AUTOUR D'EDMOND ROSTAND EN 1910.
Après avoir loué dès 1900 la villa Etchegorria à Cambo-les-Bains, Edmond Rostand se fait construire de 1903 à 1906 la villa Arnaga, où il écrira Chantecler.
Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire Les Annales Politiques et Littéraires, le 23 janvier
1910, sous la plume d'Henry Bordeaux :
"A la veille de Chantecler, nous voulons présenter à nos lecteurs, si friands de tout ce qui se rapporte aux belles-lettres, un portrait pittoresque et véridique de l'illustre écrivain.
A Cambo.
Malgré la renommée mondiale d'Edmond Rostand, je gage que, si l'on réclamait la liste de ses oeuvres à quelque amateur de théâtre, celui-là, fût-il libraire ou comédien, en oublierait une. Il s'agit, pourtant, d'une oeuvre bien composée, de belles lignes architecturales, fortes et élégantes ensemble. On ne l'oublie pas quand on l'a vue, mais, comme dit Mélissinde en montant sur la galère de Geoffroy Rudel :
Oh ! tout ce qu'on nous dit... rien ; il faut venir voir.
Elle comporte deux décors, également admirables. Une et harmonieuse, elle s'ouvre à l'air et à la lumière. Les moindres détails concordent à l'impression générale qui est de grandeur rustique et de grâce. Elle a réclamé beaucoup de temps, presque autant que Chantecler. Mais Chantecler même lui doit beaucoup, toute une part de son inspiration. C'est la villa Arnaga.
VILLA ARNAGA CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Une oeuvre, un fils, une maison ; ainsi un poète persan résumait son rêve de vie. Suprêmement ambitieux, il souhaitait une triple prolongation : celle de la pierre, celle de la chair et celle de l'esprit. Tant qu'un homme n'a pas dominé son existence, il se contente de loger au hasard, chez les autres. Et, s'il succède à ses pères, il n'en sent pas toute l'importance. Vient un âge où, privé de ce rempart vivant que sont les parents, ou comprenant que le mur s'écroulera un jour, il se découvre mal défendu contre la mort et veut, du moins, assurer l'avenir de sa race. Il désire marquer de son empreinte personnelle un coin de la terre. Alors, il songe à bâtir, à moins qu'il n'ait reçu du passé la mission de maintenir la demeure des siens, cette demeure que, tout enfant, on appelle simplement la maison, comme s'il n'y en avait qu'une au monde, et véritablement, pour chacun, il n'y en a qu'une. Bâtir ou maintenir, tâche pareillement noble et ardue, qui crée ou qui conserve une tradition familiale, plus éloquente, plus durable quand c'est la dure pierre, échauffée par de la vie humaine, qui la soutient et lui fournit son symbole. Ceux qui connaissent la tristesse de vieillir sans enfants et de tendre vers le soir sans imaginer les prochaines aurores, même s'ils renouvelèrent la sensibilité ou les idées de leur temps, n'ont guère qu'un tombeau à orner. Ainsi Chateaubriand offrit le sien aux caresses de la mer. Ainsi le plus grand poète traditionaliste de notre temps, Mistral, après avoir exalté la vie dans ce qui la fortifie et la perpétue, cultive la mélancolie d'édifier son propre monument funéraire, dont il a cherché le modèle parmi les ruines émouvantes des Baux.
13 LES BAUX |
Le jeune conquérant de la Princesse Lointaine, de Cyrano et de l'Aiglon a toutes les raisons du monde de construire. Il a choisi, pour sa maison, ce pays basque où l'union de l'homme et du sol est particulièrement étroite. Là, en effet, Le Play a surpris le modèle de la solidarité terrienne, relevé les traces de cette collaboration intime qui mêle un domaine à toute la suite des générations dont une forte race se compose. Terre féconde, que la chaleur et l'eau ont recouverte d'une végétation abondante, luxueuse, comme de serre chaude, terre toute travaillée et humanisée, terre d'où montent, comme des parfums, des légendes, des chansons, des prières, toute cette âme mystérieuse d'un passé qui ne peut pas mourir.
La villa Arnaga est bâtie au confluent de la Nive, qui, rapide et boueuse, court vers l'Adour, et de la petite Arnaga, moins arrogante. Sur le promontoire qu'étreignent les deux rivières, et dont les pentes sont toutes boisées, elle se dresse sans insolence, comme un complément de ce pays riche et fertile. C'est une maison basque, mais spacieuse, claire, joyeuse, à la façon d'une fleur bien épanouie : deux corps de bâtiment incrustés l'un dans l'autre à angle droit, l'un porté sur de massives arcades, tous deux étayés de ces poutres brunes qui font des dessins sur les murs. Elle rit véritablement au sommet du coteau. On y va de Cambo, qui balconne aussi sur la Nive. On entre dans le domaine par un bois de chênes aux troncs courts qui portent leurs branches en essor comme les boeufs de ces prairies leurs cornes. Les intervalles des arbres sont comblés par des fougères, et, comme le tronc des chênes même est recouvert de lierre, on a l'impression de pénétrer dans un lac de verdure.
MAISON ARNAGA CAMBO-LES-BAINS PAYS BASQUE D'ANTAN |
J'ai parlé d'un double décor. Le hall, qui, par de larges baies en arceaux, s'ouvre aux deux expositions du nord et du midi, réunit les deux vues. D'un côté, un jardin à la française, avec ses parterres et ses statues, conduit le regard aux lignes délicates des collines qui précèdent les Pyrénées dont les calmes arêtes ferment insensiblement l'horizon. Et, de l'autre, c'est le cours vallonné de la Nive qui descend sur Bayonne. A l'intérieur, c'est encore, sur tous les murs, de la lumière accrochée : des peupliers dorés et des Coteaux mauves d'Henri Martin, et surtout la Fête chez Thérèse et le Théâtre de Verdure, de Gaston La Touche, qui donne de l'espace et du soleil, et comme une liberté toute moderne, aux grâces et à l'esprit du dix-huitième siècle.
TABLEAU FÊTE CHEZ THERESE PEINTRE GASTON DE LA TOUCHE |
Une ombre recouvre, le soir, ce pays fortuné. Ce n'est pas celle des montagnes voisines. De Cambo, on va, en peu de temps, au Pas-de-Roland. Quand j'y suis allé, on reconnaissait encore le printemps aux roses et aux chèvrefeuilles qui embaumaient en passant devant les villas. Je leur préférais, pourtant, l'odeur du foin coupé que l'on avait étalé sur les prés pour le mieux offrir au soleil. Après d'immenses champs de fougères, des bois de chênes, des mamelons, des coteaux, tous également verts, on approche des Pyrénées, — belle assemblée verdoyante à qui je ne sais pas donner des noms, comme dans les Alpes, et mon cocher me criait des appellations basques que je n'ose transcrire. Le chemin d'Itxassou passé, on descend de voiture, et l'on entre dans un défilé. Enfin, voici des rochers, une nature sauvage, un peu de violence. La route que l'on suit domine la Nive, qui mène grand vacarme. Après une passe étroite, serrée entre deux parois, on arrive au rocher percé en forme de porte gothique qu'on désigne sous le nom de Pas-de-Roland. Autrefois, le chemin muletier le traversait. Maintenant, la route passe au-dessus, d'un air méprisant. Il encadre un paysage de pâturages et de forêts, mais il faut descendre pour le voir. Ce n'est plus qu'une curiosité.
PAS DE ROLAND ITXASSOU - ITSASU PAYS BASQUE D'ANTAN |
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