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lundi 1 février 2021

LE CHANT D'ALTABISCAR AU PAYS BASQUE AUTREFOIS (deuxième partie)

 

LE CHANT D'ALTABISCAR.


Ce chant, parfois appelé chant des Escualdunacs , est un poème épique publié pour la première fois en 1835 et présenté alors comme contemporain de la Chanson de Roland.



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ROLAND A RONCEVAUX
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet , le journal La Gironde, le 28 avril 1891, sous la plume de Paul 

Lavigne :


"Revue musicale.



Le chant d'Altabiscar.


...Tous les anciens chants basques publiés par les érudits ont été reconnus apocryphes... Pas un n’a résisté à un examen tant soit peu scientifique ! 



Mais abordons le plus fameux d’entre eux : le Chant d'Altabiscar ! Toute l’Europe en a parlé. Mais aussi, quel sujet épique et grandiose !  La fière race qui donna au monde saint François Xavier et saint Ignace de Loyola, racontant elle-même la célèbre déroute de l'arrière-garde de l’immense armée de Charlemagne à Roncevaux, combinée et effectuée, non par les Sarrasins, comme tout le moyen âge l’a cru sur la foi de Turold et des jongleurs, mais par les « "Vascons", c’est-à-dire les Basques, les Eskualdunacs ! Car ce sont eux-mêmes, disons-nous, ce sont les montagnards basques des environs de Burguette et de Roncevaux qui célèbrent dans le chant en question, avec une incomparable élévation de pensée et un enthousiasme débordant, leur victoire glorieuse et la déroute des guerriers francs taillés en pièce.



Nous ne reproduisons pas ici, faute de place, la traduction en prose que M. Francisque-Michel a donnée dans son Pays Basque du Chant d'Altabiscar. Nous préférons la remplacer par les trois strophes mouvementées, en vers français, dans lesquelles l'auteur de Koseiusko, M.de Mégret de Bellligny, s’est attaché à rendre les principaux traits de l’original. Elles se chantent sur l’air basque : Sous terre je m'ensevelirai !



Enfant, c’est bien ! ton regard s'enflamme !

Tu les as vus, ces fiers guerriers, 

Bardés de fer, portant l'oriflamme,

Au globe d'or ceint de lauriers. 

Qu’ils tombent tous ! ducs, combos, gens d'armes !... 

Combien sont-ils ? Deux, trois, cinq ; leurs rangs 

Vont par dix, cent, mille, encore !... Aux armes !...

Eskualdunacs, sus, sus, aux Francs ! 

Arbres, rochers, tout est bon ! Aux armes !

Eskualdunacs, sus, mort aux Francs !


II 

Altabiscar ! du soir déjà l’ombre

Descend sur toi : tremble, étranger ! 

Le mont sacré, sentinelle sombre,

Garde le val ; et l’outrager. 

C’est le trépas ! trop tard, téméraire. 

Trop tard ! du mont protecteur, le flanc 

Vomit ses rocs comme le tonnerre,

Ecrasant tout, tout !... O Roland ! 

Les tiens, broyés, mordent la poussière ;

Sonne du cor, sonne, ô Roland !


III 

Regarde fuir la horde gauloise !

Comptons : vingt, dix, huit, cinq, trois, un... 

Que ton sommet, vieux mont, se pavoise ! 

Où donc sont-ils ? Morts ! plus aucun ! 

Sur ton neveu, pleure, ô Charlemagne ! 

Ton invincible Roland n’est plus !... 

Regarde, enfant, là-bas la campagne :

Les aigles vont, lourds, bien repus. 

Prendre l’essor... pleure, ô Charlemagne !

Tes paladins, va ! ne sont plus ! 



La destinée du Chant d'Altabiscar, aujourd’hui percée à jour, offre quelque intérêt et nous allons l'exposer à nos lecteurs.



Ce chant a été reçu de confiance par les érudits les plus sérieux, au flair le plus expérimenté et le plus sûr. Si nous voulions nous astreindre à nommer ici tous les auteurs qui l’ont considéré comme authentique et qui l'ont publié comme tel, nous nous exposerions à dresser une nomenclature qui excéderait à elle seule, et de beaucoup peut-être, les bornes du présent article. M. Van Eys, dans ses très remarquables ouvrages sur la langue basque, ne manque pas de citer le Chant d'Altabiscar comme texte classique, absolument comme les hellénistes Planche, Alexandre et Anatole Bailly, citent Homère, Hésiode, Callinos ; je n’irai pas même jusqu’à répondre que la dernière édition du Guide Joanne pour les Pyrénées ne continue pas à en donner encore la traduction française au grand complet...


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GUIDE JOANNE PYRENEES



Considéré comme remontant réellement au neuvième ou dixième siècle, en plein âge de fer, ce chant serait, en effet, admirable, sublime ! La vérité, c’est qu’il a été composé en plein romantisme, à Paris, l’an de grâce 1834 (l’heureuse année de ma naissance). Quand on lit tous les jours Shakspeare et Victor Hugo, rien de plus naturel que de recevoir une fois dans sa vie la visite de la muse, et de se trouver capable de faire une pièce qui, si elle datait du siècle de Gerbert, passerait à coup sûr pour l’œuvre du génie le plus transcendant !... 



Et c’est précisément ce qui arriva.



Comment s’aperçut-on de la fraude ? C est ce que nous allons maintenant raconter.



Toute ballade restée longtemps exposée au libre contact du courant populaire offre toujours des variantes. On pensa, très naturellement, à recueillir celles du Chant d'Altabiscar. On se mit donc à la piste de la pièce en question ; on alla successivement en Labourd, en Biscaye, dans le pays de Cize, etc., pour se la faire chanter. Mais hélas  ! trois fois hélas ! ni à Espelette, ni à Saint-Jean-Pied-de-Port, pas plus à Hasparren qu’à Hélette, à Ainhoa qu’à Baïgorry, personne ne la connaissait !...



Second motif de juste suspicion : on voulut étudier la prosodie d’une pièce aussi ancienne. Quel rythme primitif et étrange n'allait-on pas découvrir ? Examen fait, on trouva que le Chant d'Altabiscar était en prose... Je crois bien, qu’on ne l’avait jamais entendu chanter nulle part ! Rameau seul, qui réussit, dit-on, à mettre en partition la Gazette de Hollande, aurait pu se charger de la réchauffer des sons de sa musique... Et encore aurait-il fallu qu’elle existât de son temps ! !...



J’ai dit que la pièce était totalement inconnue des gens du pays. Soyons plus précis : Deux strophes seulement, celles qui contiennent les noms de nombre par ordre alternativement ascendant et descendant, furent reconnues par eux. Et cela s'était toujours chanté sur un air n’ayant absolument rien d’héroïque et rappelant plutôt un deux, trois, du bois ! quatr', cinq, six du buis ! ou bien encore un, deux, trois, la culotte en bas ! mélodies fort peu chevaleresques, que nous avons tous chantées dans notre jeune temps...



Je renvoie ceux qui seraient désireux d’avoir de plus longs détails sur ce sujet à l'excellente Notice bibliographique sur le Folk-Lore basque, publiée à Paris chez Meisonneuve par le remarquable et autorisé basquisant M. Julien Vinson.


pays basque autrefois littérature
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE SUR LE FOLK LORE BASQUE
DE JULIEN VINSON


En réalité, le Chant d'Altabiscar a été composé en français par M. Eugène Garay de Monglave et traduit en prose basque par M. Louis Duhalde, d’Espelette ; c’est M. de Monglave qui le fit imprimer pour la première fois en 1834. Avant lui, et pour les meilleures raisons du monde, personne n’avait jamais eu connaissance de l'antique chant national des Eskualdunacs.



Ces circonstances précises, divulguées avec détail dans les livres et dans les revues, n’ont pas empêché ce chant de devenir extrêmement célèbre dans le pays, et d’être même cité tous les jours avec orgueil par les Basques comme ayant été composé par leurs ancêtres en pleine nuit du pré-moyen âge. Il en est pour le Chant d'Altabiscar comme pour le miracle de Lourdes : malgré les preuves trop évidentes qui débordent, on ne veut pas qu'il soit apocryphe! N’est-ce pas fort curieux ?"


A suivre...



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