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samedi 13 février 2021

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND AU PAYS BASQUE (cinquième partie)

 

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND.


Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant de très nombreuses années.



pays basque autrefois cambo rostand
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND  EN 1902
PAYS BASQUE D'ANTAN
COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales politiques et littéraires, sous la plume de 

Paul Faure, dans son édition du 1er septembre 1927 :



"Arnaga, chef-d'oeuvre de Rostand. — Dessins, Croquis, Maquettes. — Premiers Travaux. —

Henry Bauer et Coquelin. — Départ  pour Paris. — Les Camelots et le discours. — 

Triomphale réception à l'Académie française. — Les années d'enfance contées par la mère de Rostand.



"...3 mai.



Le jour de partir pour Paris est venu. Rostand a eu la gentillesse de m'inviter à l'accompagner.



Bien que nous ne soyons qu'au printemps, la température est torride : la chambre de chauffe d'un transatlantique ne doit pas être plus brûlante que ce wagon-salon où nous nous sommes installés. La chaleur, dans la cage d'un wagon, est quelque chose qui rend fou. N'y tenant plus, Rostand parle un moment de quitter ce four crématoire, de descendre à la prochaine station pour y attendre des jours plus frais ; puis il se ravise. Tant de gens l'attendent à Paris ! Quand, au coucher du soleil, nous arrivons à la gare d'Orsay, nous avons le visage défait de gens qui reviennent d'une catastrophe.



paris gare autrefois
GARE DU QUAI D'ORSAY
PARIS D'ANTAN



A peine Rostand est-il descendu du train que des journalistes lui tombent dessus en trombe, l'entourent, l'escortent jusqu'à l'hôtel d'Orsay, qui, heureusement, est à deux pas.



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GRAND HÔTEL DE LA GARE DU QUAI D'ORSAY
PARIS D'ANTAN



Cinq minutes plus tard, l'appartement qu'on vient de livrer net, tiré à quatre épingles, est méconnaissable. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, malles, valises, cartons, étuis, boîtes, sont vidés de leur contenu, et c'est un éparpillement de toutes les choses possibles, une jonchée d'objets sur les chaises, les tables, les lits. Il y a de tout là-dedans : les manuscrits du jeune poète Maurice, les énormes livres scientifiques de Jean, ses insectes, toute sa ménagerie entomologique. Et à travers ces houles d'objets, de vêtements, c'est un va-et-vient, une circulation enfiévrée. Labat, arrivé de la veille, dépouille avec Rostand le kilo de lettres qu'on vient de porter.



Le téléphone n'arrête pas. Des journalistes harcèlent Rostand. Installés dans les couloirs, campant sur les malles, postés en sentinelles, ils le guettent pour le happer au passage. Dès qu'il sort, ils s'abattent sur lui, le criblent de questions : il subit sans broncher le supplice de l'interview, qui lui est infligé sous toutes les formes. Trois semaines se passent ainsi ; puis le grand jour arrive.



Dès la première heure, on porte des fleurs. Il en vient de tous les côtés. Bouquets, gerbes, corbeilles, lyres. C'est une avalanche, une folle moisson de roses, d'oeillets, de lilas, d'orchidées. Il y en a vite une telle masse qu'on ne sait plus où les mettre. On est obligé de les disposer au hasard, en tas, sur les tables, sur les chaises, par terre. L'appartement est bientôt transformé en serre, les tapis deviennent des massifs ; on circule à travers un jardin.



Dans le couloir, c'est un va-et-vient toujours plus exaspéré de visiteurs : parents, amis, journalistes, photographes ; et dans l'appartement règne la plus joyeuse animation. Maurice et Jean, complètement déchaînés, parcourent les chambres à toute vitesse, enjambent les fleurs, sautent par-dessus les bouquets : et cela, avec de tels cris qu'il est difficile de s'entendre à deux pas.



Vers dix heures, incident. Un domestique vient dire que des camelots vendent dans la rue le texte du discours que Rostand doit prononcer cette après-midi. On se renseigne, c'est exact : le discours a paru dans Le Petit Bleu. D'ailleurs, il n'y a qu'à se mettre au balcon pour être fixé immédiatement.



— Demandez le discours de réception d'Edmond Rostand ! hurlent les camelots.



Ils sont dans la rue, un paquet de feuilles à la main, que tous les passants achètent.



— Deux sous, le discours de réception d'Edmond Rostand ! ne cessent-ils de crier.



Les uns sont en sentinelle sur le quai d'Orsay, les autres filent à toute vitesse vers les grands boulevards. Empêcher cette vente prématurée, il n'y faut pas songer. Prier ces camelots d'aller hurler un peu plus loin, c'est tout aussi impossible. L'essentiel est que les hurlements n'arrivent pas jusqu'à Rostand. S'il les entend, s'il sait que n'importe qui peut lire son discours avant qu'il l'ait prononcé, il sera furieux.



Nous étions là, cherchant le moyen d'empêcher la catastrophe, lorsque quelqu'un eut l'idée lumineuse de prier simplement Maurice et Jean d'augmenter leur tapage de façon à couvrir les cris des camelots. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le vacarme devient instantanément assourdissant. Les camelots peuvent hurler, la puissance de leur gosier ne saurait lutter avec celle des deux déchaînés. On se croirait dans la cour d'une école à l'heure de la récréation. Heureusement que midi arrive. Les camelots s'en vont. Maurice et Jean s'apaisent.



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HUISSIER ET EDMOND ROSTAND
ACADEMIE FRANCAISE PARIS


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MME ROSTAND ET SES FILS JEAN ET MAURICE
ACADEMIE FRANCAISE PARIS



La réception de Rostand fut magnifique. Le secrétaire de l'Institut, Julia Pingard, disait que, depuis celle de M. de Montalembert, il n'avait jamais vu ainsi affluer les demandes de place. Je le crois sans peine.



Un monde fou. Jusqu'à la dernière minute, on s'est disputé la moindre place. Le moindre bout de la moindre banquette est, depuis plusieurs jours, pris d'assaut à coup d'argent et d'influences. Le dessus du panier en tout : lettres, arts, politique, armée. Et le monde tout court. Des uniformes éblouissants et des toilettes magnifiques. Tout Paris est là dans sa quintessence. Pour que rien ne cloche, le temps est admirable, ce qui n'est pas sans importance pour une réception à l'Académie, dont la salle est rébarbative. Le ciel est bleu sans un centimètre de nuage, l'air ne bouge pas, le soleil tape dur. Etres et choses, tout est dans une immense gaieté.



Je suis à ma place une heure avant l'entrée de Rostand. La curiosité est généralement la seule chose qui pousse les gens à venir assister à une réception académique. Aujourd'hui, dans cette foule, il y a mieux que ce sentiment banal, il y a de la ferveur. Rostand est l'objet d'une sorte de culte populaire. Le rayonnement de son oeuvre, la gentillesse, le charme de sa personne, tout en lui attire.



Les gradins de cette salle circulaire et haute, que coiffe la célèbre coupole, se remplissent rapidement : le flot de monde coule de plusieurs côtés à la fois. On est entassé plutôt que placé. Il n'y a plus de vide que le centre de la salle, un petit rond qui fait une tache claire ; mais il se remplit à son tour, et la tache s'efface. Pressé, secoué, comprimé par les remous de la foule, ayant tout juste la place de m'asseoir, je me gardais bien de bouger, je n'étais occupé que d'une chose : défendre mes centimètres de banquette dans la crainte qu'un remous trop fort ne m'en délogeât.


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DISCOURS D'EDMOND ROSTAND
ACADEMIE FRANCAISE PARIS


Dans le discours de Rostand, on trouve, ramassées, toutes les qualités qui brillent dans son oeuvre : l'esprit, le pathétique, l'imagination, l'émotion. Et aucune banalité, rien du ton académique sec et guindé ; mais de la fantaisie, du pittoresque, un continuel étincellement de verve, un grand souffle d'éloquence passant dans tous les mots. Qu'on y ajoute l'art incomparable du lecteur, et l'on comprendra l'ovation qui fut faite à Rostand. La foule l'attendait dans la cour de l'Institut. Dès qu'elle le vit, elle voulut le porter en triomphe. Il ne put avancer que pas à pas, tant on le pressait de tous côtés.



Eh bien ! après une telle journée, comment croit-on que je trouvai Rostand à l'hôtel d'Orsay, quand j'y rentrai vers sept heures ? Grisé ? vibrant des acclamations recueillies ? racontant ses impressions de cette après-midi glorieuse, les savourant de nouveau en les commentant ? bref, encore étourdi du vertige qu'avait dû lui donner la frénésie de cette foule, transfiguré, rayonnant, plus tout à fait le même homme ?



Il était seul dans sa chambre d'hôtel, assis sur une chaise, n'ayant pas quitté son habit noir et vert, mais ayant jeté sur ses épaules une serviette éponge. Le bicorne sur les yeux, il s'amusait à maintenir en équilibre, la pointe en bas sur l'index de la main droite, son épée d'académicien à pommeau de nacre et d'or.



Je lui proposai de sortir, ce qu'il accepta tout de suite.



En un tournemain, il changea son pompeux habit pour un complet veston. Nous descendîmes sur le quai. Et le hasard nous ayant poussés dans l'intérieur de la gare d'Orsay, nous regardâmes un train arrivé la minute d'avant, déversant ses bagages sur le monte-charge qui, infatigablement, les avalait.







Ainsi se termina, pour Edmond Rostand, cette inoubliable journée."



A suivre...




 



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