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dimanche 7 janvier 2024

GUÉTHARY EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1893 (quatrième et dernière partie)

 

GUÉTHARY EN 1893.


En 1893, la commune de Guéthary compte environ 600 habitants.



pays basque autrefois sandalier chaussure labourd
SANDALIER AMIGORENA GUETHARY 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue Hebdomadaire, le 29 juillet 1893, sous la plume de 

Gustave Guinches :



"Guéthary.



... Le résultat ne sera pas connu des assistants avant la nuit. Dans la voiture publique qui fait le service d’Urrugne à Saint-Jean de Luz, un vieux Basque, obligé par l’heure de quitter l’enceinte du trinquet, s'assoit en face de moi sur la rude banquette et me dit, les yeux étincelants : "Urrugne va gagner !" C'est un vieux routier de la pelote. En me narrant ses campagnes de joueur avec ses rivaux espagnols, sa physionomie rayonne et s’embellit à l’héroïsme de ses belliqueux souvenirs. Au gré de sa vigoureuse gesticulation, son béret se rabat sur le front, se redresse sur la nuque, dégringole sur l’oreille. Le Basque déclame, avec un grandissant pathétique, l’épopée de joutes sanglantes dans les Navarres et le Guipuzcoa : "Ce n’est rien, ce que bous benez de boir. Diou bilan ! S’ils abaient affaire à ceux de Vilvao !" Mon voisin, un prêtre de visage affable, vient de fermer son bréviaire et souscrit par des hochements de tête empressés aux transports du vieillard. Se mettant ensuite à l'unisson de ce lyrisme et s’adressant à moi : "Vous étiez au trinquent tout à l’heure, monsieur. C'était une partie sublime ! Mon Dieu, que c'était beau !"



... La voiture sur laquelle je viens de prendre place file grand train, se dirigeant vers Sare par la route qui s’est offerte au tournant d'un faubourg de Saint-Jean de Luz. Il est six heures du matin. Les fins écheveaux de brumes accrochées parmi les branchages des buissons se débrouillent aux démêloirs des premiers rayons de soleil. La Nivelle braisille entre les arbres, espaçant les nappes lumineuses de ses eaux dormantes dans les herbes des prairies. Sur l’horizon, la chaîne des montagnes s'étire, s'exhausse à mesure que le ciel s’unifie dans sa clarté. Les cimes surgissent en la netteté de leurs dessins, et la splendeur du jour dore d’illusoires richesses la stérilité des escarpements. Au-dessus de toutes apparaissent les Trois Couronnes d’Espagne. Les monts d'Espelette s'entaillent de vallées profondes. La Rhune hantée de mystères justifie la rumeur des légendes par l'aspect sinistre de ses versants. Et comme se lèvent de nouveaux sommets, le rêve s'élance vers ccs lointains creusés d'embuscades où se devinent les foisonnantes broussailles propices aux guérillas.



La voiture s’arrête à Saint-Pée-sur-Nivelle, devant la porte d’une auberge, pour le déjeuner du matin. Sur une toile cirée où des médaillons encadrent les profils des rois de France, l’hôtelière sert un fromage de brebis, une tourte de pain noir et une bouteille de vin clair d'une pétillante acidité. Des gendarmes assis sur un banc, devant la porte de la mairie tapissée d’affiches en langue basque, devisent paisiblement. Les rues sont désertes. Dans l’entr'ouverture des fenêtres, apparaissent les angles luisants de massives armoires telles qu'en fabriquaient autrefois les artisans du pays. Les façades des maisons se parent d'images saintes, de madones dressées dans des niches aux voûtes azurées, au-dessous desquelles des inscriptions gravées dans la pierre disent les origines et les premiers propriétaires de l’habitation. Elles sont toutes formulées comme celle-ci :

Martin de Habans Me Chirurgien

Et Jeanne de Monduteguy Sievret

Dame de Champerenne Etcheberria

Ft l'An 1707



Ou comme cette autre :


Martin d'Alcola et Marie d'Araioague Sevret

Dame de Monduteguy

Ft l'An 1676



Un donjon croulant, dévoré de lierre, rappelle, au milieu de jeunes et prospères cultures, l'antique château de Saint-Pée. C’est là que, jadis, se tenaient les nocturnes assemblées du sabbat. La chronique de Lancre, conseiller au Parlement de Bordeaux, venu en 1609 pour "instruire", avec le président d'Espaignet, contre les sorciers du Labourd, raconte qu'on y adorait le démon sous la forme d’un bouc auquel on sacrifiait des enfants après les avoir fait renoncer à Dieu. "On y célébrait la messe par dérision et moquerie avec l’hostie noire, et les jeunes filles allaient y garder des troupeaux de crapauds et de vipères, tandis que les vieilles femmes composaient des onguents."



pays basque autrefois château ruines labourd
CHÂTEAU DE SAINT-PEE-SUR-NIVELLE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Les vallées se resserrent. Au bord du chemin, l'herbe tassée laisse à peine filtrer une murmurante galopade de ruisselet. Puis, les cloisons s'élargissent et, parmi les clairs espaces de la plaine, des maisons se groupent, dominées par la lourde carrure d'un clocher.



C'est Sare, l’Athènes du pays basque, où les traditions locales sont conservées dans leur originelle vigueur. Les fêtes sont à leur troisième jour. La veille, en séance solennelle, avait eu lieu le concours d improvisation, dont le prix était décerné à une jeune femme des provinces de Navarre, chargée de faire l'apologie de la quenouille et luttant d'argumentation avec un habitant de Sare institué panégyriste du makila.



sare autrefois pays basque pelote fronton
PARTIE DE PELOTE SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN


La place du jeu de pelote est une des plus vastes de la région. Sur le mur qui reçoit le choc des balles, une inscription se détache en majuscules :


Debekatua Da Bleka Haritcea.



Elle signifie : "Il est défendu de jouer au blaid." Cependant, en dépit de cette prohibition, sans doute abrogée par des règlements plus libéraux, c'est une partie de blaid qui va réunir sur l’arène les concurrents des villages voisins. Les spectateurs s'installent au long des gradins étagés en amphithéâtre. Une fanfare exécute des airs dolents. La partie commence, une partie de "balle au mur", plus calme et plus naïve que le trinquet savant et tumultueux. Seule est intéressante l'agilité des joueurs qui se disputent la balle, s’agenouillent, rampent pour la recevoir, s’élancent sur elle en une souple détente de jarrets, la claquent au vol ou la projettent vers le but par une soudaine courbe de bras.


pays basque autrefois pelote labourd fronton
PARTIE DE REBOT SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN



La longue succède au blaid. Les joueurs au nombre de huit, partagés en deux camps, ont la main droite armée du chichtra, un gantelet d’osier, creux et recourbé, dépassant de plus d’un pied l’extrémité des doigts. Un crieur annonce le résultat de chaque coup. Devant le but est le premier attaquant. Un de ses compagnons se place à la limite du champ, et le troisième se tient à égale distance des deux. C'est l’attaquant, le buteur qui donne le signal. Il lance la pelote à main nue contre le but, de façon qu'elle vienne rebondir sur le sol. Son adversaire la saisit au passage, et le soufflet de sa raquette l’envoie, comme envolée d’une fronde, jusqu’au poste ennemi où le joueur la reçoit dans son gant et, lui faisant rebrousser sa trajectoire, la retourne à son partner.



Le public suit, avec une vive émotion, les péripéties du jeu. Il en souligne les finesses par de flatteuses rumeurs. Les pièces de cent sous des parieurs pleuvent dans le béret du crieur annonçant les points. Mais, malgré ces démonstrations, d’ailleurs peu chaleureuses, l’assistance est récalcitrante à l'enthousiasme, et, près de moi, caressant sa barbiche, un douanier résume l’opinion en murmurant :

- C’est tout de même malheureux que les plus mazettes de Sare se soient donné rendez-vous.


pays basque autrefois pelote compteur
FERDINAND COMPTEUR DE POINTS
PAYS BASQUE D'ANTAN


A l’auberge de l’Union, au pied de la Rhune, le dîner copieux, bourré de rôtis, de volailles et de sauces incendiées aux braises des piments, est servi dans une chambre dont les murs sont décorés de peintures candides où les quatre saisons s’allégorisent par des visages féminins.



Dans la pleine chaleur où viennent de s’éteindre les bruits de la fête, une flûte pastorale pique des airs dansants. Debout, au seuil de la cuisine, un aveugle souffle dans le chirola qu'il vient d'emboucher et pianote d’une main sur les trous du flageolet rustique, tandis que de l'autre il s'accompagne en battant le tambourin pendu à son bras par une lanière, ainsi qu’une anse de panier. Un chien minable, le poil tremblant et zébré de récentes bastonnades, portant un collier sur la plaque duquel est gravé ce nom : "Batista Hirigoyen", s’accroupit entre les jambes de son maître, peureusement. Des passants se détournent de leur chemin et entrent dans la cour de l’auberge. L’un d’eux entraîne hors de la cuisine une jeune servante, et le fandango commence aux sons du chirola. Les premières mesures sont lentes. Les danseurs, l’un devant l’autre, les bras souples et balancés au rythme de valse, les doigts claquant comme des castagnettes, passent et repassent, échangeant des regards avivés au crescendo du mouvement. La femme, dressée sur les fines pointes de ses espadrilles, se rapproche de l'homme, puis se dérobe et, par des voltes soudaines, se soustrait à la poursuite de son cavalier. La musique s’accélère. A ce moment les yeux du valseur se fanatisent, roulent de flambantes prunelles dans leurs orbes dilatés. Il s'avance vers la jeune fille à petits pas rapides et rusés. Elle l'évite. Il presse la mesure. Ses io ! io ! haletants invectivent le flûtiste. Les danseurs tournent l’un autour de l’autre, et, s'étant rejoints enfin, leurs pieds s’entremêlent dans un allégro fébrile et triomphant.




pays basque autrefois danses fandango
FANDANGO
PAYS BASQUE D'ANTAN



Des musiciens espagnols mandés pour la fête surviennent et, la guitare en sautoir, la cigarette aux lèvres, s'assoient, les jambes pendantes au rebord de la muraille ou prennent place autour de tables, attendant qu'on leur serve des limonades et du café. Après un indolent prélude de pizzicati, leurs voix s’accordent dans le murmure d'une mélopée traînante, ranimée d'accents nostalgiques, d’éperdues invocations. Un soliste entonne une sérénade, puis les fandangos reprennent, déchaînés par l’aveugle, toujours debout au seuil de la cuisine, et soufflant dans le tuyau du chirola d’infatigables cadences renforcées des battements qui vibrent sur la peau de son tambourin. Serrant au col une volaille à demi déplumée, l’aubergiste considère avec des yeux attendris, et la bouche réjouie d’une maternelle indulgence, ses servantes ravies à leurs fourneaux par l’occasion d’une joie rare. Un Basque octogénaire regarde autour de lui la jeunesse des figures dans la jeunesse du jour, vide le verre qu’on vient de lui servir et, d’une voix sentencieuse, déclare en branlant la tête que "de telles heures dégoûtent de la mort".



... Le cheval gravit les montées raboteuses d’un pas dormant que nulle objurgation ne pourrait activer. La vallée s’approfondit, s’emplit de soir, et les maisons de la plaine pâlissent comme des visages dans la tombée de la nuit. Les montagnes se dévêtent de leurs fourrures au dégringolement des troupeaux dont les avalanches haineuses roulent dans l'obscurité des vallons. Puis, à mesure qu’on s'élève, les habitations disparaissent, les plantes se rabougrissent, les insectes nocturnes se taisent sur les sommets qui se dénudent. La voiture descend vers la plaine d'Ascain et, reprenant la route de Saint-Jean de Luz, se rapproche de Guéthary.


Guéthary, septembre 1889."






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jeudi 7 décembre 2023

GUÉTHARY EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1893 (troisième partie)

  

GUÉTHARY EN 1893.


En 1893, la commune de Guéthary compte environ 600 habitants.



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SANDALIER AMIGORENA GUETHARY 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue Hebdomadaire, le 29 juillet 1893, sous la plume de 

Gustave Guiches :



"Guéthary.



Leur langue, l'euscara remonte à la plus ténébreuse antiquité. Plus personnelle que le bas breton, avec lequel on a fait des rapprochements inexacts, elle est surtout composée de sons limitatifs d'une saisissante intensité, tels que carrasca qui signifie un grincement de rage ; heiagora, une clameur de détresse ; ichkiritu, un cri perçant. Comme on peut le voir, leurs onomatopées s'identifient, avec une fidélité textuelle, aux sentiments dont elles sont l'expression.



Des cheveux noirs de riche épaisseur et de longueur vigoureuse, des yeux bruns, vifs et caressants, à l'ombre de leurs belles plantations de cils, ces traits singularisent les visages des femmes du pays. Les jeunes filles, passionnées de toilette, affinent leur taille dans d’impitoyables corsets. Sveltes, la poitrine grêle, les hanches atténuées, elles portent sans gène, avec une grâce pimpante, ce cilice du leur coquetterie. Elles se coiffent du foulard suprêmement rapetissé ; mais, pour se rendre aux offices, elles épinglent sur leurs cheveux une mantille foncée à plis tombants. Les femmes mariées s’enveloppent dans une longue cape noire à capuchon, que frange un lambrequin de dentelles cousues, rabaissées sur le front, lorsque le veuvage survient.



Au dehors, l'architecture des églises est d'une simplicité massive, uniforme dans son dénuement de recherches artistiques, dans son indépendance, des styles habituels. Au-dessus de l’édifice, s'élève la lourde tour carrée du clocher qui, devant la grande porte, se découpe en arceaux dominant un parvis dont le dallage tubulaire est gravé d’inscriptions. Le symbolisme de la nef disparaît au dedans. C’est une salle spacieuse, sans chapelles latérales, d’une nudité de vestibule sous la surface d’un plafond tapissé de papier clair à fleurs rouges ou bleues. Les femmes seules y sont admises. Les hommes se placent dans des tribunes qui s'étagent en balcons à balustres de bois verni par des siècles de pieux accoudements. Dans sa niche étoilée d’une lampe, la Madone est debout, vêtue d'une robe princesse en velours noir galonnée d'or. Des pierreries scintillent sur sa couronne, constellent ses sandales, et, du bout des doigts, elle serre un mouchoir de dentelle, avec une grâce surannée. Au fond, sur une plate-forme, couronnant une montée de vingt marches, l'autel, entre ses colonnes escaladées de flammes resplendit, paré de magnificences espagnoles et tel qu'un buisson ardent d’orfèvreries.



Ils ont pour leurs édifices religieux une tendre sollicitude, et s'imposeraient les plus dures privations afin de subvenir au luxueux entretien. L'église de la petite ville de Hasparren exigeant des réparations importantes, des listes de souscription circulèrent et donnèrent, comme résultat, le total de trois cent mille francs. Aussi, dans la campagne, les chapelles se multiplient.



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PLACE DE L'EGLISE ET RUE NEUVE HASPARREN
PAYS BASQUE D'ANTAN



Près de Bidart, un village voisin de Guéthary, il en est une qu'on appelle la Vierge miraculeuse. Au pied d’une colline boisée elle est assise devant une source d'eau vive qui s’épanche en limpides bouillonnements. Là, seule, elle perpétue le souvenir d’une légende qui est la rustique histoire de sa fondation. Un pauvre homme ayant baigné dans cet endroit son âne qu'une maladie incurable mettait depuis longtemps hors de service, l’animal sortit de la piscine, ingambe et soudainement guéri. En témoignage de sa reconnaissance à l’intervention divine qui s'était manifestée par cette cure bienheureuse, le propriétaire édifia une statue à la Vierge sur le lieu où il avait vu le miracle s’accomplir. A peine dressée, la statue s’enleva de son piédestal et d'elle-même se transporta dans un berceau d'aubépines qui fleurissait non loin. L’homme, se croyant joué par une hallucination, réintégra la Vierge sur son socle, mais aussitôt elle reprit son essor et, traversant d'un vol lumineux la distance qui la séparait de la haie, revint se poser au-dessus des odorantes blancheurs du buisson. Alors le rural courut conter au village la surnaturelle aventure dont il avait été témoin, et le fait s'étant renouvelé devant la population, on construisit une chapelle à la place où s'épanouissaient les aubépines, afin que fût exaucé le vœu céleste formulé dans cet événement.



Entre deux rangs de peupliers déviés de leur alignement par le vent de mer qui souffle aux échancrures des falaises, la route d'Espagne file, telle qu'une voie de montagnes russes, dans une oscillation capricieuse d’ascensions escarpées et de descentes à pic. Six kilomètres séparent Guéthary de Saint-Jean-de-Luz. C est la petite ville de province aux après-midi mornes, éblouis de soleil dans les quinconces des places publiques, au centre desquelles le kiosque à musique accueille des fanfares martiales dont les accents paraissent incapables d’émouvoir. Des hôtels de style majestueux, une enseigne de magasin : "Au mariage de Louis XIV" rappellent le luxe cérémonieux du grand siècle, à coté des simples façades basques et des enjolivements de quelques maisons Renaissance ajourées de nombreux croisillons.



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PLACE LOUIS XIV SAINT-JEAN-DE-LUZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Il faut monter sur le coteau de Ciboure pour rencontrer quelques vestiges d’une vie locale, chaque joui défigurée par le cosmopolitisme qui s’ébat sur la plage et dans les salons du Casino. Les venelles grimpantes s’enchevêtrent, murées des culs-de-sac rayonnant en des perspectives de vieilles maisons fardées de chaux et rajeunies par les vives couleurs des contrevents. La terre de maigres vergers dégringolant les pentes abruptes s’éboule sur des ruelles fangeuses dans les ornières desquelles pataugent des meutes de gamins. Sous des tonnelles de platanes, des ouvriers, manoeuvrant sur leurs genoux les planches cirées de larges pupitres, aplatissent les semelles des alpargates, tandis que les cordiers, l’œil tendu sur les lacets qui s'étirent devant eux, maillent de longs fils au ronflement des reposoirs.



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BORDAGAIN CIBOURE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Au milieu de cette population, paisiblement occupée à des travaux sédentaires, vivent les Cascarots, une tribu bohémienne fixée, depuis d'immémoriales époques, dans ce faubourg. Leur sang s’est mêlé à celui des indigènes, et les deux races ont fusionné. Pourtant, dans ce grouillement de sauvages mâtinés par leurs mariages avec la civilisation locale, on découvre des types conservés dans leur identité première, des pauvresses que relèvent de leur décrépitude leurs allures inspirées de pythonisses et des jeunes filles à peau de bronze, à cheveux crépus dont les teintes africaines s'attisent aux chaleurs des yeux noirs. Les hommes, rasés et tondus selon l'usage basque adopté par eux, n’ont plus avec les vagabonds leurs ancêtres que de lointaines et peu visibles affinités.



Au sortir de Saint-Jean-de-Luz, un attelage de six mules d'Espagne pomponnées de rouge, excité par les anda ! et les claquements de fouet des toreros en fulgurant costume, débouche dans la poussière, aux fracassantes sonneries de leurs grelots d'argent.



C'est la fête d’Urrugne. La route a l'animation colorée des chemins qui mènent les foules champêtres vers les réjouissances patronales. Des jardinières, secouées sur le tremplin de leurs ressorts, emportent des couples endimanchés. Des ânes attifés de harnais vernis traînent de minuscules voitures d’osier conduites par des enfants. Le marchand d’oublis, sa boite verte sur l’épaule, marche à l’écart et charme son isolement par des roulades de castagnettes exécutées sur son claquoir. D'un pas égal dans sa souplesse élastique sur les cendres blanches de la chaussée, des Basques passent, chantant des couplets d'enthousiasme. Les jeunes filles vont par groupes et ne répondent qu'avec des rires retenus ou des haussements d'épaules dédaigneux aux plaisanteries des garçons. Réservées dans leur grâce, elles retranchent derrière l'éventail la coquetterie de leurs regards. Ces éventails s’agitent à mesure que s'animent leurs caquetages. Tantôt au-dessus des mantilles noires ou des foulards d'azur, ils voltigent en feuilles écarlates. Tantôt ils sont gentiment brandis comme des tambourins pour des danses bohémiennes et tantôt froissés au creux de la main, puis déployés d’un geste nerveux, ils font s’épanouir les sérénades lunaires sous les balcons où la señora tarde à s'accouder.



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FÊTES D'URRUGNE 1851
PAYS BASQUE D'ANTAN


Un castel, le château d’Urtubie, pointe ses tourelles au-dessus des platanes, des ormes et des marronniers aux cimes arrondies. Les premières maisons d'Urrugne apparaissent encombrées d’invités qui s'agitent en un tumulte de festival. Une foule pacifique se promène, va et vient sans but, tournoie lentement au désarroi des ruraux dépaysés dans ces loisirs, ou bien stationne à la porte des cafés, entourant des tables peuplées de bouteilles qui sont chargées de limonade gazeuse et dont les détonations fréquentes s'accentuent d'une mitraille de bouchons. Précédée par les extravagantes gambades d'un nain hydrocéphale et bancal, une fanfare s'avance, se dirige vers la place publique et s’installe sur une estrade décorée de vertes guirlandes et dressée devant les portes de la mairie. Aux premières mesures du fandango, la population entière sourit d'aise. Les jambes se dégourdissent. Les pieds marquent le rythme de valse, et bientôt les couples tourbillonnent, se séparent, se reprennent, les cavaliers mâchant des brins de basilic et paradant en de victorieuses évolutions au regard des jeunes filles dont les bottines de haute cambrure s’entremêlent aux alpargates de leurs danseurs.



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CHÂTEAU D'URTUBIE URRUGNE - URUÑA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Près de l’église, se joue entre Basques français et Basques espagnols une importante partie de "trinquet". Les paris s'élèvent à deux mille francs, et la gravité d'un tel enjeu non moins que l'émulation chauvine surexcite le zèle des combattants. Dans un hangar rectangulaire, les spectateurs sont encaqués sur les gradins d’une étroite tribune et regardent les partners s’agiter au-dessous en la profondeur du sous-sol. La paume, qu’ils appellent la pelote, doit, chaque fois qu’elle est lancée, franchir une corde tendue à la hauteur de quatre pieds, au milieu d’un carré dont les angles déroutent sa direction. C’est le carambolage au mur, moins aisé que sur l'entablement d’un billard, car il est moins obéissant à la main et se heurte inopinément aux obstacles de la ligne brisée. Les spectateurs suivent de leur place les alternatives de la lutte. L'émotion fermente. Aux rires du début, succèdent des silences orageux. Puis, tout à coup, on échange des défis. Des bravos, des applaudissements, des trépignements acclament les coups des maîtres jouteurs, et les partis adverses fouaillent de vociférations fanatiques l’ardeur ralentie de leurs champions."



A suivre...






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mercredi 8 novembre 2023

GUÉTHARY EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1893 (deuxième partie)

 

GUÉTHARY EN 1893.


En 1893, la commune de Guéthary compte environ 600 habitants.



pays basque autrefois sandalier chaussure labourd
SANDALIER AMIGORENA GUETHARY 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue Hebdomadaire, le 29 juillet 1893, sous la plume de 

Gustave Guiches :



"Guéthary.



... Devant le perron, sous les tonnelles en dais de feuillages grésillant au vent de mer, les heures d’après-midi passent, reposantes, amusées par des spectacles fugitifs. Au galop des tarbais à colliers tentants, un landau file venu de Biarritz, et, dans la poussière de la route, s'épanouissent les soleils écarlates des ombrelles et flottent des voiles blancs. De petits ânes bâton nés par des gamins trottinent, portant des fillettes blotties dans des cacolets en équilibre sur la croupe, comme des salières d’osier. Un attelage de bœufs traîne d'énormes blocs de marbre, et le conducteur, qui fume sa cigarette, parfois se détourne, fait entendre un eiha de stimulation et présente aux mufles ruminant sous les voilettes grises la pointe de son makhila. Sous d'impétueuses poussées, la grille s'ouvre, et des marchands déballent dans la cour des mangoustes, des soles, des congres, des turbots, des saumons, d'extravagants coquillages, des chichars azurés et des chipirones réfugiés au fond de leurs cornets. Alors s'engagent de fougueux débats au cliquetis passionné de la langue basque. Des clameurs, des noms : Mayder ! Ganortio ! Magnagna ! des objurgations, des attestations s’entrechoquent en un vacarme ahurissant. Une marchande saisit dans ses bras une merluche, la serre sur sa poitrine avec tendresse et l’embrasse à pleines lèvres pour protester contre l'acheteuse qui contestait la fraîcheur du poisson. Bientôt le calme succède à ces tempêtes du marché quotidien. On n’entend plus que les valses d'un piano lointain, la sonnaille des vaches qui broutent l'herbe des coteaux et les servantes ingénues qui, dans leur ignorance des refrains profanes, chantent le Kyrie eleison en lavant la vaisselle ou le Magnificat en égorgeant des canards. Puis, le soir tombé, lorsque les douaniers, la couverture de nuit jetée sur l’épaule, regagnent leurs cahutes perchées au sommet des falaises, des voix, dans le silence des grandes routes, font entendre l'hymne de Guéthary et la légendaire romance de Gaston Phœbus :


Aquelos mountinos 

Qué ta naoutos soun 

M'enpaxoun dé béiré 

Mas amours oun soun. 



Après le coup de feu du dîner, Mlle J..., qui gouverne la villa sa propriété, vient s’asseoir sur le banc familial. Elle entretient volontiers ses pensionnaires des projets d’embellissement qu'elle rêve pour sa maison, du mal qu'il a fallu se donner pour satisfaire les premières clientèles, et des difficultés de la vie durant le temps d’hiver, dont les exigeantes rigueurs absorbent le profit de la saison d’été. Robuste et grande, elle glorifie le type basque qu'elle maintient par sa mise et sa fidélité au langage natal. Sur le front bruni de hâle, les cheveux se divisent en bandeaux noirs enfermés, à la naissance de la nuque, dans un foulard de deuil. Les yeux sont alertes, pétillants du désir de plaire. Dans le sourire éclairé de dents juvéniles, dans l'activité des regards, dans la mobilité des traits se succèdent toutes les nuances de l’entretien. Parole enflammée, frissonnante, imagée, sentencieuse, roulant les r en tonnerres d’affirmations, gestes pathétiques, cocasses ou majestueux comme des serments, la Basquaise se lance en des récits interminables et tourmentés.



Elles content des drames de famille avec une gesticulante émotion, une chaude éloquence, inventant des mots pittoresques et suppléant aux expressions trop rétives par des jeux de physionomie. Son père s'étant remarié, bientôt sa sollicitude filiale s'alarma, et elle jugea, non sans raison, que la nouvelle venue n'avait pas pour son époux des égards suffisants, Elle rassembla ses frères et ses sœurs, et le vieillard fut convié à cette réunion. Là, prenant la parole au nom des autres, elle dit :


— Père, vous n’êtes pas heureux. Il faut que vous quittiez cette femme et que vous veniez avec nous.



Mais le père, refusant d'avouer l'indignité de sa compagne et blâmant la démarche irrespectueuse de ses enfants, répondit avec une ferme sévérité :


— Fille, j’ai pris cette femme à l’Église, et c’est seulement à légalise que je la quitterai.



Ainsi que ses compatriotes, la Basquaise croit à la toute-puissance des sorciers. Parmi les mendiants venus la plupart des misérables districts des frontières d’Espagne et les bohémiens nomades, d’origine inconnue, détenteurs de formules malfaisantes et de philtres mortels, la superstition locale désigne comme capables de "jeter des sorts", les vieilles pauvresses à la tête branlante qui demandent l’aumône en murmurant des oraisons.



pays basque autrefois bohémiens cagots agots
BOHEMIENS EN VOYAGE 1861
TABLEAU D'ACHILLE ZO


Là-haut, sur la colline de Saint-Joseph, en un carrefour hanté de sabbats, vivait, dans la solitude de sa maisonnette, une mendiante d'âge incalculable à qui la rumeur publique attribuait des pouvoirs surnaturels. Le jour, elle parcourait la campagne d’une marche lente, trouvée sur son bâton de route. Elle tendait la main aux passants, s'arrêtait aux portes, et lorsqu'on refusait l’aumône revendiquée d’un geste grave et autorisé, la vieille poursuivait son chemin, laissant entendre de redoutables murmures, des paroles dont l’effet ne tardait guère à s'accomplir. Des bestiaux mouraient propageant des contagions ou foudroyés en plein travail des champs. De jeunes hommes succombaient à des consomptions inexplicables, à des maladies dont les symptômes déconcertaient la perspicacité des médecins. Des folies soudaines lâchaient hors de leurs demeures, avec des clameurs forcenées et des contorsions diaboliques, des personnes jusque-là réputées pour la validité de leur bon sens. Une zone de terreur bloquait la maison de la vieille.



Aussi, lorsqu’elle mourut, ce fut une allégresse unanime, la joie d’une délivrance ardemment attendue. Mais, comme si l’influence de la sorcière survivait à sa mort physique et, dans une action posthume, retournait contre elle-même ses victimes, le peuple se rua sur la masure, arracha de son grabat la défunte, la réclamant pour des représailles si longtemps espérées. Deux hommes soupçonnés de sorcellerie, pressés de se réhabiliter devant l’opinion, s’acharnèrent sur le cadavre, l’attelèrent à une meute de chiens montagnards et, fouettant l’attelage, le lancèrent à travers le taillis. Derrière ce convoi, la foule galopait, s’excitant à voir bondir au-dessus des ornières, franchir les murs de clôture, se déchirer aux ronces, s’écarteler au choc des obstacles, le corps de la mendiante qu’elle accompagnait de malédictions et sur lequel s’abattaient des nuées de cailloux. Les restes furent enfouis dans le sable de la plage, et l’on incendia la maison pour que fût à jamais aboli ce sinistre souvenir. Les ruines existent encore, personne n’ayant osé bâtir sa demeure sur cet emplacement. Les habitations actuelles se tiennent à distance de ces murailles fumées que dévorent les plantes parasites bruissant d’insectes, et qui n’abritent plus qu’un grouillement de lézards et d’oiseaux de nuit. Dans le voisinage, sur le point le plus élevé, devant les espaces de la pleine mer, une chapelle édifiée pour exorciser les souffles malveillants a été dédiée à saint Joseph. Ce drame n’est vieux que de trente ans à peine, et la Basquaise qui, devant moi, remémorait ces annales, certifiait avoir, dans son enfance, connu la vieille mendiante et s’être trouvée parmi les spectateurs de sa lamentable fin.



Ce n'est pourtant pas une sombre contrée que ce pays basque. Les maisons, chaque année, blanchies à la chaux, divertissent la verdure des sites par leur souriante apparition. Cette blancheur de murs, étagés en surplomb sous des toits à deux versants, est quadrillée de bandes transversales formées par des poutrelles brun foncé. Ces habitations ont, la plupart, un nom spécial. Elles s’appellent etcheberri (maison neuve), mendionde (au pied de la montagne), ugalde (à côté de l'eau), dihursuhehère (au bas de l’étang plein de joncs), et ces noms, fréquemment ajoutés à ceux des propriétaires, équivalent, dans l'avenir, à des titres de noblesse conférés par un simple usage traditionnel.



Malgré leur situation de peuple frontière, les Basques résistent à la contagion des mœurs voisines, et, bien que leurs relations avec les étrangers aient, en quelques détails, modifié leur costume, le type reste nettement reconnaissable, se transmet comme un privilège héréditaire à l'abri de toute altération. Sous le béret bleu sombre, qu'ils portent tous avec la fierté d’une coiffure de guerre, leur visage dédaignant barbe qui déguise la sincérité des physionomies, — soigneusement rasé, rudement hâlé par le vent de la mer et des montagnes, s’ennoblit de traits loyaux, énergiques et fins. Leurs yeux, qui s'animent dans les entretiens les plus futiles, révèlent, au repos, les siècles de leur origine inconnue. A travers le sourire de leur cordialité prévenante, se devine l'orgueil natal qui, chez eux, même dans les conditions les plus basses, reste toujours debout. La blague parisienne ne les blesserait pas impunément si elle touchait, avec son ordinaire irrévérence, à leur croyance religieuse, à leurs attachements politiques ou simplement à leurs superstitions, car ils sont de race mystique, et c’est d'eux que viennent Ignace de Loyola et saint François Xavier.


religion catholique saint sainte ignace loyola
31 JUILLET SAINT IGNACE DE LOYOLA


Les Basques s’habillent d’une courte veste que, le plus souvent, ils portent, les manches ballantes, jetée sur l’épaule ainsi qu'un mantelet. Ils ont le col libre, délivré de cravate. Leur large ceinture, rouge en France, bleue en Navarre, noire dans l’uniforme de deuil, s’appelle la zinta. Cette ceinture fut, au dix-septième siècle, de même que la chemise pour les Camisards, un signe de ralliement pour les Basques dans la querelle qui déchaîna les partisans du seigneur de Saint-Pée-sur-Nivelle contre ceux du seigneur d’Urtubie. Les premiers étaient sabelgori (ventres rouges) et les autres sabelchuri (ventres blancs). Chaussés de leurs alpargates, à semelles de corde tressée, liées a leurs chevilles, ils vont sur les routes, d’un pas agile, d’une allure infatigable, dont la distance ne peut endormir la souplesse et le rythme élégant. Ils chantent à pleine voix ou s’interpellent en se lançant, a travers les étendues, leur cri d’appel, l'irrincin national, le ia, ia, o, o, o qui réveille de ses hennissantes syllabes les échos les plus lointains. Le makilha sur lequel ils s’appuient est un bâton de néflier, aiguisé a son inférieure extrémité d’une pointe de fer ornée d’une collerette quadrangulaire en cuivre ouvragé. Une lanière de cuir, cravatant la partie supérieure plus mince, permet de pendre au poignet le makilha. Cette partie se dévisse en bouchon d'étui sur une longue tige implantée dans le corps du néflier et qui sert à piquer les bœufs. C’est avec ce compagnon de voyage, à la fois une arme et un soutien, que les Basques pointent, sur la poussière des routes, les kilomètres de leurs trajets. Ils sortent de leur béret la courte pipe qu'ils bourrent du tabac puisé dans la blague en peau de taupe, l'inséparable tacha, roulent de fines cigarettes sans que leur marche soit interrompue, car un ressort d'enthousiasme semble détendre leurs jarrets. Ils vont devant eux, mus par un impérieux sentiment d’aventures, et c'est sans doute ce goût de l'inconnu, plutôt que le désir de faire fortune, qui les fait émigrer, "aller aux Amériques", comme ils disent, malgré leur dévouement au sol natal."



A suivre...





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dimanche 8 octobre 2023

GUÉTHARY EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1893 (première partie)

GUÉTHARY EN 1893.


En 1893, la commune de Guéthary compte environ 600 habitants.



pays basque autrefois sandalier chaussure labourd
SANDALIER AMIGORENA GUETHARY 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue Hebdomadaire, le 29 juillet 1893, sous la plume de 

Gustave Guiches :



"Guéthary.



Les villages du pays basque éparpillent leurs habitations à travers champs. Elles se casent comme elles peuvent, à la volonté des maîtres et des terrains, perchées au sommet des coteaux, blotties dans le lit des vallées, distrayant la plaine, toutes séparées les unes des autres par des pelouses de luzerne ou des plantations de maïs.



Sur les crêtes des falaises, des villas à contrevents d’un vert d’image d'Epinal signalent Guéthary. D’autres se groupent près de la gare, sur la hauteur, ralliées autour des principaux hôtels dont les feutres s'ouvrent aux spectacles du la mer. Aucune de ces maisons qui se partagent la clientèle des étrangers venus dès les beaux jours ne diffère du simple style de ses sœurs du pays.



L’accueil du paysage est souriant. Il s'offre tel qu'il est, dans la belle rusticité de ses terres, et les réclames des Casinos ne démentent pas les promesses de cette vie champêtre que recherchent, souvent avec si peu de succès, les émigrés du boulevard. Devant l'établissement des bains, la plage s’étend, limitée par des rochers plantés de croix en souvenir de naufrages dont les récits déjà légendaires et d’une banalité lugubre sont pieusement perpétués. Ce n’est pas la plage inexplorée, solitaire, comme il en est dans les retraits des côtes de Bretagne, mais la plage primitive encore dont les troupeaux de vaches descendues des collines viennent lécher les galets imbibés de sel, la plage nue dont la rudesse s'adoucit pourtant sous les litières d'algues que déroule, jusqu’au pied des murs, le déferlement des marées.



pays basque autrefois bains labourd
ETABLISSEMENT DE BAINS GUETHARY
PAYS BASQUE D'ANTAN



Les mêmes scènes s’y représentent aux mêmes heures, chaque jour. Des Espagnoles, vêtues de la blouse noire d’uniforme et coiffées du bonnet imperméable, descendent d’un galop l’escalier de bois, se signent dévotement avec l’eau de la première vague qui bat leurs jambes, puis s’élancent et franchissent le flot. Moins alertes, des dames s’étendent sous les douches qui s’abattent en lourdes trombes, les roulent et les déposent sur le sable du rivage, à sec dans le soleil. Des plongeurs piquent au cœur la lame et pilent à longues brassées. De nouveaux baigneurs surviennent. Les uns, efflanqués, dissimulent leurs formes chétives dans l’ampleur des peignoirs. Les autres, plus corpulents, s’exposent avec une radieuse confiance à l’admiration des regards. Sur la terrasse qui longe la clôture trouée par les abat-jour des cabines, s'installent de calmes réunions. Les éventails vont et viennent avec des battements alanguis. La pointe des ombrelles et des cannes trace de distraits dessins sur le gravier scintillant. Des exclamations admiratives s’échangent à l’honneur du soleil qui sombre dans les magnificences de son incendie, là-bas, vers les côtes d’Espagne. A ce moment, d’ardentes nappes embrasent la mer. Les têtes des baigneurs émergent des flots en bouées lumineuses. Les chevelures s’enflamment dans le jaillissement des écumes. Au-dessus des lames, apparaissent de fulgurantes barbes de dieux marins. Une tonsure épanouit son auréole miraculeuse sur le crâne d'un prêtre. Des chapeaux de femmes surnagent comme des cloches d’or, et tous les êtres, subitement transfigurés, participent à cette resplendissante apothéose du soir.



pays basque autrefois plage ombrelle labourd
SUR LA PLAGE. DANS LES ROCHES A GUETHARY
PAYS BASQUE D'ANTAN



Mais cette gloire est de courte durée. La brise fraîchissant ramène les baigneurs impatiemment attendus. Un flâneur s’attarde à lancer des pierres plates qui font des ricochets et s'amuse aux gambades d'un terre-neuve aboyant et bondissant à la poursuite des cailloux. Les familles rentrent par caravanes, grimpantes, égrenées sur le rude escarpement des chemins. Près de la croix de pierre qui fait face à la mer, au sommet de la falaise, des groupes stationnent encore et ne se séparent qu’à l'heure des premières étoiles, lorsque, dans les brouillards de l'horizon, s’allument les phares de Biarritz et de Saint-Sébastien.



De chaque côté de la route qui divise les "quartiers" épars de Guéthary, s'échelonnent des villas. Sur les seuils spacieux, sous une rangée de platanes, trône le banc patriarcal, et des écriteaux exhibant des orthographes novices affichent les inscriptions : "Maison meublé à louer", "appartement garnie". De préférence aux pensions de famille, la plupart situées au-dessus de rez-de-chaussée qu’encombrent les industries des propriétaires, exposées au vacarme nocturne des boulangeries ou bien aux relents de morue que souillent les boutiques des épiciers, — de préférence aux hôtels, dont les tables d’hôtes imposent de gênantes promiscuités, les étrangers, chercheurs d'un home habitable et peu bruyant, fréquentent les villas. Mais c'est particulièrement dans l'une d’elles, la villa H***, que la tradition basque est conservée avec un soin religieux.




pays basque autrefois villa labourd
VILLA HARISPE ENEA GUETHARY
PAYS BASQUE D'ANTAN



A l'heure du dîner et du souper, se réunissent les hôtes de la maison. Un jeune couple espagnol s'assoit à la table voisine de la mienne. Le mari est un ancien gouverneur civil du Guipuzcoa. Quelqu'un vantant devant lui le tempérament aventureux des Basques, leur attachement à la foi monarchique et religieuse : "Les Basques, remarque-t-il, font la guerre pour le plaisir de la guerre. Ils ne désirent pas l'avènement d'un roi qui amoindrirait leur indépendance. Ils veulent la république pour eux et la monarchie absolue pour le reste de l'Espagne." Distingué d'allures et de mise, sa conversation diffère par une discrète sobriété de celle, souvent étourdissante, de ses compatriotes. tandis qu'au dessert, il fume silencieusement des cigarettes, sa femme, une élégante Madrilène, parle avec le plus vif entrain. Elle proteste énergiquement contre l’invention des écrivains romantiques qui ont, à son avis, ridiculisé, par excès de lyrisme, les passions espagnoles, et surtout elle s'indigne contre la légende du poignard dissimulé dans la jarretière pour punir la trahison de "l'infidèle amant". — "Un poignard dans la jarretière ! s'exclame-t-elle. Les Andalouses sont trop coquettes de leurs jambes. Une jarretière, c'est déjà trop !'



A l'écart, une famille anglaise occupe une vaste table ronde que le père préside, le visage arborant ses favoris, comme un double pavillon national, le buste ancre dans sa raideur britannique peu sensiblement attendrie par vingt ans de vie française dans les hivernages de Pau. La femme est assise en face, silencieuse et affectueusement soumise à la bienveillante autocratie de l’époux. Les enfants se dispersent sous la surveillance d'une jeune institutrice allemande dont les gestes vagues rectifient leur maintien. C'est moins une créature qu’une apparence de sourire attristé. Dans les crépuscules, tandis que son maître se promène au dehors, lisant le Times à la lueur de son inséparable lanterne de policeman, elle joue au piano les sonates de Mendelssohn ou soupire les oraisons des chevaliers de Wagner.



La table qu'ils entourent s'investit d'une importance géographique, semble une île, une colonie dûment conquise et défendue par ses propriétaires contre de proches continents. Suspectant la civilisation française que leur long séjour en notre pays n'a su leur faire apprécier, ils ont emporté toute l’Angleterre dans leurs bagages. Une cuisinière dressée par eux s'occupe exclusivement de leurs repas. Une femme de chambre, pliant sous le pouls de si volumineuses charges, transfère de l'office, sur la nappe couverte de hors-d’œuvre épicés, les énormes roastbeefs et les puddings monstrueux qui scandalisent la ruralité des espagnols. Ils ont leur théière, une réduction de Westminster, leurs boîtes à gâteaux secs, leur huile, leur vinaigre de Malte, leurs bocaux à peakles, leurs flacons à sauces, leur pharmacie, leur filtre, leurs ronds de serviette, leurs couteaux de poche et... leur chapelle.



Car, presque attenante à la villa, sur un terrain acquis naguère par un de leurs coreligionnaires, se dresse une église gris perle, en zinc. C'est une église de voyage, transportable dans une chapelière ou dans de simples valises, et dont les pièces, désarticulées d’après un numérotage mathématique, ne peuvent tenir beaucoup plus de place que le matériel d'un jeu de cricket. Aussi promptement emballé que déballé, quelques heures suffisent au montage du monument. Les lattes de zinc s’emboîtent les unes dans les autres. Les minces dalles qui remplacent pratiquement les gargouilles des cathédrales s’accrochent aux corniches. Les vitraux jouent dans leurs châssis comme des glaces de coupé. Le clocher se visse en trois tours de doigts sur le fronton, et le temple est édifié, garanti par les inventeurs à l’épreuve des plus enragés ouragans. Dans ce sanctuaire métallique, les voix célestes de l'orgue étouffent leurs accents en des canaux de tôle. L’éloquence du révérend éclate sèchement ainsi que dans le pavillon d'un photographe, et les cantiques se figent d’eux-mêmes entre ces murs inhospitaliers.



Parmi les fidèles, trois Américaines sont logées dans la villa. Elles révèlent aux hôtes passagers de la maison qu'elles se sont associées pour voyager, et que, depuis vingt ans, elles parcourent le monde, sans but, sans espoir, sans autre motif qu'un infatigable amour de la locomotion. Malgré leur bon vouloir aimable, leur zèle à classer des herbiers et à confectionner avec des lavandes de jolis flacons à parfums, leur figure exprime un incurable ennui. Elles regardent la mer, tristement, et leurs regards semblent la rendre responsable de leur peine. Elles regardent le ciel avec découragement, le jugeant incapable de leur donner une sensation nouvelle. Elles regardent aussi le paysage avec l’expression d’un mélancolique reproche, l’accusant de mentir à ses promesses, — et elles s'enferment dans des silences songeurs, se disant sans doute qu'il faut aller plus loin chercher la véritable oasis, la chercher encore, toujours, sans l’espérance de la trouver jamais. Un matin, les trois misses saluèrent les hôtes de la villa.


Good bye, nous partons. Elles offraient leurs mains, avec cette chaleureuse indifférence qui distingue les effusions de leurs compatriotes.


Quelqu’un demanda : 

— Vous voyagez beaucoup ? 

— Toujours. 

— Pensez-vous rentrer dans votre pays ? 

— Nous n’y avons jamais rêvé. Nous le connaissons. 

— Vous fixerez-vous en quelque endroit ? 

— Nulle part. 



Un idiot qui travaillait dans un champ voisin regardait en poussant des clameurs inarticulées. Elles se retournèrent, et souriant avec douceur :


— Il nous fait ses adieux, diront-elles. C'est un des caractères (types) du pays. Goodbye."



A suivre...






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jeudi 25 mai 2023

LE SCULPTEUR GEORGES-CLÉMENT DE SWIECINSKI ET GUÉTHARY EN LABOURD AU PAYS BASQUE

LE SCULPTEUR GEORGES-CLÉMENT DE SWIECINSKI ET GUÉTHARY.


Georges-Clément de Swiecinski est un sculpteur roumain d'origine polonaise, qui va habiter et sculpter à Guéthary, de 1918 à 1958.



pays basque sculpteur polonais guéthary toulet
SCULPTEUR GEORGES-CLEMENT DE SWIECINSKI




Pendant la Première Guerre mondiale, Georges-Clément de Swiecinski, engagé volontaire, sert en qualité de chirurgien auxiliaire et va découvrir le Pays Basque et habiter à Guéthary, où il se lie d'amitié avec Paul-Jean Toulet.



Dans les années 1930, il entre dans le cercle des amis de Francis Jammes.



En 1948, il fait don au Musée basque de Bayonne des bustes de Toulet, Edmond Rostand, Loti et Lesca.



pays basque autrefois émigration argentine mécène amerikanoak de swiecinski
JACQUES-HIPPOLYTE LESCA
SCULPURE DE GEORGES-CLEMENT DE SWIECINSKI


Puis, en 1949, il fait don à la Municipalité de Guéthary des oeuvres de ses ateliers de Paris et de Guéthary en vue de la création d'un musée.



Il meurt le 17 janvier 1958, à Guéthary, dans la détresse morale et matérielle.



Voici ce que rapporta à son sujet le périodique Le Crapouillot, le 1er décembre 1921, sous la 

plume de Robert Rey : 



"L'Art et les Artistes.

Georges-Clément de Swiecinski.



C’est un homme étrange. Sa parole est sans défaut. Il donne à nos vocables je ne sais quel accent tonique à la fois puissant et doux comme font ces prélats italiens dont le latin chantant a façonné la bouche.



Il est Polonais ; non, Roumain... au fait, je ne m’en souviens plus. Vingt fois il me l’a dit ; mais je ne sais pas la géographie. Bref, il vient d’une Europe orientale amie ; de ces pays où l’on voit de grandes et vieilles villes, parmi lesquelles s’élèvent des "facultés" toutes neuves bourrées d’étudiants ingénus et de savants à prix Nobel. Entre les villes s’étendent la campagne sans fin, des lacs, des montagnes ; de-ci, de-là, un paysan en jupon de laine ; une paysanne en pantalon de drap blanc ; tout à fait comme au musée du Trocadéro.



Dans ces pays, celui qui sait, sait bien. Nulle ironie, aucun scepticisme n’entrave son étude. Sa science devient encyclopédique ; et je suppose que Georges-Clément de Swiecinski doit apprendre et penser et créer comme pouvait le faire, au XVe siècle, à Gènes, un Leone Batista Albertî. Certes la comparaison est à l’avantage de Swiecinski. Les humanistes de ces temps embrassaient le savoir avec une gloutonnerie compassée. Ils s’enivraient de pédantisme devant l’énorme antiquité soudain à leurs yeux découverte, amas d’idées et de sciences dont ils croyaient avoir déjà fait le tour. Mais ils ne se rassasiaient d’aucune certitude et c’est en quoi je trouve que de Swiecinski les rappelle. Toute manifestation de son art s’étaye sur une forte armature de pensées bien organiques.



Par des allusions plastiques suggérer des rêveries au spectateur ? non.



Le pousser par une insidieuse bourrade sur le toboggan des divagations cérébrales ? oh !



Tirer sournoisement, en chacun, la cagette de ce recoin où la folle du logis bat les murs, et la voir, ensuite, gambader ou s’alanguir, avec des yeux ronds, comme fait une génisse au pré ? Quelle indécence.



De Swiecinski ne dit que ce qu’il veut dire. Il a tiré pour nous, dans le chaos des songes, ceux qu’il entend nous montrer. Modèle-t-il, en des bas-reliefs colorés, les amours de Rhama et de Sita, parmi des trahisons catastrophiques, des rapts inouïs, des combats monstrueux où les ailes géantes du Roi-Des-Vautours bruissent dans l’empirée, si fort que les lianes en bougent sous la jungle ? Soyez certains qu’auparavant il a compulsé les poèmes millénaires et appris le nom de toutes les Péris.



Des textes nous ont dit combien étaient les vieux hommes barbus qui mirent le Christ en son tombeau ; combien les femmes qui mouillaient de larmes le suaire. Dès lors quand de Swiecinski sculpte une "pieta", vous pouvez évoquer l'âme du plus docile des anciens maîtres de pierres vives, de celui qui savait le mieux son histoire sainte. Il ne trouvera pas une miette d’erreur.



Cet humaniste — car décidément je tiens de Swiecinski pour un humaniste — ne parle que de ce qu’il sait. Il n’a point le besoin qu’on l’inspire. Un modèle ne lui servirait de rien.



Il a fait, sans modèle, Jérémie. Jérémie avec les longs plis droits de sa bure semble gainé dans le sel de ses larmes ; et ses yeux osseux, au fond desquels brasille un effrayant désespoir, fixent au loin les foules braillardes et vaines.



Il a fait, sans modèle, Moïse. Moïse, avec son front court bossué par les rayons qui vont en sourdre, avec son petit crâne qu’emplit la péremptoire affirmation d’une volonté trop absolue pour daigner parler même, présente formidablement les tables où tout est dit. Et le phylactère qui, rituel, emmaillote son poignet et ses doigts, prend des airs de bandelette cuirassant le poing d’un pugiliste. De Swiecinski sait où se trouve chaque muscle, et ses noms, et ses jeux ; il construirait un écorché. Son ébauchoir s’arrêtera toujours à temps pour ne pas grincer contre un condyle ou contre une apophyse. Une masse de glaise est pour lui comme un ventre de femme grosse. Il sait, à la façon d’un chirurgien, comment y est placée l’œuvre qui nous semble à tous encore ébauchée. Il n’a plus qu’à faire tomber le superflu qui l’emprisonne. Comme Leone Batista Alberti, Clément de Swiecinski se fera demain, s’il le faut, architecte.



Aujourd'hui, le sculpteur ne voulut être que potier. Là-bas, dans la campagne basque, il agença, de ses mains patientes comme des mains d’accoucheur, le tour aux antiques miracles. Il a penché sur lui sa face glabre et vaguement sacerdotale ; et du disque girant, les formes des vases se sont élevées comme de grosses fleurs sans tige. Puis, dans le four, les émaux ont coulé comme il fallait, revêtant de leur éclatante gelée la panse et le calice.



sculpteur polonais pays basque guéthary toulet jammes
COUPE PAPILLON
PAR DE SWIECINSKI GEORGES-CLEMENT



Et ils ne seront pas la dernière réussite de cet artiste si riche de vouloir et qui porte en lui la haine du hasard."



(Source : Georges-Clément de Swiecinski (pireneas.fr) et Collections > Collection Swiecinski - Céramique | Musée de Guéthary (musee-de-guethary.fr))




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