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dimanche 8 octobre 2023

GUÉTHARY EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1893 (première partie)

GUÉTHARY EN 1893.


En 1893, la commune de Guéthary compte environ 600 habitants.



pays basque autrefois sandalier chaussure labourd
SANDALIER AMIGORENA GUETHARY 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue Hebdomadaire, le 29 juillet 1893, sous la plume de 

Gustave Guiches :



"Guéthary.



Les villages du pays basque éparpillent leurs habitations à travers champs. Elles se casent comme elles peuvent, à la volonté des maîtres et des terrains, perchées au sommet des coteaux, blotties dans le lit des vallées, distrayant la plaine, toutes séparées les unes des autres par des pelouses de luzerne ou des plantations de maïs.



Sur les crêtes des falaises, des villas à contrevents d’un vert d’image d'Epinal signalent Guéthary. D’autres se groupent près de la gare, sur la hauteur, ralliées autour des principaux hôtels dont les feutres s'ouvrent aux spectacles du la mer. Aucune de ces maisons qui se partagent la clientèle des étrangers venus dès les beaux jours ne diffère du simple style de ses sœurs du pays.



L’accueil du paysage est souriant. Il s'offre tel qu'il est, dans la belle rusticité de ses terres, et les réclames des Casinos ne démentent pas les promesses de cette vie champêtre que recherchent, souvent avec si peu de succès, les émigrés du boulevard. Devant l'établissement des bains, la plage s’étend, limitée par des rochers plantés de croix en souvenir de naufrages dont les récits déjà légendaires et d’une banalité lugubre sont pieusement perpétués. Ce n’est pas la plage inexplorée, solitaire, comme il en est dans les retraits des côtes de Bretagne, mais la plage primitive encore dont les troupeaux de vaches descendues des collines viennent lécher les galets imbibés de sel, la plage nue dont la rudesse s'adoucit pourtant sous les litières d'algues que déroule, jusqu’au pied des murs, le déferlement des marées.



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ETABLISSEMENT DE BAINS GUETHARY
PAYS BASQUE D'ANTAN



Les mêmes scènes s’y représentent aux mêmes heures, chaque jour. Des Espagnoles, vêtues de la blouse noire d’uniforme et coiffées du bonnet imperméable, descendent d’un galop l’escalier de bois, se signent dévotement avec l’eau de la première vague qui bat leurs jambes, puis s’élancent et franchissent le flot. Moins alertes, des dames s’étendent sous les douches qui s’abattent en lourdes trombes, les roulent et les déposent sur le sable du rivage, à sec dans le soleil. Des plongeurs piquent au cœur la lame et pilent à longues brassées. De nouveaux baigneurs surviennent. Les uns, efflanqués, dissimulent leurs formes chétives dans l’ampleur des peignoirs. Les autres, plus corpulents, s’exposent avec une radieuse confiance à l’admiration des regards. Sur la terrasse qui longe la clôture trouée par les abat-jour des cabines, s'installent de calmes réunions. Les éventails vont et viennent avec des battements alanguis. La pointe des ombrelles et des cannes trace de distraits dessins sur le gravier scintillant. Des exclamations admiratives s’échangent à l’honneur du soleil qui sombre dans les magnificences de son incendie, là-bas, vers les côtes d’Espagne. A ce moment, d’ardentes nappes embrasent la mer. Les têtes des baigneurs émergent des flots en bouées lumineuses. Les chevelures s’enflamment dans le jaillissement des écumes. Au-dessus des lames, apparaissent de fulgurantes barbes de dieux marins. Une tonsure épanouit son auréole miraculeuse sur le crâne d'un prêtre. Des chapeaux de femmes surnagent comme des cloches d’or, et tous les êtres, subitement transfigurés, participent à cette resplendissante apothéose du soir.



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SUR LA PLAGE. DANS LES ROCHES A GUETHARY
PAYS BASQUE D'ANTAN



Mais cette gloire est de courte durée. La brise fraîchissant ramène les baigneurs impatiemment attendus. Un flâneur s’attarde à lancer des pierres plates qui font des ricochets et s'amuse aux gambades d'un terre-neuve aboyant et bondissant à la poursuite des cailloux. Les familles rentrent par caravanes, grimpantes, égrenées sur le rude escarpement des chemins. Près de la croix de pierre qui fait face à la mer, au sommet de la falaise, des groupes stationnent encore et ne se séparent qu’à l'heure des premières étoiles, lorsque, dans les brouillards de l'horizon, s’allument les phares de Biarritz et de Saint-Sébastien.



De chaque côté de la route qui divise les "quartiers" épars de Guéthary, s'échelonnent des villas. Sur les seuils spacieux, sous une rangée de platanes, trône le banc patriarcal, et des écriteaux exhibant des orthographes novices affichent les inscriptions : "Maison meublé à louer", "appartement garnie". De préférence aux pensions de famille, la plupart situées au-dessus de rez-de-chaussée qu’encombrent les industries des propriétaires, exposées au vacarme nocturne des boulangeries ou bien aux relents de morue que souillent les boutiques des épiciers, — de préférence aux hôtels, dont les tables d’hôtes imposent de gênantes promiscuités, les étrangers, chercheurs d'un home habitable et peu bruyant, fréquentent les villas. Mais c'est particulièrement dans l'une d’elles, la villa H***, que la tradition basque est conservée avec un soin religieux.




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VILLA HARISPE ENEA GUETHARY
PAYS BASQUE D'ANTAN



A l'heure du dîner et du souper, se réunissent les hôtes de la maison. Un jeune couple espagnol s'assoit à la table voisine de la mienne. Le mari est un ancien gouverneur civil du Guipuzcoa. Quelqu'un vantant devant lui le tempérament aventureux des Basques, leur attachement à la foi monarchique et religieuse : "Les Basques, remarque-t-il, font la guerre pour le plaisir de la guerre. Ils ne désirent pas l'avènement d'un roi qui amoindrirait leur indépendance. Ils veulent la république pour eux et la monarchie absolue pour le reste de l'Espagne." Distingué d'allures et de mise, sa conversation diffère par une discrète sobriété de celle, souvent étourdissante, de ses compatriotes. tandis qu'au dessert, il fume silencieusement des cigarettes, sa femme, une élégante Madrilène, parle avec le plus vif entrain. Elle proteste énergiquement contre l’invention des écrivains romantiques qui ont, à son avis, ridiculisé, par excès de lyrisme, les passions espagnoles, et surtout elle s'indigne contre la légende du poignard dissimulé dans la jarretière pour punir la trahison de "l'infidèle amant". — "Un poignard dans la jarretière ! s'exclame-t-elle. Les Andalouses sont trop coquettes de leurs jambes. Une jarretière, c'est déjà trop !'



A l'écart, une famille anglaise occupe une vaste table ronde que le père préside, le visage arborant ses favoris, comme un double pavillon national, le buste ancre dans sa raideur britannique peu sensiblement attendrie par vingt ans de vie française dans les hivernages de Pau. La femme est assise en face, silencieuse et affectueusement soumise à la bienveillante autocratie de l’époux. Les enfants se dispersent sous la surveillance d'une jeune institutrice allemande dont les gestes vagues rectifient leur maintien. C'est moins une créature qu’une apparence de sourire attristé. Dans les crépuscules, tandis que son maître se promène au dehors, lisant le Times à la lueur de son inséparable lanterne de policeman, elle joue au piano les sonates de Mendelssohn ou soupire les oraisons des chevaliers de Wagner.



La table qu'ils entourent s'investit d'une importance géographique, semble une île, une colonie dûment conquise et défendue par ses propriétaires contre de proches continents. Suspectant la civilisation française que leur long séjour en notre pays n'a su leur faire apprécier, ils ont emporté toute l’Angleterre dans leurs bagages. Une cuisinière dressée par eux s'occupe exclusivement de leurs repas. Une femme de chambre, pliant sous le pouls de si volumineuses charges, transfère de l'office, sur la nappe couverte de hors-d’œuvre épicés, les énormes roastbeefs et les puddings monstrueux qui scandalisent la ruralité des espagnols. Ils ont leur théière, une réduction de Westminster, leurs boîtes à gâteaux secs, leur huile, leur vinaigre de Malte, leurs bocaux à peakles, leurs flacons à sauces, leur pharmacie, leur filtre, leurs ronds de serviette, leurs couteaux de poche et... leur chapelle.



Car, presque attenante à la villa, sur un terrain acquis naguère par un de leurs coreligionnaires, se dresse une église gris perle, en zinc. C'est une église de voyage, transportable dans une chapelière ou dans de simples valises, et dont les pièces, désarticulées d’après un numérotage mathématique, ne peuvent tenir beaucoup plus de place que le matériel d'un jeu de cricket. Aussi promptement emballé que déballé, quelques heures suffisent au montage du monument. Les lattes de zinc s’emboîtent les unes dans les autres. Les minces dalles qui remplacent pratiquement les gargouilles des cathédrales s’accrochent aux corniches. Les vitraux jouent dans leurs châssis comme des glaces de coupé. Le clocher se visse en trois tours de doigts sur le fronton, et le temple est édifié, garanti par les inventeurs à l’épreuve des plus enragés ouragans. Dans ce sanctuaire métallique, les voix célestes de l'orgue étouffent leurs accents en des canaux de tôle. L’éloquence du révérend éclate sèchement ainsi que dans le pavillon d'un photographe, et les cantiques se figent d’eux-mêmes entre ces murs inhospitaliers.



Parmi les fidèles, trois Américaines sont logées dans la villa. Elles révèlent aux hôtes passagers de la maison qu'elles se sont associées pour voyager, et que, depuis vingt ans, elles parcourent le monde, sans but, sans espoir, sans autre motif qu'un infatigable amour de la locomotion. Malgré leur bon vouloir aimable, leur zèle à classer des herbiers et à confectionner avec des lavandes de jolis flacons à parfums, leur figure exprime un incurable ennui. Elles regardent la mer, tristement, et leurs regards semblent la rendre responsable de leur peine. Elles regardent le ciel avec découragement, le jugeant incapable de leur donner une sensation nouvelle. Elles regardent aussi le paysage avec l’expression d’un mélancolique reproche, l’accusant de mentir à ses promesses, — et elles s'enferment dans des silences songeurs, se disant sans doute qu'il faut aller plus loin chercher la véritable oasis, la chercher encore, toujours, sans l’espérance de la trouver jamais. Un matin, les trois misses saluèrent les hôtes de la villa.


Good bye, nous partons. Elles offraient leurs mains, avec cette chaleureuse indifférence qui distingue les effusions de leurs compatriotes.


Quelqu’un demanda : 

— Vous voyagez beaucoup ? 

— Toujours. 

— Pensez-vous rentrer dans votre pays ? 

— Nous n’y avons jamais rêvé. Nous le connaissons. 

— Vous fixerez-vous en quelque endroit ? 

— Nulle part. 



Un idiot qui travaillait dans un champ voisin regardait en poussant des clameurs inarticulées. Elles se retournèrent, et souriant avec douceur :


— Il nous fait ses adieux, diront-elles. C'est un des caractères (types) du pays. Goodbye."



A suivre...






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