyme collective pour dénoncer, de prétendues fautes contre la morale, fautes dont rien ne prouve, après tout, la réalité. La pudeur trop farouche de bigots de village et de punaises de sacristie n’a pas à se mêler de punir ce que la Justice ignore !



Et l’équipée d’Hasparren doit rester dans les mémoires pour rappeler qu’une mauvaise farce peut faire verser plus de sang et plus de larmes que maints crimes signés de tueurs endurcis."





 




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