PAYSAGE EN LABOURD EN 1866.
Le Pays Basque est, depuis longtemps, une terre de voyages et de rencontres.
PAYS BASQUE EN FÊTE PAR GABRIEL GRIFFON |
Voici ce que raconta à ce sujet le journal Courrier de Saône-et-Loire, dans son édition du 7 juin
1866 :
"Autour du golfe de Bizcaye.
I. Paysage.
La route de Pau à Bayonne passe, près de cette dernière ville, au pied d’un mamelon un peu plus élevé que les collines environnantes, et d’où l’on jouit d’une vue très étendue. Sans doute à cause de cette vue, un des précédents propriétaires fit construire, il y a longtemps, sur le sommet du mamelon, l’ancienne chartreuse qu’on y voit. Contre la façade du midi de la maison, le propriétaire actuel a fait élever une sorte de plate-forme en charpente, attenant à la salle à manger, avec laquelle elle communique par deux portes. On y mange quelquefois, et c’est ce que faisaient au mois de juin 1861, le maître de la dite chartreuse, un autre fils de la Gascogne et moi, tous trois vieux amis déjà éprouvés par d’autres et plus longs voyages. Réunis dès le matin, nos premiers soins avaient été pour le repos, après boire s’entend ; mais notre imagination était trop vivement surexcitée par l’attente de l’imprévu, pour que ce repos pût être sérieux ; aussi, dès onze heures, nous étions sur la terrasse de la chartreuse, qui, débarrassée de la toile à voile dont elle est couverte en été, nous livrait les quatre points cardinaux.
La beauté de cette vue est proverbiale. Elle était, ce jour là, d’une splendeur inaccoutumée. Le vent du sud qui avait souillé le matin avait tout balayé, jusqu’aux brumes légères ; la transparence de l’air était telle que les derniers plans avaient la vigueur de ton et la fraîcheur de teintes des premiers. Nous assistions à une vue des contrées intertropicales, où le regard, n’ayant pas à lutter contre les vapeurs intermédiaires, distingue nettement à des distances infinies.
De notre droite à notre gauche, de Pau au cap Figuier, les Pyrénées ferment le midi comme un mur. Du côté de Pau, au loin, elles élèvent, au-dessus de la plaine du Béarn, leurs pentes chargées de glaciers et leurs cimes solitaires. Devant nous, à la distance de quatre lieues seulement, ce ne sont que contreforts, pitons aigus, dos d’éléphants, sommets par delà des sommets. Ensuite la chaîne continue, s’abaisse toujours, se rapproche de la côte, puis se redresse vivement par la Rhune, comme pour saluer le vénérable Océan, et pénètre en Espagne, après avoir jeté dans le golfe de Bizcaye, l’énorme promontoire du Jaizquivel, au pied duquel agonise Fontarabie, cette antiquaille espagnole. A travers un vide de bois de pins, on aperçoit un bout de mer renvoyant au soleil en reflets métalliques ses rayons absorbés. Une frange blanche d’écume marque la ligne du rivage.
Derrière nous, un autre spectacle se tenait prêt à varier nos émotions. C’était l’immense plaine, droite comme un plateau de la Grande Lande, couverte de pins maritimes de Bayonne jusqu’à Bordeaux. Lorsque le terrible vent d’ouest souffle en tempête sur la côte et couche frémissantes les cimes frêles de ces pins, sur une longueur de cinquante lieues, on dirait une mer verte aux flots furieux, où l’on soupçonne une fourmilière d’êtres, et d’où s’échappent, par intervalles, de longues clameurs. Cette forêt sent le mystère, elle l’appelle sous ses rameaux sombres. En y songeant, je ne puis m’empêcher de penser aux religions du monde antique, et je comprends très bien que les druides aient établi leurs sanctuaires dans les retraites des vastes forêts de la Gaule ; car, si pour convaincre, il faut frapper l’imagination, la nature faisait les trois quarts des frais de l’éloquence.
Entre les montagnes, la mer et les pins, s’étend une vaste contrée à longues ondulations, où l’ajonc épineux, les petits bois de pins et de chênes, et les champs de maïs alternent agréablement pour le coup d’œil. Peu de villages groupés, mais des maisons éblouissantes de blancheur, éparpillées de tous les côtés à l’aventure. Quelles qu’elles soient, maisons de campagne ou simples métairies, elles et leurs jardins bordés de roses, cherchent l’ombre derrière les grands végétaux à larges feuilles, les platanes, les figuiers et les peupliers de la Caroline. De là une variété infinie de couleurs.
A travers cette grande idylle, et le réjouissant de leur mouvement et de leur éclat, se promènent le Gave de Pau, une rivière au courant rapide, et l’Adour, ce grand fleuve qui porte un nom bucolique. Au bec du Gave, le Gave de Pau apporte à son seigneur le tribut de ses fraîches eaux, et l’Adour, qui n’a plus rien à attendre, roule au gré de la marée ses flots troublés. Il est devant nous à trois kilomètres, et court à la barre livrer à la mer un combat gigantesque; mais toujours vaincu, l’Adour a été funeste au vieux port aujourd’hui endormi sur ses rives.
Quel tableau ! une campagne entièrement couverte, où rien d’aride ne choque la vue, arrosée et égayée par des cours d’eau ; une chaîne de montagnes célèbre en géographie et en histoire ; une échappée sur l’Espagne, laissant deviner son soleil, un golfe toujours battu des orages, un immense horizon de pins, un désert en France ! Tout ce que la surface de ce monde peut donner était rassemblé sous notre regard. Rien ne manquait, ni le soleil du midi, ni le bleu du ciel, ni la gamme des teintes, ni les oppositions de tons, ni la profondeur des perspectives, ni la mélancolie des nuances, ni la grandeur des effets, ni la majesté des lignes. C’était la nature parée, la nature en fête. Tout était joie, parfum, lumière, enchantement de la terre, rayonnement de la mer et du ciel.
Spectacle mille fois plus éclatant que je ne saurais le dire, grand de sa grandeur propre, et ce jour là, d’une grandeur surnaturelle, pour moi du moins, ce que j’explique par la croyance qu’il y a dans la nature des heures d’intime communion. Dieu écarte un coin du rideau qui nous ferme les cieux et jette sur la terre la lumière du paradis. L’infini vous soulève et la vision du pur frappe votre esprit. Ce n’est plus par mots que la poésie arrive au cerveau, mais par phrases équivalentes aux sensations. J’ai rencontré souvent cette note de l’âme dans des chœurs et des symphonies, ce qui prouve que cette intervention du divin dans les suggestions de l’esprit, ne m’est pas particulière, et, quand même ce serait de l’extase n’est-ce pas par les extatiques que le sentiment religieux trouve un cadre à l’éternité future ?
Nous avions de la fièvre dans le sang, les senteurs enivrantes des résines nous excitaient les nerfs ; une invincible attraction nous sollicitait vers les montagnes bleues, vers les neiges des cimes, vers les forêts inviolées. Le cri de : en route ! fut poussé, et, sur l’heure, nous partîmes, cheminant sous des tunnels de verdure, car c’est une justice à rendre aux paysans gascons, ils savent se mettre à l’ombre dans toutes les situations, chez eux et hors de chez eux, ce qui n’est pas commun en France, encore moins en Espagne. Non contents de planter autour de leurs champs des haies d'arbres, ils les élèvent sur le revêtement de fossés profonds qu’on appelle baradeaux ; de sorte que pour entrer dans un champ, la barrière à part, il faut monter à l’assaut d’un camp romain. Que les chasseurs se plaignent de la difficulté de l’escalade, ils sont dans leur droit, mais les voyageurs ne peuvent que s’estimer heureux de la rencontre de pareils chemins frais comme un bocage.
Le but de notre voyage, c’était la montagne. Après avoir descendu la côte et traversé la Barthe, nous voici sur l’Adour occupés à admirer de grandes îles boisées, semblables à de petits royaumes. Ainsi que des fleurs jetées sur une glace, nuit et jour, elles se contemplent dans l’eau, et leur paix serait profonde, si, de temps en temps, le bateau à vapeur passant, n'envoyait avec ses roues, de fortes lames, troubler dans ce miroir les images renversées de leurs rives. Enviable est le sort des rois de ces îles : Affranchis de la haie mitoyenne, le seul ennui qui abrège la vie à la campagne, c’est dans leurs demeures, sans doute, que la statistique va chercher ses centenaires. Mais il n’est pas nécessaire sur cette terre privilégiée et bénie, d’avoir une île à soi pour vivre son siècle. Le pauvre qui vit de méture (pain de maïs), et le riche qui se nourrit d’entre-côtes de bœuf, atteignent également à une extrême longévité. Je ne crois pas qu’il y ait au monde un pays plus riche en représentants du XVIIIe siècle ; secs et durs vieillards, qui vous disent en branlant la tète, qu’avant le 18 brumaire, ils avaient déjà perdu leurs illusions. Leur sempiternelle existence lasse la mort et si l’on meurt un peu autour d’eux, c’est qu’elle se rattrape sur les imprudents. Les vieux pauvres font les commissions, comme chez nous les enfants de quinze ans. Une femme porta un jour ma malle pesant 30 kilogrammes de la gare à l’hôtel ; je lui demandai son âge : 96 ans. Naturellement être rentier est la pire des conditions. On peut donc dire aux avares, pères d’enfants prodigues, aux rentiers à fonds perdus, à tout beau père : voulez-vous prolonger vos jours funestes au delà de votre espoir et de leurs craintes ? Choisissez-vous une chartreuse dans la contrée comprise entre la Lande, les Pyrénées et l’Océan, l’hiver et l’été ne s’y font sentir que par des caresses. La clarté d’en haut, dans l’air plus léger et fluide qu’ailleurs, descend plus abondante dans le cœur et y verse l’insouciance et la gaieté ; et le vent d’occident, passant sur la mer et les pins, se charge de sel salubre et d’odeurs fortifiantes de résine et apporte avec la santé un continuel courant d’allégresse. Les Gascons de Béziers s’abusent : si le bon Dieu descendait sur la terre, il ne s’arrêterait pas à Béziers, mais ici dans ce coin de la France qu’on peut appeler sans gasconnade, la succursale du Paradis terrestre.
A Mousseroles, où le chemin de halage nous conduisit, une voiture attendait. Mais avant de nous diriger vers Cambo, arrêtons-nous à Bayonne un instant.
CAMBO VERS 1846 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire