VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND.
Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant de très nombreuses années.
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND EN 1902 PAYS BASQUE D'ANTAN COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales politiques et littéraires, sous la plume de
Paul Faure, dans son édition du 1er septembre 1927 :
"Arnaga, chef-d'oeuvre de Rostand. — Dessins, Croquis, Maquettes. — Premiers Travaux. —
Henry Bauer et Coquelin. — Départ pour Paris. — Les Camelots et le discours. —
Triomphale réception à l'Académie française. — Les années d'enfance contées par la mère de Rostand.
1902.
On a souvent dit qu'Arnaga était, comme Cyrano, comme L'Aiglon, comme Chantecler, un des chefs-d'oeuvre de Rostand.
C'est assez vrai. Si Arnaga n'a pas demandé le même génie créateur que Cyrano, que L'Aiglon, que Chantecler, il a exigé pourtant du travail, de la patience, et beaucoup de cette inspiration sans laquelle il n'est pas de poésie. Arnaga est bien un poème. Rostand y a mis autant de lui que dans son théâtre. Les impatiences, les hésitations, les insomnies, les énervements qui accompagnent la création d'une oeuvre, la fièvre que donne la recherche d'un détail, tout cela que Rostand, à cause de son souci de la perfection, a connu plus que personne, il l'a éprouvé pour Arnaga.
VILLA ARNAGA DE ROSTAND A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
D'Annunzio me disait, un jour, qu'il était tapissier et romancier. On pourrait dire de Rostand qu'il fut tapissier et auteur dramatique. Il aima, presque autant que son art propre, l'art d'arranger une maison, de la décorer, de dessiner un jardin.
Après son travail, Arnaga était sa pensée dominante. On en a la preuve par ses manuscrits aux marges couvertes de dessins qui sont des plans, des projets : une colonne, une grille, un balcon, un faisceau de cyprès. Les manuscrits, les buvards de Rostand sont criblés de ces croquis tracés d'une plume minutieuse. Ils disent la place absorbante qu'Arnaga occupait dans son esprit.
VILLA ARNAGA DE ROSTAND A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Combien de fois, le voyant taciturne, soucieux, le front barré d'un pli, lui demandai-je ce qu'il avait !
— Quelque chose d'Arnaga qui ne va pas, me répondait-il.
C'était la porte du hall qui était manquée, une fenêtre qui n'était pas assez cintrée, les boules de la terrasse qui étaient trop grosses, une serrure qui était trop riche, un vase dont il ne trouvait pas la place. Et prenant le premier bout de papier qui lui tombait sous la main, journal, lettre, dos de menu, facture, il dessinait, combinait, jusqu'à ce qu'il eût résolu la difficulté. Dans la période qui s'écoula entre L'Aiglon et Chantecler, c'est-à-dire entre 1900 et 1910, Rostand ne donna rien au théâtre ; on le disait fatigué, inactif, quand, au contraire, c'est pendant cette période de sa vie qu'il dépensa le plus grand effort cérébral. C'est pendant ces dix années qu'il écrivit Chantecler, qu'il commença une foule d'oeuvres et qu'il fit Arnaga ; et je ne parle pas de nombreux poèmes.
VILLA ARNAGA DE ROSTAND A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Quand on voit une demeure comme Arnaga, parfaite dans son ensemble et dans ses détails, on ne pense pas, précisément parce qu'elle est harmonieuse et que rien n'y choque, à la patience et au travail qu'il y a dessous, pas plus qu'on ne pense, en lisant une belle oeuvre littéraire, au travail qu'il y a sous chaque phrase, à la recherche obstinée qu'il y a parfois sous chaque mot.
Quel acharnement — je dis acharnement à dessein — il a fallu à Rostand pour faire Arnaga ! Quelle dépense d'imagination ! Combien de fois il défaisait ce qu'il avait fait la veille ! Tel détail qu'il jugeait heureux sur le papier ne le satisfaisait plus quand il était réalisé. Les tapissiers, les entrepreneurs, les sculpteurs, que ces travaux recommencés sans cesse agaçaient, même quand ils y avaient un profit, s'ingéniaient à convaincre Rostand que c'était bien ainsi. Peine perdue ! Le doux obstiné qu'il était ne voulait rien entendre. Il fallait sans cesse recommencer. D'ailleurs, chaque fois qu'il changeait quelque chose à sa maison, à son jardin, c'était toujours mieux.
VILLA ARNAGA DE ROSTAND A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais je reviens où j'en étais resté. Voilà le terrain acheté, l'acte de vente signé.
Les chênes sous lesquels nous avancions avec tant de difficulté l'autre jour, ce plateau sauvage où flânait le pâtre joueur de flûte, cette pointe, belvédère d'où se découvre dans tous les sens un admirable paysage, ce petit vallon en bas où court l'Arnaga, la colline couverte de chênes, tout cela est à Rostand. Il s'agit, maintenant, d'y tracer un jardin, d'y édifier une maison.
Tout de suite, Rostand décide de conserver au vallon de l'Arraga son caractère sauvage ; il n'y touchera que pour bâtir un moulin. Le jardin sera sur le plateau, la maison un peu en avant de la pointe, une de ses façades tournée vers la vallée. Pour le jardin, Rostand n'hésite pas. Il fera un jardin à la française. Mais la maison ?
On a reproché à Rostand d'avoir bâti, au milieu de jardins à la française, de parterres inspirés de Versailles, une simple maison basque dont les façades sont celles d'une ferme. Grave manquement aux règles de l'harmonie, contraste choquant, a-t-on prétendu.
VILLA ARNAGA DE ROSTAND A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
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